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Faut-il saisir les biens des oligarques ?

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Peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Union européenne, les Etats-Unis et autres pays opposés à cet acte de guerre infondé ont décidé de saisir les biens appartenant à la Russie ou aux proches du pouvoir russe et notamment aux oligarques soutenant Vladimir Poutine. Des dizaines de milliards d’avoirs russes de toutes sortes auraient déjà fait l’objet de ces mesures. En France, une liste des biens gelés a été publiée le 13 avril par le ministère de l’Économie et des Finances. Aux Etats-Unis, Joe Biden s’est dit prêt à saisir le Congrès pour permettre de transférer à Kiev les avoirs russes saisis et affecter leur produit à l’indemnisation des victimes et à la reconstruction de l’Ukraine. En Allemagne, le  comité des affaires budgétaires du Bundestag a adopté le 19 mai 2022 une résolution pour supprimer à l’ancien chancelier Gerhard Schröder les avantages matériels encore liés à cette fonction passée. Il lui est reproché d’être très proche de Vladimir Poutine et de Setchine, le patron du groupe pétrolier russe Rosneft dont Shröder était jusqu’à ces derniers jours membre du conseil d’administration en même temps qu’il présidait le comité des actionnaires de Nord Stream AG gérant le gazoduc Nord Stream entre la Russie et l’Allemagne, qui finalement ne sera d’ailleurs sans doute jamais ouvert.

Des saisies seraient illégales

Mais des saisies seraient illégales en l’état du droit. Les politiciens qui en ont parlé se sont d’ailleurs vite rétractés pour n’évoquer désormais que de geler ces avoirs, c’est-à-dire d’empêcher temporairement l’usage de ces biens par leurs propriétaires. Rien d’autre ne peut être entrepris en l’état et encore, il faudra démontrer la régularité de ces mesures de « gel ».

En effet, dans un pays d’état de droit, la propriété doit être respectée. Elle ne peut être atteinte, notamment par l’Etat, qu’en vertu d’une disposition de droit préalable et pour des raisons valables. Ainsi en France, comme dans la plupart des pays civilisés, une saisie immobilière ou autre ne peut être pratiquée qu’à l’encontre de ceux dont a été reconnu le défaut de paiement d’une dette, ou qui ont été reconnus par un jugement définitif comme les auteurs de certains crimes et délits ; et dans ce cas elle ne l’est que sur les biens ayant servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre, (article 131-20 du Code pénal). Mais heureusement, nul ne peut se voir confisquer ses biens pour avoir été simplement l’ami d’un débiteur insolvable ou d’un criminel. Le progrès du droit a été dans l’individualisation des peines !

Des justifications acrobatiques

Pour justifier des mesures de « gel » des biens russes, les pays européens s’appuient sur un règlement européen pris le 17 mars 2014 à l’encontre de la Russie qui venait d’envahir la Crimée. Il dispose notamment en son article 2 que « Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant [directement ou indirectement] aux personnes physiques ou à des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leurs sont associés » visés dans une annexe comprenant  « les personnes physiques qui, conformément à l’article 2 de la décision 2014/145/PESC, ont été reconnus par le Conseil comme étant responsables d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, et les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés ».

Pour sa part, le ministre chargé de l’économie s’appuie en France sur un article L562-3 du Code monétaire et financier adopté le 6 novembre 2020 pour lui permettre de procéder, pour des périodes de six mois renouvelables éternellement, au gel des fonds et ressources économiques :

« 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actions sanctionnées ou prohibées par les résolutions adoptées dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies ou les actes pris en application de l’article 29 du traité sur l’Union européenne ou de l’article 75 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, y participent ou qui sont désignées sur le fondement de ces résolutions ou ces actes ».

Sommes-nous en paix avec la Russie ?

Mais ces bases juridiques sont bien fragiles. Car nous ne sommes pas en guerre avec la Russie. A défaut d’être en guerre, nous sommes en paix ! Et l’application d’un droit d’exception à l’encontre des citoyens de ce pays simplement parce qu’ils en sont ressortissants n’est pas possible sauf à ouvrir la voie à toutes les injustices imaginables à l’égard de quiconque. Dura lex sed lex. La loi est faite pour protéger objectivement. Notre civilisation est fondée sur cette vielle règle de droit romain, base absolue de l’état de droit, qui veut qu’il n’y ait pas de peine sans texte légal fondé (nisi poena sine lege) ni de condamnation sans jugement. Enfin la présomption d’innocence doit prévaloir.

J’approuve l’idée de chercher tous les moyens possibles pour affaiblir la Russie  , à l’origine de cette guerre inavouée, mais pas en violant notre propre droit qui est l’assise de nos libertés. Pour condamner les oligarques, il faudra démontrer qu’ils sont coupables d’autre chose que d’amitié pour Poutine. Au demeurant, ils sont moins coupables sans doute d’amitié que de servilité. Et tous ceux qui en France et ailleurs défendent encore la Russie pour ses valeurs morales qui la sauveraient des horreurs du capitalisme ultra libéral, devraient enfin ouvrir les yeux sur ce despotisme impérial construit sur la collusion pernicieuse avec le pire capitalisme des oligarques. Ceux-ci ont fondé leur fortune sur leur connivence avec l’Etat et le pillage des petits actionnaires et de la Russie. Ils se sont enrichis par des pratiques si odieuses que la justice des pays de droit trouvera peut-être bien des motifs pour les condamner et saisir leur fortune. Mais en attendant, en accaparant leurs biens sans fondement légal, nous nous comporterions comme eux, sans souci de l’état de droit. Je crains que ce ne soit pas le meilleur moyen de défendre nos valeurs morales car la fin ne justifie jamais les moyens. Sauf à entrer en guerre, ce qui permettrait de justifier d’autres mesures à l’encontre des ressortissants du pays ennemi. Pouvons-nous rester longtemps dans l’ambiguïté ?

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5 commentaires

Daniel 1945 23 mai 2022 - 6:44

Si, nous sommes bien en guerre, qu’elle soit froide, économique ou militaire (fourniture d’armement) et l’agresseur est Poutine, alors à la guerre comme à la guerre.

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MARTIN 23 mai 2022 - 7:38

Oligarques de tous les pays méfiez-vous!

On commence par les Russes…

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JR 23 mai 2022 - 12:15

Bonjour, en 1940 , cela s’appelait la spoliation…les Climatejugend ayant remplacé les Hitlerjugend, attention à ceux qui écrivent des billets réalistes sur le climat et sur la grande escroquerie climatique. Merci. Bien à vous

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REMI 23 mai 2022 - 12:46

Mr Poutine en particulier et la Russie en général, ne comprennent pas ce que sont « les rapports de forces »…

C’est la diplomatie de tranchés, celle qui occupe le terrain où chacun montre ses muscles et ses intentions qui ne sont pas des menaces mais des « outils opérationnels » dans un duel où le gagnant est celui qui aura neutralisé l’autre sans appel… et sans état d’âme…!
Une guerre est une guerre … avec ses engagements et ses règles ….et les « dialogues » occupent l’espace de ceux qui ouvrent es oreilles tout simplement en n’oubliant pas qu’une guerre se sont des armes pour neutraliser l’autre… !

La diplomatie des petits pas est celles des « lâches » et des « peureux » … celle de ceux qui  »n’osent » pas être dans un rapport de force tout simplement…

La France et l’Europe ne comprennent pas cette politique envers la Russie mais également aussi envers la Chine…

L’Europe et la France se gomment lamentablement…. !

Que seront-ils demain….des vassaux de la Russie et de la Chine qui se distribueront le monde avec pour arbitre de situation, les USA ….!

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Jean-Philippe HUBIN 23 mai 2022 - 1:53

IL faut raison garder et le droit de propriété est , nous l’oublions souvent , le premier des droits après la liberté reconnu par la révolution et la république

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