Le jeudi 10 janvier 2019 à 21h[[Article de La Croix relatant l’évènement, parmi tant d’autres]], le système électrique européen a frôlé la catastrophe. Le surplus de demande face à l’offre a entraîné une baisse de la fréquence du réseau, qui doit rester fixe à 50 Hz au risque d’engendrer détériorations, voire le black-out.
Si les hypothèses quant à l’origine de cet incident restent nombreuses, de la mauvaise gestion du réseau belge à une baisse brutale de production éolienne allemande, la mesure prise pour éviter l’effondrement fut unique en son genre. Pour la première fois, RTE a dû faire appel aux industriels interruptibles, six grands groupes qui ont réduit la consommation totale française de plus de 1500 mégawatts pendant environ une demi-heure.
Ce type d’évènement n’est pas inédit, mais jusque là, la réponse évidente était l’augmentation de la production électrique. Cette fois, la gestion de crise est passée par l’évitement, c’est-à-dire par l’organisation de la pénurie.
La situation observée le 10 janvier est d’autant plus inquiétante qu’elle n’a pas été provoquée par une période de grand froid mais par un dysfonctionnement structurel, qui illustre les faiblesses croissantes du réseau électrique européen.
Celui-ci commence notamment à souffrir du sous-investissement chronique en capacité pilotable[[Une centrale pilotable est une source d’électricité, qui, hors maintenance, est capable de produire sur commande. On retrouve dans cette catégorie le thermique à flamme (gaz, fioul, charbon, biomasse), les réacteurs nucléaires ainsi que par simplification, l’hydraulique dont les variations de capacité sont saisonnières et gérées de façon à être quasi-pilotables. En opposition, les productions solaire et éoliennes sont intermittentes ; elles ne produisent pas sur commande mais de façon plus ou moins erratique selon la météo. La capacité pilotable est donc incompressible afin d’assure la sécurité d’approvisionnement.]], malgré des interconnexions plus nombreuses permettant de compenser en partie le manque de production locale. L’exemple le plus frappant est celui de la Belgique, en situation critique depuis octobre 2018, et qui dépend cet hiver des importations d’électricité en provenance de ses voisins (jusqu’à 30% de l’électricité consommée dans le pays)[[Plus d’informations sur cette situation difficile avec ELIA, le gestionnaire de réseau belge]].
Intermittence et sécurité d’approvisionnement
Les investissements dans le solaire et l’éolien, s’ils permettent de décarboner partiellement l’électricité lorsqu’ils remplacent la production des centrales fossiles, n’assurent aucunement la sécurité d’approvisionnement d’un pays. L’Energiewende[[« Transition énergétique » en allemand.]] a ajouté 59 GW de capacité éolienne et 46 GW de capacité solaire au réseau allemand depuis 2007, permettant de faire stagner les émissions de gaz à effet de serre de sa production électrique (495 gCO2é/kWh en moyenne) malgré la sortie progressive du nucléaire ces huit dernières années. Cependant la capacité pilotable (charbon, gaz, nucléaire, hydraulique, biomasse) est restée constante, alors que la consommation stagne depuis une dizaine d’années (environ 600 TWh/an).
Cette incompressibilité de la capacité pilotable est un corollaire de la sécurité d’approvisionnement : lors d’une vague de froid en hiver, sans vent et sans soleil, seule cette capacité pilotable offre une production assurée permettant de faire face au pic de consommation. Les sources instables telles que l’éolien et le solaire s’ajoutent donc comme des surcapacités dans le système de production[[Le gestionnaire de réseau allemand estime la production minimale assurée des EnRI (Energies Renouvelables Intermittentes) à 1% de la capacité totale installée.]].
L’absence de production locale assurée par les renouvelables intermittents est admise par leurs partisans, mais ils invoquent souvent la multitude des centres de production au niveau européen pour y pallier : si la production est quasi nulle en France, peut-être sera-t-elle abondante au Danemark ? Mais ça n’est pas toujours le cas.
Tout d’abord, la distribution d’électricité sur un réseau aussi vaste comporte de nombreuses contraintes techniques. En outre, il n’est pas du tout certain que cela soit possible. Pour le solaire, il est évident que non : l’hiver touche toute l’Europe à la même période, de même que les cycles jour/nuit, où la production est nulle. Pour l’éolien, il faut analyser les données disponibles[[Analyse réalisée par Tristan Kamin.]]. Ainsi, il apparait que la contribution minimale assurée en permanence par l’éolien européen est d’au mieux 6% de la capacité installée. En prenant en compte les contraintes d’acheminement, la contribution de l’éolien et du solaire à la sécurité d’approvisionnement en électricité est de fait négligeable.
Cette situation ne devrait pas évoluer dans les prochaines décennies, le stockage d’électricité hors STEP (pompage hydraulique, dont le potentiel est presque totalement exploité) étant très loin de la maturité technologique, et encore plus loin de la maturité économique si elle est un jour accessible[[Un article assez modéré sur le sujet du stockage par batteries de la part du MIT]].
Dimensionnement du parc électrique français
Jusqu’alors, les parcs de production électrique étaient pensés de façon à pouvoir répondre au pic maximum de consommation envisageable, la capacité pilotable devant être suffisante pour couvrir ce dernier.
Pour la France, le record de consommation date de février 2012, où lors d’une vague de froid, le réseau électrique a dû fournir 102,1 GW.
La capacité pilotable installée était alors de 117,7 GW, permettant d’avoir suffisamment de sources disponibles pour éviter l’effondrement du réseau. Aujourd’hui, après de nombreuses fermetures de centrales thermiques fossiles (charbon et fioul) dans les dernières années, le pays aurait d’ores et déjà des difficultés à faire face à un tel pic. En effet au 1er janvier 2019, la capacité pilotable installée n’est plus que de 105,9 GW, or il est presque impossible que la totalité de celle-ci soit disponible au moment voulu, ne serait-ce que pour cause de maintenance. Cela fut néanmoins suffisant pour répondre à la demande maximale de 96,6 GW de l’année 2018.
Cependant, les marges du système électrique français devraient encore diminuer dans les prochaines années, et même passer en dessous du seuil critique nécessaire pour faire face à un pic tel que celui de 2012.
En effet, la sortie totale du charbon prévue pour 2022, couplée à la fermeture de Fessenheim, va déjà fragiliser dans les trois prochaines années le réseau électrique, et cela malgré l’arrivée en ligne de l’EPR de Flamanville. Une situation qui pourrait bien se dégrader de plus en plus.
Les prévisions invraisemblables de RTE
La grande annonce de prospective de RTE (Réseau de transport d’électricité) a eu lieu en 2018. L’entreprise a publié ses scénarios pour l’évolution du réseau français de 2019 à 2035, qui ont servi de base au volet « Electricité » de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie), la feuille de route du gouvernement pour le secteur.
Le scénario le plus « conservateur », nommé Ampère, envisage pour 2035 une population française de 72 millions d’habitants (pour 67 millions actuellement), ainsi que 15,6 millions de véhicules électriques en service et une croissance économique annuelle moyenne de 2% entre 2019 et 2035. Il faut y ajouter la volonté de l’exécutif d’en finir avec le chauffage au fioul, qui sera en partie remplacé par des pompes à chaleur et un appoint électrique sur la période.
Bien qu’elles ne soient pas invraisemblables, ces hypothèses sont évidemment discutables, notamment l’augmentation importante de véhicules électriques sur les routes en l’espace de 16 ans qui peut surprendre (il y en avait 150 000 en 2017). Bien plus étonnante est l’estimation de la consommation électrique brute pour l’année 2035 : 480 TWh/an. A titre de comparaison, en 2017, celle-ci fut de 482 TWh/an. Une stagnation parfaite donc sur 18 ans, malgré les hypothèses d’électrification de nombreux secteurs et en totale contradiction avec l’ensemble de l’histoire économique du pays. En effet, la consommation a presque toujours augmenté, hormis en période de crise.
Ainsi, RTE postule que la constance des besoins depuis 2009 va perdurer jusqu’en 2035, alors que celle-ci s’explique presque entièrement par deux facteurs. Tout d’abord, le passage de l’enrichissement de l’uranium par diffusion, très consommateur en énergie, à la centrifugation, beaucoup plus économe, a fortement réduit la demande en électricité du procédé avec la montée en puissance de la nouvelle usine Georges Besse II[[La centrifugation consomme 50 fois moins que la diffusion gazeuse. L’ancienne usine d’enrichissement Eurodif nécessitait 3,6 GW pour fonctionner à pleine puissance, c’est-à-dire toute la production de la centrale du Tricastin (4 CP1 de 900 MW).]]. Ensuite, le marasme économique a provoqué une baisse de près de 10 TWh de la consommation électrique de la grande industrie entre 2008 et 2018, directement liée à une croissance du PIB en berne.
Si la consommation a continué de stagner en 2018, à 478 TWh malgré une croissance économique annuelle de 1,5%, cela s’explique entièrement par un hiver particulièrement doux, ainsi que par un transit ferroviaire moindre dû aux grèves SNCF de début d’année, sans compter les troubles occasionnés par le mouvement des Gilets jaunes à partir d’octobre[[Explications données par RTE dans son bilan électrique 2018.]].
De fait, la stagnation de la consommation électrique de 2008 à 2035 postulée par RTE est incompatible avec son hypothèse de croissance économique annuelle moyenne de 2% sur la période analysée[[Bien sûr, si la crise économique de 2008-2016 perdurait jusqu’en 2035, les estimations de RTE pourraient être crédibles. Mais une crise aussi longue signifierait l’effondrement du pays, et il y aurait probablement des problèmes bien plus critiques que ceux adressés ici. Cet article, comme les études de RTE, part du principe que la croissance du PIB annuelle restera en moyenne au moins à 1,5%, alors que la croissance observée en 2017 a été de 2,3%, et en 2018 de 1,5%; cela, malgré les dernières prévisions de croissance à 1,3% en 2019 et 1,5% en 2020.]]. A titre de comparaison, de 2001 à 2008, la consommation électrique a augmenté de 10% alors que le PIB progressait de 1,9% par an en moyenne.
Cette stagnation est d’autant plus douteuse que de nouveaux usages de l’électricité, plus ou moins imprévus, apparaitront sûrement sur une période de 16 ans. Ainsi il était difficile d’envisager en 2001 que les smartphones, tablettes, ordinateurs, serveurs, blockchains et autres innovations dans le domaine du numérique allaient se tailler une place si importante dans la consommation électrique en 2018[[Le numérique consomme déjà aujourd’hui 10% de l’électricité produite au niveau mondial.]].
En faisant l’hypothèse, conservatrice d’un point de vue historique (cf. graphique ci-dessus), que les nouveaux usages compensent les économies d’énergie sur les anciens, c’est-à-dire que la consommation moyenne par habitant stagne (hors transport et chauffage), l’estimation de la consommation électrique française en 2035 apparait tout autre.
* Calcul simple : augmentation de 7% de la population = augmentation de 7% de la consommation électrique sans prise en compte des autres hypothèses.
** Estimation détaillée : 43% des foyers chauffés au fioul ne sont pas reliés au réseau de gaz et passeraient donc à l’électrique. C’est donc au minimum 2,7 Mt de fioul libérant 27 TWh en 2017 qui devront être remplacés par des pompes à chaleur ou des radiateurs électriques en 2035. L’efficacité des pompes à chaleur permettant de diviser ce chiffre par 4, on aurait donc 6,8 TWh/an de consommation annuelle, soit 0,8 GW de consommation moyenne annuelle supplémentaire. Un chiffre sûrement sous-estimé car les radiateurs électriques, nécessaires l’hiver, ont une consommation bien plus importante que les PAC.
*** Calcul expliqué : Une voiture électrique consomme en moyenne 0,1 kWh/km. Une voiture en France parcourant en moyenne 13 200 km, la consommation moyenne annuelle d’une voiture électrique serait donc de 1,3 MWh/an. On en déduit que 15,6 millions de ces voitures consommeraient en cumul 20,3 TWh/an, soit un ajout de 2,3 GW de consommation moyenne française.
En prenant les mêmes bases que RTE, la consommation électrique française en 2035 devrait ainsi être autour de 543 TWh/an, soit une augmentation de 12,7% par rapport à 2017 (482 TWh/an), soit encore une croissance annualisée moyenne de 0,7 % par an. A titre de comparaison, celle-ci était de 1,3 % par an en moyenne sur la période pré-crise de 2001 à 2008.
Qu’en-est-il du pic hivernal ? En appliquant le même facteur d’augmentation (12,8%) à la moyenne des maxima annuels observés les dix dernières années, le pic de 2035, sans vague de froid exceptionnelle, devrait être aux alentours de 104,8 GW, supérieur au record de 2012. Et cela est sans doute une sous-estimation, car plus de chauffage électrique implique une plus forte thermosensibilité de la consommation. Le développement de celui-ci depuis 1980 entraîne des écarts à la moyenne plus importants pour les pics, visibles dans le graphique ci-dessous. En effet, l’augmentation liée à la généralisation des pompes à chaleur, affichée dans le tableau (0,8 GW) est une moyenne annuelle, et pourrait largement atteindre 3 ou 4 GW lors d’une vague de froid[[Le chauffage est nécessaire évidemment l’hiver, et la consommation augmentera d’autant plus que lors d’une vague de froid, les PAC ne sont pas suffisantes et que les radiateurs électriques, bien plus consommateurs, deviennent indispensables.]]. L’estimation du pic maximal, même en cas de grand froid, dans le scénario Ampère est de 93 GW, c’est-à-dire la moyenne de ceux qui ont été observés ces dix dernières années …
Les prévisions pour le moins discutables de consommation électrique de RTE ne sont sans doute pas le fruit du hasard ou d’une erreur, mais probablement un choix délibéré. Il ne faut pas l’oublier, ces scénarios servent de base à la PPE, et ont été commandés par le gouvernement. Ils s’accompagnent évidemment de recommandations d’évolution du mix électrique, qui, de façon surprenante, s’ajustent parfaitement aux desideratas idéologiques de l’exécutif, la minorité écologiste en tête …
Une PPE dangereuse
L’estimation de consommation pour 2035 réalisée dans cet article indique que les sources pilotables actuellement installées (105,9 GW) sont légèrement insuffisantes pour faire face à un hiver moyen en 2035, car il n’est pas possible de compter sur l’intégralité de celles-ci eu égard aux nécessités de maintenance des équipements[[Les réacteurs nucléaires nécessitent des maintenances régulières et les barrages / STEP ne sont pas toujours disponibles au maximum de leur capacité.]]. Il faudrait donc dans cette optique, au-delà de la mise à jour et du remplacement des centrales en fin de vie, également augmenter la capacité totale installée.
Avec le scénario Ampère, rien de cela. Les marges semblent encore suffisamment importantes à RTE pour être rognées. La Planification pluriannuelle de l’énergie, présentée par Emmanuel Macron en novembre dernier et publiée le 25 janvier 2019, reprend presque en sa totalité ce scénario et ses préconisations d’évolution du mix électrique, en annonçant la sortie totale du charbon d’ici 2022 et la fermeture de 16 réacteurs nucléaires, Fessenheim compris, d’ici 2035[[Le scénario Ampère préconisait même la fermeture de 18 réacteurs.]].
Ainsi, rien que d’ici 2022, 1,0 GW de capacité net pilotable va probablement disparaître, les pertes étant limitées par la transition, du charbon à la biomasse, des centrales de Cordemais et du Havre ainsi que par la mise en ligne de la centrale à gaz de Landivisiau et de l’EPR de Flamanville.
Mais c’est trois ans plus tard que l’hémorragie commencerait réellement, avec le souhait du gouvernement de fermer 4 réacteurs nucléaires entre 2025 et 2030, probablement ceux du Bugey, les derniers CP0 (même type que ceux de Fessenheim) et 8 de plus, de type CP1 entre 2030 et 2035. Finalement, ce serait près de 10,9 GW de capacité nucléaire qui disparaitrait sur la période.
Le pilotable serait donc réduit à 94 GW, production suffisante pour affronter les hivers, selon RTE, estimant même avoir des marges grâce à l’éolien et au solaire, qui, comme nous l’avons expliqué plus haut, n’en apportent en fait aucune. En effet, les pics de consommation hivernaux ont lieu presque toujours dans des conditions anticycloniques, donc sans vent pour les éoliennes. Même les Allemands n’avaient pas osé une telle stratégie …
Ces décisions entraîneraient en fait une situation extrêmement délicate si l’on en croit l’estimation des besoins nécessaires en 2035 réalisée dans cet article.
La situation européenne : un facteur aggravant
Alors que dans ses scénarios RTE compte également sur les importations pour assurer l’approvisionnement en électricité du pays, notamment en multipliant les interconnexions, il se pourrait que les décisions de nos voisins noircissent encore plus le tableau.
Depuis plus d’une décennie, l’Europe, notamment sa partie occidentale, sous-investit en matière de capacité pilotable. Alors que de nombreuses installations ne produisent plus, soit par volonté politique (sortie du nucléaire allemande, fin progressive du charbon), soit à cause d’impératifs techniques, les remplacements sont loin de compenser les pertes. En 2018 par exemple, seulement quelques centrales à gaz pouvant fournir 3 GW sont entrées en opération alors que dans la même année 15 GW de capacité pilotable quittaient le réseau.[[Un article de Contrepoints détaillant ce sous-investissement]]
Ainsi d’ici 2025, 45 GW de centrales au charbon disparaitront du réseau, suivi de 55 GW les cinq années suivantes, soit en cumulé plus de 15% de la capacité pilotable actuellement installée dans l’UE (644 GW). De nombreux réacteurs nucléaires vont également voir leur activité prendre fin. En premier lieu 9,5 GW d’ici 2022 en Allemagne pour des raisons politiques. Mais également au Royaume-Uni pour des raisons techniques (réacteurs obsolètes en fin de vie), avec 4,2 GW avant 2025, et 3,4 GW en 2030[[Les calendriers détaillés des pays européens en matière de construction et de fermetures peuvent être consultés dans la base d’informations de la World Nuclear Association (WNA).]]. De plus, la Belgique et l’Espagne envisagent également une sortie du nucléaire à l’allemande d’ici 2035.
Finalement, l’Europe risque de se retrouver en déficit de capacité pilotable[[La Société française de l’énergie nucléaire (SFEN) alerte également sur l’érosion de la capacité pilotable en Europe.]], avec une dépendance accrue aux importations de gaz, notamment russe. Le potentiel hydraulique de la région étant presque entièrement exploité et les autorités souhaitant en finir à terme avec le charbon, seul le nucléaire fait office d’alternative pilotable aux centrales à gaz. Cependant, peu de pays (Royaume-Uni, Finlande, Roumanie et le Groupe de Visegrad) envisagent sérieusement pour le moment de construire de nouveaux réacteurs.
La France, pour le moment toujours mieux armée que ses voisins pour faire face à la situation critique qui arrive, devrait voir ses exportations d’électricité pilotable croître fortement vers des voisins pour lesquels cette production assurée sera vitale, notamment les Belges et les Italiens.
Le solde exportateur français est d’ailleurs déjà passé de 38 TWh en 2017 à 60 TWh en 2018, provoquant une hausse de la production électrique nette de 3,7% en un an malgré une stagnation de la consommation intérieure. Ainsi, même si cette dernière ne progressait pas aussi fortement que nous ne l’avons envisagé dans cet article, si même elle stagnait comme le prévoit RTE, les exportations entraîneront une hausse globale des besoins.
C’est pour cela qu’Emmanuel Macron, lorsqu’il a présenté la PPE à la fin de l’année dernière, a exposé la situation du réseau européen comme déterminante pour la validation future des fermetures de réacteurs.
Recommandations
L’estimation de consommation réalisée dans cet article indique que le réseau français ne dispose presque plus de marges, et va en fait avoir besoin d’un ajout net de capacité pilotable d’au moins 15 GW d’ici 2035, pour atteindre au total plus de 120 GW[[En multipliant la valeur estimée du pic de consommation lors d’un hiver moyen en 2035 (104,8 GW) et en le multipliant par le ratio entre le pic de 2012 et le pic moyen des dix dernières années (1,10), on trouve une valeur de consommation maximale annuelle pour un hiver rigoureux en 2035 de 115,3 GW. En prenant en compte une indisponibilité de 4% de la capacité cumulée des réacteurs, barrages et STEP (ce qui est une facteur minimisé déjà optimiste), on trouve une capacité pilotable nécessaire de 120 GW. Sans effacement, il faut donc autant de pilotable installé.]], afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique en hiver. Si l’on souhaite que cette augmentation soit décarbonée et préserve l’indépendance énergétique du pays, le constat s’impose : il faudra construire plusieurs tranches d’EPR.
En effet, même en développant les 3 GW de capacité hydroélectrique potentiellement rentable qui ne sont pas encore exploités[[La synthèse d’une étude du gouvernement sur le sujet]], et en actant la fin du charbon et le non prolongement des réacteurs de type CP0, il serait nécessaire de construire 10 EPR (1,65 GW chacun) en plus de celui de Flamanville[[Un rapport, ayant fuité fin août 2018 dans Les Echos, commandé par le ministère de l’environnement et celui de l’économie, préconise le lancement de la construction de 6 EPR dès 2025, en accord avec les recommandations de cet article]]. Le report à 2021 de la décision de construction de nouveaux réacteurs impose donc de lancer la construction d’un réacteur par an à partir de 2022 afin d’assurer des marges de fonctionnement au réseau.
La nécessaire prolongation des réacteurs de type CP1 implique que les plus anciens atteindront une durée de vie de 55 ans en 2035, ce qui est en accord avec l’extension de licence à 60 ans de vie, voire 80, accordée à la totalité des réacteurs de même type[[Les réacteurs de type CP en France étant issus des designs de l’entreprise américaine Westinghouse utilisés sous licence par Framatome, ceux-ci sont quasi identiques à de nombreux réacteurs aux Etats-Unis construits à la même période.]] aux Etats-Unis. Le plafonnement à 60 ans d’exploitation pour les CP1 entraînera la nécessité de poursuivre la dynamique de construction enclenchée avec cette première dizaine d’EPR, avec probablement un nouveau modèle évolué, des réacteurs de génération 4 et même des SMR (Small Modular Reactor). Une décision de sortie du gaz avant 2050 amplifierait d’autant plus ce besoin.
Les problèmes que les pays voisins rencontreront, dus à leur sous-investissement chronique en moyens pilotables, pourraient même ouvrir la voie à la construction de tranches supplémentaires dès les années 2020 afin de les approvisionner[[Le dimensionnement du réseau se ferait ainsi dans une dimension européenne et non plus nationale. Cela impliquerait des accords supplémentaires en matière de solidarité entre les Etats européens.]].
Conclusion
Les scénarios de RTE, base du volet électrique de la Planification pluriannuelle de l’énergie, souffrent d’un mal classique en matière d’étude de prospection commandée par l’exécutif. Ils tordent une variable exogène aux modèles (la consommation électrique), et font appel à des hypothèses « héroïques » erronées en matière d’éolien et de possibilités d’importation, afin de pouvoir valider les choix idéologiques du commanditaire, à savoir la fermeture de 14 réacteurs dans les 15 prochaines années[[Une ambition prise en compte dans la PPE, qui va de pair avec le choix purement idéologique d’une diminution de la part du nucléaire à 50% de la production électrique en 2035.]].
Cette décision, si elle était mise en œuvre, conduirait à une situation critique à terme, d’autant plus avec l’électrification des mobilités et du chauffage. Car lors d’une vague de froid hivernale avec peu ou pas de vent, comme c’est souvent le cas, le réseau s’effondrerait avec si peu de capacité de production disponible. Et cela probablement au niveau européen. De nombreux foyers se retrouveraient alors sans électricité, ce qui signifierait, dans ces conditions, sans éclairage, sans chaleur, mais aussi sans moyen de transport[[Un état dans lequel il faudra probablement déplorer des décès, d’autant plus si les services publics décident d’électrifier également leurs véhicules, notamment de secours.]].
Par leurs décisions obscurantistes, les dirigeants de ce pays le conduisent ainsi à l’obscurité.
11 commentaires
La fin de la distribution d'électricité par câble
Les 10 % consommés par le numérique (Cf. [11], et le chiffre est probablement inférieur à la réalité) ont une caractéristique invisible aux économistes : il s'agit d'une énergie transformée par des convertisseurs à découpage régulés, c'est à dire présentant une résistance dynamique négative.
Et le phénomène déborde largement (et de plus en plus) des objets du numérique…
Il viendra nécessairement un moment où :
– il sera impossible d'ajuster la consommation à la production (sauf délestages brutaux, et uniquement pour de la sous-production),
– des bouts de réseaux entiers vont se transformer en oscillateurs, totalement incontrôlables car en extrémité de réseau.
Petit à petit, la distribution d'électricité par câble en milieu résidentiel / commercial / artisanal va devenir intenable. Il subsistera, au mieux, quelques "gros" clients industriels, incapables d'assurer une production (ou une alimentation "sur batterie") de manière "locale" (lignes électriques courtes, à la fréquence de résonance supérieure à la fréquence maximale de régulation des convertisseurs).
Ce n'est pas de l'économie (ni même de la technologie, à ce stade), c'est de la physique.
Je vous rejoins sur le sujet, certains usages entrainent des complications. Je ne voulais pas entrer dans des détails trop techniques mais en effet, les nuisances liées aux alimentations à découpage (très présentes dans le numérique mais pas que) sur la grille sont à prendre en compte.
Des solutions existent pour les diminuer mais elles ont un coût non négligeable. Le plus simple et le moins coûteux reste encore d'ajuster la production à la demande et non l'inverse.
Ces problèmes de "qualité" de l'électricité apparaissent également du côté de la production.
Les éoliennes et le solaire photovoltaique impliquent de véritables problématiques en matière de fréquence et les équipements coûteux pour stabiliser celle-ci sont "bizarrement" rarement pris en compte dans les estimations de coûts. C'est pourquoi il faut toujours se méfier des estimations de LCOE, qui pour la plupart ne prennent pas en compte les coûts réseaux associés (ni le démantèlement, contrairement aux chiffres donnés pour le nucléaire par exemple) …
Bonjour,
Difficile de qualifier une alim à découpage de "nuisance", dans la mesure où cette technologie réduit globalement la puissance consommée par les appareils. Mais du point de vue d'énédis/edF, cette technologie réduit à néant leur politique séculaire de vente forcée (en cas de surproduction) ou de refus de vente (en cas de sous production). S'ils ont une sous-production instantanée (je dis bien "instantanée" et pas "corrigée dans la minute", sachant que même cela, ils sont incapables), leur seule solution est de baisser la tension.
Imaginons qu'il leur manque 1% de puissance…
– à 0% de découpage, il suffit de baisser la tension de 0,5% : ni vu ni connu, c'était le bon temps,
– avec 10% de découpage, c'est de 5,6 % qu'il faut baisser pour que les 90% "résistifs" qui restent puissent absorber à eux seuls le déficit de production,
– avec 20% de découpage, il faut baisser de 11 % (autrement dit, ils sont sortis de leur cahier des charges),
– avec 30% de découpage (continuant benoitement à consommer la même puissance), il faudrait baisser la tension de 17% ! À ce stade, le délestage commence à se produire tout seul…
Quant au risque de voir osciller un bout de ligne avec une résistance négative au bout, le plus simple est de faire une recherche sur "oscillateur à diode tunnel" (l'archétype de la résistance négative depuis un demi siècle…) et multiplier les longueurs (d'onde) par 1000 ou 10000… C'est inhérent au schéma "alimentation par câble" et il n'est rien qu'on puisse faire en amont pour empêcher cela.
Tout ceci n'a strictement rien, mais alors rien à voir avec la présence de sources discontinue (éolien, solaire) ou à réactivité multi-horaire (nucléaire), ni avec la "qualité" du courant produit.
Associer des batteries tampon à chaque poste de transformation permet (pour très cher, car il y a un "seuil" technologique sur les convertisseurs à forte puissance) de pallier le premier problème. Mais il ne peut absolument rien faire face au second.
Ce qui est en jeu, c'est le modèle "distribution d'énergie par câble", rien de moins…
Excellente étude, mauvaise solution proposée
Monsieur merlin,
Excellente étude que j'apprécie en tant que prof d'électricité à l'Université. Par contre l'idée que vous défendez d'accroître sans cesse la production (EPR, small reactor…) pour faire face à la hausse de la consommation appartient au passé. A partir d'aujourd'hui il va bien falloir faire le contraire : diminuer la consommation pour qu'elle s'adapte à la production soutenable. C'est ce qui a été mis en oeuvre le 10 janvier, bravo! (cf. aussi l'exemple californien) La croissance infinie est impossible avec des ressources finies. Ce n'est pas heureux pour nous mais il faut se soumettre à cette dure loi. On ne veut pas le dire car la population demande aujourd'hui comme hier du pain et des jeux. C'est pourquoi RTE présente des scénarios optimistes rassurants pour le peuple insouciant.
Respects
Montin
Il faut différencier l'énergie consommée globalement et l'énergie per capita. C'est la stagnation globale de consommation électrique, malgré de nouveaux besoins – en particulier les véhicules électriques qui sont une décision politique – et une augmentation de la population qui est critiquée dans cet article. Autrement dit, en réalité, une décroissance.
D'ailleurs, au vu de la natalité actuelle, l'augmentation de la population ne peut être que le fait de l'immigration. En cela RTE reprend aussi, sans trop y insister, les poncifs immigrationnistes du gouvernement.
D'une façon plus générale, la dialectique ressources finies/besoins infinis, sans cesse reprise par les écologistes, fait totalement l'impasse
– sur ce qu'est une ressource (le pétrole n'en était pas une au XVe siècle),
– sur le plafonnement prévisible de l'augmentation de la population mondiale avec le développement économique (un enfant est une charge dans un pays développé, mais une richesse dans un pays pauvre du point de vue économique)
– sur la capacité de l'homme à rentabiliser les ressources pour satisfaire de nouveaux besoins (l'informatique aurait-elle connu un tel essor si les calculateurs avaient continué à utiliser les anciens tubes à vide?)
Monsieur Montin,
Le passage d'une logique d'abondance de l'énergie où l'offre est supérieure à la demande à celle d'adaptation de la consommation à une production défaillante a un nom : la pénurie forcée.
Cette dernière est typique de trois situations, potentiellement cumulables :
1) Les dictatures, où c'est un outil de domination.
2) Les économies en déliquescence, où c'est une conséquence de causes plus globales : crise économique majeure, guerre, épidémie ect …
3) Les sociétés malthusiennes et religieusement opposées au progrès et à la technique. Ces dernières, pas tant les individus qui la composent mais leurs styles de vie et leur culture, ne durent jamais très longtemps, s'assimilant à des espèces qui ne se reproduisent plus et qui n'évoluent et ne s'adaptent plus. Elles subissent des dynamiques similaires de sélection et disparaissent rapidement pour laisser place aux autres.
Les sociétés stagnantes ou décroissantes n'ont aucun avenir par définition. Si les systèmes français et européens actuels choisissent cette voie, ils seront vite remplacés après avoir touché le fond, c'est à dire un appauvrissement majeur de la population qui saura rapidement la faire redevenir favorable à la croissance et au progrès.
Linky ou la s*d*mie fiscale généralisée
Que dire de ce compteur linky mouchard au possible dont il est prévu qu'il bave chaque usage de consommation afin de surtaxer le consommateur (TICPE) avec la bénédiction de la CRE.
https://www.youtube.com/watch?v=ODuJfoiPEEs
Que dire de ce compteur linky ? Pas mal de choses en fait…
– que, entre absence de protection des varistances (plus un montage en parallèle ! un véritable non sens technique !) et présence d'un condensateur électrochimique de 450 V, il a toutes les chances de tomber en panne bien avant sa durée de vie "publicitaire (ou après la première "onde de choc"), avec ou sans combustion / explosion (arrangez vous pour le reléguer dans une zone incombustible),
– qu'il est conçu pour couper le courant lors d'un transitoire de mise sous tension "légal" (un disjoncteur conforme à la réglementation doit laisser passer 5 à 10 fois son courant de coupure "nominal", durant un temps bref, selon sa courbe caractéristique), dans le but de forcer la vente d'un abonnement plus couteux (ce n'est pas un disjoncteur car, inapte à couper un courant de défaut, il n'apporte aucune protection, et ce n'est même pas un sectionneur car il n'offre aucune sécurité. C'est juste … une nuisance).
Références :
– info brutes en http://www.dexsilicium.com/index.html,
– l'analyse est de moi…
Au fait, "linky" signifie bien "de gauche" en allemand ?
Just joking…
vous me conforter dans mes hypotheses…
vous me conforter dans les hypotheses du danger des ENR car sources bien trop intermittentes que j'avais deja envisagé sur la simple base du bon sens ! je voulais installer une eolienne mais a la vu des facteurs de charge garantie (1%) j'ai laissé rapidement tomber !!
Quelques remarques et analyses suivant mon experience
Une fois de plus les aides de l’État ne répondent pas à ce qu'il serait nécessaire de faire par rapport à l'avenir de notre planète; environnement et bien être à long terme pour les générations futures
explication:
les energies renouvelables pourraient être suffisantes à condition que les règlementations évoluent
* nous avions un vieux compteur mécanique très sûr qui avait un avantage et pas des moindre il comptait dans les 2 sens :
en consommation et en production si l'installation était jointe à un onduleur avec une ou des installations photovoltaïques ,éoliennes ou autres
Donc une libéralisation de toute contrainte au niveau de la production aurait multiplié la production jusqu'à atteindre des niveaux de production / consommation élevés
En prenant mon ex :
mon installation photovoltaïque de 6 kwc avec 32 capteurs me produit 7000 kwh /AN soit ma consommation (ménage à 2)
En parallèle les 15000 km annuel de ma voiture électrique nécessite environ 1500 kwh /an donc ma production couvre largement
Il faut seulement qu'il y ait un changement d'habitudes et de réglementation administrative ,
surtout un changement de mentalité par exemple lors de déplacements se connecter automatiquement sur les prises de l’hôte…de façon réciproque
Tous les habitants devraient se transformer en producteurs consommateur
De fait moins de pertes par résistance des réseaux …
En faisant en sorte que tous les parkings particuliers , de grande surface ,de villes et d'usine ,plus tous les toits agricoles et industriels
soient recouverts de panneaux
Rajouté à cela la production hydraulique ,l'éolien la biomasse les marées motrices les petites chutes ,les économies d'énergie dues à l'isolation avec des maisons HQE il est possible de se passer de l'atome
qui demande des sommes astronomiques tant dans les investissements que dans le stockage….
A tout cela ajouter l'orientation des chauffages vers les energies disponibles bois biomasse en cogénération …etc
beaucoup de soucis ne seraient que du passé