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Présidentielles :

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Le débat entre les candidats l’a démontré : la quasi-totalité réclame l’abolition de la directive « travailleurs détachés » ; les plus « libéraux » veulent la renégocier. Belle unanimité, qui masque une réalité plus complexe : les candidats oublient les avantages de la directive, se trompent de texte et ne veulent pas de la concurrence qui obligerait enfin la France à s’adapter.

Morceaux choisis des candidats

En apparence, les candidats s’opposent à propos de la directive européenne sur les travailleurs détachés. En réalité, les positions sont quasi-unanimes. Pour Marine Le Pen : « Supprimer de notre territoire la directive détachement des travailleurs qui y créé une concurrence déloyale inadmissible ». Pour Nicolas Dupont-Aignan : « Suspendre immédiatement l’application des dispositions les plus contraires à l’indépendance de la France dont les travailleurs détachés ». Pour Jean-Luc Mélenchon : « Cesser d’appliquer unilatéralement la directive sur le détachement de travailleurs en France ». Benoît Hamon : « Sur le plan social, je veux mettre fin à la concurrence entre les peuples. Je demanderai une révision de la directive sur les travailleurs détachés ».

Mais les autres sont sur la même ligne. Jean Lassalle « Appliquer le droit du travail français aux travailleurs détachés en France ». François Asselineau : « Abrogation de la directive sur les travailleurs détachés ». Même François Fillon, dont le programme est pourtant le plus libéral, propose de « Renégocier de fond en comble la directive sur le détachement des travailleurs et en suspendre l’application en France, si la négociation n’a pas abouti avant la fin de 2017 ». Quant à Emmanuel Macron, il veut en limiter l’application : « Nous nous battrons contre les abus liés au travail détaché. Nous devrons limiter à un an la durée autorisée de séjour d’un travailleur détaché dans notre pays et redéfinir au niveau européen les règles du détachement pour mettre fin à toutes les formes de concurrence sociale déloyale ». Ce qui a l’avantage d’être assez flou pour permettre toutes les interprétations !

Et les travailleurs français détachés ?

Rappelons d’abord, (IREF 14 mars 2016 : « Travailleurs détachés en Europe : dumping social ou concurrence salutaire ? »), qu’il y a un moment que l’U.E. discute d’une modification du texte de 1996 sur les travailleurs détachés, modification voulue par la France et l’Allemagne, refusée par les Pays de l’Est. Ce n’est pas parce qu’un Président français demandera à négocier qu’un nouvel accord sera trouvé ; quant à tous ceux qui demandent l’abrogation pure et simple du texte, comment faire sans sortir de l’UE ? En outre, un travailleur est qualifié de détaché « s’il travaille dans un Etat membre de l’UE parce que son employeur l’envoie provisoirement poursuivre ses fonctions dans cet Etat membre ». Or, ce n’est que l’application des libertés de circulation prévues dès le Traité de Rome de 1957.

La plupart des candidats exagèrent l’importance de la question des charges sociales du pays d’origine, car les travailleurs détachés qui viennent chez nous sont essentiellement peu qualifiés (83% d’ouvriers), payés au niveau du SMIC, pour lequel les charges sociales en France ont été allégées : l’écart est donc minime et il n’est important que pour les salaires plus élevés. En sens inverse, presque tous oublient qu’il y a de nombreux travailleurs français détachés dans les autres pays de l’UE (125 000 selon les statistiques de 2015). Comme dans tout protectionnisme, empêcher les uns d’entrer, c’est empêcher les autres de sortir !

Ne plus appliquer la directive, c’est construire une usine à gaz

De plus, tous se trompent de texte: ce n‘est pas de la directive de 96, sur les travailleurs détachés, que date la question des charges sociales du pays d’origine, et suspendre la directive ne changerait pas ce point. En effet, c’est dès le début des années 60 qu’une directive a donné au travailleur la possibilité de rester affilié au régime d’origine, pour ne pas changer sans cesse de régime et faciliter la mobilité. Ce point est repris dans le règlement de 2004 sur la sécurité sociale, qui ne peut être modifié que par accord unanime. De plus, en pratique, le détachement moyen en France est de 47 jours ; on imagine l’usine à gaz si, pour 47 jours, ces travailleurs devaient s’affilier, puis se désaffilier à notre sécu!

Tout cela ne sert qu’à faire des effets d’estrades, occultant les vraies questions. Pourquoi les Français ne veulent-ils pas remplir ces emplois ? Parce qu’ils sont mal payés ? Les entreprises pourraient les payer plus si, pour les salaires plus élevés, les charges françaises n’étaient pas écrasantes. De plus, chez nous, le travail manuel est dévalorisé, tout le monde voulant être bachelier et entrer à l’université dans des filières sans débouchés.

Le vrai débat, c’est celui sur la concurrence et les réformes !

Ce que cache mal ce débat, c’est le refus de la majorité de la classe politique de l’ouverture des frontières, les travailleurs détachés n’étant qu’un prétexte. C’est le refus de la concurrence réputée déloyale. Mais si les conditions sont les mêmes partout, où est la concurrence ? Or seule la concurrence pousse nos entreprises à s’adapter sans cesse ; fermer les frontières nous priverait de ce dont nous avons besoin, pénaliserait les consommateurs, mais surtout laisserait nos entreprises s’endormir, protégées du vent du grand large : chute immédiate de la productivité et de l’innovation. Le refus de tous les nouveaux traités de libre-échange, la volonté de remettre en cause les espaces -pourtant réduits- de liberté en Europe, tout cela va dans le même sens.

Ce que masque au fond ce débat, c’est le refus des réformes. L’essentiel pour les politiques est d’empêcher les Français de découvrir que notre sécurité sociale est plus coûteuse qu’ailleurs, pour des services parfois plus médiocres, car la directive sur les travailleurs détachés et l’application, même marginale, des cotisations plus faibles des pays d’origine ont une vertu pédagogique, celle de toute concurrence : voir nos défauts –ici ceux de la sécu- et nous inciter à mettre en œuvre des réformes. Ce n’est donc pas une question anecdotique, mais le symptôme des blocages d’une majorité de la classe politique française.

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