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Charges sociales en France : la trappe à bas salaires

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Le calcul des cotisations patronales sur les salaires, en France, est marqué par une hyper-progressivité entre 1 et 1,6 Smic, ce qui enferme les salariés dans une trappe à bas salaires.

 La figure n°1 compare les cotisations patronales calculées à partir du salaire brut dans le secteur privé, dans les 4 principales économies d’Europe: Allemagne, Italie, Royaume Uni, et France.

Figure 1 : taux effectif de cotisation patronale en fonction du salaire brut
On note que le taux maximal élevé des cotisations patronales françaises n’est pas contrebalancé par des cotisations salariales plus faibles, hélas : 22% en France contre 19,6% en Allemagne, 9,2% en Italie, 12% en Grande Bretagne. Par conséquent, un calcul qui inclurait également les cotisations salariales conduirait aux mêmes conclusions.

Comparaison : la France, championne des bas salaires

Les 3 pays comparés ont des modèles assez simples : un taux plus faible que le nôtre, une exemption forfaitaire sur les premiers revenus (GB) ou un arrêt du prélèvement au-delà d’un certain plafond de cotisation compris entre 2 et 4 salaires médians (Allemagne, Italie).

Face à ces modèles simples, la courbe française a une forme complexe : elle combine un taux maximal élevé (42%), des exemptions sur les très bas revenus lui conférant un aspect hyper-progressif avec des paliers, et un plafond d’assiette de cotisations très élevé (14200 € bruts) qui, de fait, n’est que très rarement atteint.

La France n’est bien placée que pour les très bas salaires, en comparaison de nos principaux concurrents continentaux. Il convient d’expliquer pourquoi.

Allègements « Fillon » et « paliers »

 La figure 1 fait apparaître, pour la courbe française, 3 seuils : 1,6 fois le Smic, puis 2,5, puis 3,5 fois. L’explication nous en est donnée par la figure n°2 (source : assemblée nationale).

Figure n°2 : allègements du coût du travail en fonction du salaire brut

Entre 1 et 1,6 Smic, l’allègement correspond aux lois Fillon, mises en œuvre en 2004, qui devaient aider à réduire le chômage des salariés les moins qualifiés. La cotisation normale est calculée avec le taux de 42%, mais un dégrèvement linéaire est appliqué à la partie basse du salaire et le manque à gagner pour les caisses de sécurité sociale est compensé par un transfert du budget de l’État.

Le législateur, s’étant avisé que le dispositif risquait de créer une trappe autour de 1,6 Smic, a tenté d’élargir l’assiette des salaires exemptés, tout d’abord via un dispositif appelé CICE, remplacé en 2019 par des paliers de baisse du taux de cotisations des branches maladie et famille de la protection sociale. Mais la figure 1 montre que ces paliers n’ont guère d’effet sur l’hyper-progressivité du calcul des cotisations sur les bas salaires.

Plafond de cotisation

En Allemagne et en Italie, le plafond de l’assiette de prélèvement des cotisations est assez faible, environ 5000 € en Allemagne et 9000 € en Italie. Cela permet à ces pays de ne pas subir de forte pénalité concurrentielle sur les hauts salaires vis-à-vis de la Grande-Bretagne.

En France, il est de l’ordre de 14200 € bruts (8 Smic), et encore, ce plafond ne s’applique pas à toutes les lignes de cotisations. Or, la distribution des salaires français (figure 3, INSEE) montre que 99% des salariés gagnent moins de 9600 € nets, soit 12056 € bruts. Le pourcentage de salariés concernés par le plafonnement des cotisations est donc infinitésimal.

Figure 3 :distribution des salaires mensuels français par centile

L’administration fiscale française est tellement consciente de ce handicap qu’elle a instauré, pour pouvoir accueillir à Paris la finance londonienne tenue de se relocaliser dans l’UE après le Brexit, un régime d’exemption d’impôts et cotisations particulièrement généreux pendant 5 ans pour les salariés impatriés. Mais pour les entreprises ordinaires, les charges sur les hauts salaires en France sont une contrainte concurrentielle très forte.

La smicardisation en chiffres

Les principales victimes du modèle de prélèvement français sont les bas salaires. Chez nos concurrents, augmenter le salaire d’un employé à bas revenu impose une surcharge de cotisations proportionnelle. En France, nous avons vu qu’elle est ultra progressive.

Le résultat est que 50% des salariés français gagnent moins d’1,6 Smic (figure 4, source) et 75% moins de deux Smic.

Figure 4 : distribution des salaires en France

La création de paliers au-dessus de 1,6 Smic en 2019 n’a pas inversé la tendance, puisque le nombre de salariés concernés par les allègements Fillon a augmenté, passant de 10 millions en 2017 à 12,5 en 2022, soit 60% des salariés du secteur privé (source). L’URSSAF note qu’entre 2021 et 2022, l’essentiel de la hausse de la masse salariale en France s’est produite en dessous de 1,6 Smic, et qu’elle a baissé dans la tranche des plus hauts revenus (figure 5, source).

Figure 5 : évolution de la masse salariale 2021-2022 par tranche

Entre 2014 et 2023, le taux de salariés payés au Smic est passé de 1 sur 9 à 1 sur 6, avec une accélération sur les deux derniers exercices. Le modèle français de financement de la protection sociale enferme donc un nombre croissant de salariés dans une trappe à bas salaires, sans espoir d’en sortir.

Un modèle qui se veut exhaustif, cher, qui ruine l’État et tue l’espoir

Les transferts de l’État vers les caisses de sécurité sociale, visant à compenser les allègements de charges, vont croissant, de 30 Mds€ en 2004 à 70 Mds en 2022, soit entre 55 et 80% du déficit de l’État selon les années. Le prix très élevé de notre protection sociale vient de ce que, contrairement à nos voisins, l’État veut imputer sur la masse salariale une protection exhaustive, couvrant tout le spectre salarial et intégrant, outre la maladie et la retraite, une assurance chômage luxueuse, des allocations familiales, un versement transport, le financement du logement social, celui d’organismes de formation professionnelle…

En tuant notre capacité de conserver des emplois hautement qualifiés et en comprimant la pyramide des salaires, notre modèle social compromet gravement notre avenir, tant financier que moral. Réformer l’ensemble de notre protection sociale en profondeur, sans se contenter de bricolages de type « allègements » et « paliers », est donc la plus grande urgence politique des années à venir.

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1 commenter

Laurent46 29 mai 2024 - 11:56

Il faut bien payer cette boulimie administrative, politique, associative, syndicale et les gros Rentiers des la République. Faites le compte de tout ce qui pille les fonds publics, santé armée, et secours divers y compris, ils sont beaucoup plus nombreux aujourd’hui que ceux qui font de la richesse

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