Etat de droit, législation, philosophie politique, économie, politique monétaire, politique sociale, gestion de l’Etat, l’autrichien Friedrich von Hayek est un penseur global du libéralisme. Spécialiste de ce personnage central de la pensée politique et philosophique libérale, Philippe Nemo explore dans son dernier livre l’ensemble des composantes de la philosophie de Hayek.
On peut ainsi saisir ce qu’un Etat de droit doit être selon Hayek, comment il doit fonctionner, comment l’appareil législatif doit être organisé. Certains pourront découvrir la théorie de la catallaxie, ou plus simplement théorie des échanges. La catallaxie est définit par Hayek comme « l’ordre engendré par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché. » (p.268) Hayek démontre que l’économie ne peut pas être efficiente si elle est organisée, planifiée : elle s’auto-organise par la « main invisible ». Si l’intérêt général et la mise en place de services et de biens publics se justifient, car collectifs par nature selon Hayek[1], il récuse la notion de justice sociale comme étant un non-sens scientifique.
Néanmoins, si Hayek refuse la redistribution socialiste des richesses, il se montre en faveur d’un revenu minimum (et non pas universel), inférieur « à la plupart des revenus perçus sur le marché », une sorte de filet de sécurité pour les plus malchanceux qui doit toutefois inciter le bénéficiaire à acquérir un emploi. Par ailleurs, ce revenu minimum ne peut inclure les personnes étrangères selon Hayek ; il le décrit comme suit : « Réserver aux citoyens d’un certain pays des dispositions leur assurant un niveau de vie plus élevé qu’au reste du monde, c’est en faire un privilège et cela implique certaines limitations au libre mouvement des hommes à travers les frontières ». (p.349) Hayek est un défenseur de l’égalité des chances, mais de l’égalité juridique. L’égalité des chances ne peut pas être imposée en taxant l’héritage fortement afin que chaque individu commence sa vie égalitairement. Résumant la pensée de Hayek, Nemo explique qu’il faut considérer la situation de départ de chaque individu comme un état de fait, que la position « avantageuse » d’une personne par rapport à une autre « sont le fruit d’efforts antérieurs, en particulier à l’intérieur des familles. Or, pour que ces efforts aient lieu, ce qui est indispensable pour l’intérêt général, il faut que ceux qui les font puissent penser que les fruits n’en seront pas confisqués à leur mort. […] Si l’on décide d’égaliser les conditions à chaque génération, on enlève donc presque toute rationalité au choix que font les producteurs de saisir les opportunités qui se présentent à eux. » (p.352)
Avec Friedrich Hayek, nous faisons également de l’histoire de la philosophie politique. En effet, la société libérale n’a pas toujours existé : elle est pour lui le fruit d’une évolution dont les prémices remontent à l’Antiquité. La société libérale est une « émergence évolutionnaire ».
Evoquant le fonctionnement démocratique et les institutions politiques, Hayek estime que l’Etat de droit doit exercer un pouvoir négatif. En d’autres termes, l‘Etat ne doit pas être le tuteur, le guide des citoyens d’une nation et ne doit pas exercer de contrainte sur la vie des individus. Selon Nemo, « les hommes politiques qui comprendront qu’ils ne doivent pas avoir d’ambition plus élevée que de protéger efficacement, contre les troubles intérieurs et l’ennemi extérieur, le cadre des libertés de leurs concitoyens, seront de ce fait non-seulement les vrais libéraux, mais encore les créateurs de la politique moderne et les accoucheurs d’un nouveau rythme de progrès civilisationnel. » (p.512) En somme, même l’idée de pouvoir politique est contraire à une société d’hommes libres.
Hayek nous alerte sur le risque d’autoritarisme de l’Etat, de l’emprise du pouvoir politique et d’une gestion étatique de l’économie. Pour rejoindre l’actualité, Hayek, dit Nemo, « a été témoin des effets désastreux de l’inflation, provoquée soit accidentellement par les actions imprudentes des gouvernements, soit délibérément par l’application de théories économiques erronées ». (p. 615) Pour Hayek, le monopole d’émission monétaire est désastreux, il conduit à des crises économiques récurrentes. Ainsi, la solution à l’inflation serait de priver l’Etat de son monopole d’émission monétaire, et ainsi permettre la création et l’usage de monnaies privées et concurrentes.
Cet ouvrage est un très bon résumé de la riche pensée de Friedrich August von Hayek. Si nous vous recommandons sa lecture, nous vous invitons également à lire les ouvrages majeurs de l’économiste et philosophe autrichien, en particulier La route de la servitude et Droit, législation et liberté, dont la version de 2013 publiée aux Presses universitaires de France est préfacée par Philippe Nemo.
[1] Ces biens et services collectifs sont limités : par exemple le maintien de l’ordre public, la protection contre des épidémies ou des catastrophes naturelles, la création et l’entretien de certaines routes, le cadastre et des cartes, les statistiques, etc.