Fréquemment décriés, les impôts de production, dont l’essentiel est affecté aux recettes des collectivités locales, ont focalisé l’attention des gouvernements successifs des deux mandats d’Emmanuel Macron, qui en a abaissé certains et supprimé d’autres. L’architecture de la fiscalité locale, chamboulée, n’a toutefois pas été réformée en profondeur.
Entre 2018 et 2023, trois grandes réformes de la fiscalité locale ont amené à la suppression de la taxe d’habitation, à la baisse de trois quarts du niveau de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dont la suppression, sans cesse repoussée, ne devrait pas s’appliquer avant 2030, et la baisse de la moitié du calcul des bases de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière des entreprises.
Après avoir légèrement fléchi en 2021 à 3,8 % du PIB, le poids des impôts de production est reparti à la hausse, atteignant 4 % du PIB l’année suivante, puis 4,6 % du PIB en 2023, contre seulement 0,7 % en Allemagne. De nombreuses taxes subsistent, comme la taxe sur les salaires (16,7 Md€), le versement mobilité (11,3 Md€), la taxe foncière (41,1 Md€) ou encore la contribution sociale de solidarité des sociétés (4,8 Md€), qui tirent vers le haut un rendement fiscal dopé par plus de deux ans d’inflation. La CVAE n’était donc bien que l’arbre qui cachait la forêt.
La vraie-fausse politique de l’offre des deux quinquennats Macron
En 2017, l’année de l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, le niveau des prélèvements obligatoires s’établissait à 45,3 % du PIB, un chiffre qui a connu des soubresauts mais n’a finalement que très peu baissé, puisqu’il atteint 43,2 % cette année (avec, d’ailleurs, un déficit abyssal de 5,4 % du PIB).
Selon la Cour des comptes, les baisses d’impôts consenties auraient coûté 38,5 Md€ (dont la moitié a bénéficié aux entreprises et l’autre moitié aux ménages), sans que l’on puisse déterminer l’impact de l’accélération économique entraînée sur les recettes fiscales. Celles-ci n’ont d’ailleurs « pas été compensées par des économies sur les dépenses publiques et ont donc été financées par l’emprunt. »
Pire, les collectivités concernées, bien qu’elles aient bénéficié, en contrepartie, d’une fraction de TVA qui leur est désormais affectée, n’ont pas hésité à faire pression sur le taux des taxes qu’elles pouvaient encore augmenter et ont prélevé 2,9 Md€ d’impôts supplémentaires auprès du contribuable local. Les impôts locaux autres que ceux qui sont inclus dans la fiscalité directe ont de ce fait été augmentés de 21,1 % à périmètre constant entre 2017 et 2023[1]. Ainsi raboté, et toujours en tenant compte de l’inflation qui joue sur les seuils fiscaux, l’impôt acquitté par le contribuable local a bien moins baissé qu’il n’y paraît de prime abord, passant de 115,4 Md€ en 2023 à 99,8 Md€ en 2024.
Malgré la perte d’autonomie fiscale, les collectivités locales n’ont jamais autant dépensé
Au fil du temps, le remplacement d’impôts assis sur une base territoriale, et dont les collectivités avaient la maîtrise du taux par de la fiscalité affectée, a déconnecté leurs ressources de leurs besoins. Même si l’opération s’est avérée globalement une bonne affaire pour elles, le dynamisme du rendement de la TVA affectée en remplacement de la taxe d’habitation leur ayant permis de récupérer 4,3 Md€ supplémentaires, et encore 1,75 Md€ supplémentaires pour la baisse de la CVAE, les collectivités locales y ont perdu en marge de manœuvre.
Toujours selon la Cour des comptes, ce sont les départements qui ont le plus souffert de la baisse de la part des ressources de fonctionnement provenant de décisions autonomes (comprendre la part issue de taxes dont la collectivité maîtrise le taux) : 38 % en 2017 contre 18,2 % en 2023. Le bloc communal est plus stable, mais sa liberté de décision s’érode, le même chiffre tombant de 50,6 % à 46,6 %. Quant aux Régions, elles n’ont simplement jamais été autonomes sur un plan fiscal, le même taux d’autonomie fiscale stagnant entre 11,2 % et 9,8 % sur la même période.
Les réformes de la fiscalité locale des deux quinquennats Macron, puisqu’elles ne se sont pas accompagnées d’un véritable plan de rigueur, ont été la source d’un tiers du déficit de l’État entre 2018 et 2023. L’architecture de ce déficit est désormais de plus en plus portée par des collectivités locales dont personne ne semble vouloir arrêter la frénésie dépensière à l’heure où le matraquage fiscal redouble d’intensité. Le projet de loi de finances voté au mois de février consacre ainsi une hausse de la dépense publique de 37 Mds€ en valeur (de 1 658 à 1 695 Mds€) portée essentiellement par les administrations publiques locales (+ 1%), suivies des administrations de sécurité sociales (+ 0,6 %) et de l’État (+ 0,1%) qui est encore le plus frugal en la matière.
Sans une refonte en profondeur de la fiscalité locale avec la possibilité pour les collectivités de maîtriser les taux d’imposition des taxes qu’elles perçoivent, ainsi que la suppression d’une strate de collectivité voire une suppression du statut de la fonction publique locale, sans cette refonte donc, toute velléité de mettre en œuvre une baisse de la dépense publique et choc fiscal salvateur est voué à l’échec.
[1] La TEOM (taxe d’enlèvement sur les ordures ménagères) a augmenté, par exemple de 23,8 % et les DMTO (droits de mutations à titre onéreux) de 13,1 % pendant la même période.