Dans une étude publiée dans le Journal of Public Economics de janvier 2025, intitulée « Where and why do politicians send pork? Evidence from central government transfers to French municipalities », deux chercheurs français, Brice Fabre et Marc Sangnier, montrent l’importance du favoritisme dans l’attribution des ressources publiques (que les anglophones appellent pork-barelling). Cette étude comble un manque car le phénomène a été peu étudié en France, alors qu’il est bien documenté dans la littérature scientifique internationale.
L’étude s’intéresse aux subventions d’investissement attribuées par l’État français et les agences qu’il supervise directement aux municipalités françaises entre 2002 et 2017. Elle met en valeur le fait que « les municipalités où un ministre a exercé un mandat de maire avant son entrée au gouvernement voient les subventions qui leur sont attribuées augmenter de 30% en moyenne lorsque ce dernier accède à une fonction gouvernementale ». Un phénomène qui s’inverse quand les intéressés quittent leurs fonctions ministérielles : les subventions aux communes concernées baissent alors dans des proportions similaires.
Parallèlement, les deux chercheurs ont regardé si ce favoritisme concernait également les communes d’où étaient originaires les ministres. Ce n’est pas le cas, ce qui, à leur avis, contrecarre « l’idée reçue selon laquelle les dirigeants favoriseraient ces lieux, par nostalgie ou sentimentalisme ». De même, les municipalités voisines de leur commune d’élection ne sont pas non plus bénéficiaires des subventions ministérielles supplémentaires.
L’étude ne renseigne pas sur les motivations de ce favoritisme. Cependant, quand on sait que « trois quarts des ministres sont candidats aux élections municipales, départementales ou législatives dans la commune où ils ont été maires ou dans la circonscription à laquelle elle appartient » après leur passage au gouvernement (dont la durée médiane est d’à peine plus de 2 ans), on imagine bien que ce surcroît de subventions serve avant tout à les faire élire ou réélire.
Pour Fabre et Sangnier, cette pratique soulève « des questions fondamentales pour la démocratie » dans le sens où elle nuit à l’équité, « peut renforcer l’idée selon laquelle les jeux d’influence l’emportent sur l’intérêt général », et mine la confiance dans le personnel politique et les institutions. C’est pourquoi ils proposent de « publier la liste des projets soutenus et les montants alloués » afin de dissuader les abus et restaurer la confiance. Ils suggèrent davantage de contrôles indépendants (mais que font la Cour des comptes et ses cours régionales ?). Enfin, ils pensent qu’une « définition plus large de la notion de conflit d’intérêt pourrait être adoptée, incluant notamment les institutions publiques et les collectivités dans lesquelles les responsables politiques ont occupé des postes ou exercé des mandats ».
Peut-être pourrait-on aussi cesser de subventionner les communes et leur donner l’autonomie fiscale ?
4 commentaires
Il n’est nullement nécessaire d’accorder l’autonomie fiscale aux communes pour compenser la suppression des subventions à leurs projets. Il suffit de se limiter à leur accorder les dotations globales, établies sur des paramètres objectifs, existantes.
C’est une solution, mais nous préférons des collectivités pleinement responsables avec une fiscalité propre, comme nous l’expliquons dans l’article intitulé “Fiscalité locale : faire confiance aux élus locaux et les rendre responsables!” de Victor Fouquet (https://fr.irefeurope.org/publications/etudes-et-monographies/article/fiscalite-locale-faire-confiance-aux-elus-locaux-et-les-rendre-responsables/)
La corruption en France, presque inimaginable il y a 50 ans est en train de s’installer doucement dans le pays, en même temps que le déclin des valeurs fondamentales : honnêteté, vérité, respect de tous, civilité, etc..Corruption sous toutes ses formes : de “basse intensité” de certains fonctionnaires, détournements de fonds publics, favoritisme. Peut-être est-ce un des résultats de la mondialisation, en adoptant les modes de fonctionnement de pays peu regardants, comme beaucoup de pays soi disant en cours de développement éternellement, pour qui la corruption fait partie de la vie courante et surtout de la vie politique et permet seule de faire aboutir des projets. Ou peut-être une conséquence de la complexité croissante des lois et normes qui empêchent les initiatives et incitent à “graisser la machine des processus” pour pouvoir accomplir quelque chose. Après tout, le miracle de la reconstruction de Notre Dame n’a été possible qu’en contournant, officiellement bien sûr, et pour de nobles motifs, de nombreuses normes et règlements existants. Serait-ce une incitation à agir de même pour d’autres projets, privés ceux-là? Et pour des motifs plus terre à terre, comme le profit ou le pouvoir personnel ? Si la morale de l’honnêteté disparait, il n’y a plus que la crainte de la Justice qui peut retenir un corrupteur et le corrupté.
Pas compliqué: quand un maire devient ministre le budget de sa commune doit être figé jusqu’à la fin de sa fonction.