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Quand un patron fait entrer la nature à son conseil d’administration

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Une entreprise écossaise a nommé un administrateur représentant la nature à son conseil d’administration. C’est une illustration supplémentaire de ce que l’on appelle l’animisme juridique qui n’est, ni plus ni moins, qu’une perte de sens inquiétante. Surtout de la part de dirigeants d’entreprise.

En novembre 2022, l’entreprise écossaise de produits de beauté Faith in Nature nommait la nature à son conseil d’administration, avec le titre de directeur non-exécutif !

Un droit de vote pour les non-humains !

Une association – Notre affaire à tous – cherche depuis lors à inciter des entreprises françaises à faire de même. La responsable du projet au sein de l’ONG a déclaré au journal Les Échos : « Nous attendons que le modèle de gouvernance des entreprises se transforme pour intégrer le vivant dans leur modèle économique ». La nature deviendrait ainsi un « acteur décisionnel » de l’entreprise.

Un anthropologue, Frantz Gault, interrogé aussi par Les Échos, s’est réjoui de cette initiative : « Nous arrêtons enfin de traiter la nature comme un objet, comme un esclave. Aujourd’hui, nous sommes prêts à traiter les non-humains comme des êtres vivants ayant une volonté et des intérêts ». Il souhaite que l’on donne des actions aux « non-humains qui travaillent ou contribuent au succès de l’entreprise ». Il ne s’agirait pas forcément de leur donner la majorité des actions, mais de leur en donner suffisamment pour qu’ils aient « un pouvoir de vote significatif, voire un pouvoir de veto sur les sujets environnementaux ».

Penser que la nature puisse avoir une volonté et qu’elle soit capable de voter lors d’un conseil d’administration relève de l’animisme, un système de pensée qui considère que la nature est animée et que chaque chose y est gouvernée par une entité spirituelle ou âme. Un autre anthropologue, Edward Tylor, définissait, en 1871, l’animisme comme « la croyance selon laquelle la nature est régie par des esprits analogues à la volonté humaine ». Le vaudou et le shintoïsme, par exemple, sont des formes d’animisme.

 Une suite logique des mesures socio-écologistes récentes ?

L’initiative de Faith in Nature et l’action menée par Notre affaire à tous paraîtront incongrues, pour ne pas dire plus, à un grand nombre d’entre nous. Elles s’inscrivent pourtant dans la suite logique de toute une ribambelle de mesures récentes. La loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019, par exemple, a renforcé la responsabilité sociale des entreprises (RSE) en spécifiant que leur finalité doit prendre en compte les intérêts sociaux et l’environnement. De même que le Say on climate, que le Parlement a failli imposer aux entreprises cotées, qui consiste à faire voter une stratégie climatique par le conseil d’administration.

Comment s’étonner, par ailleurs, que la nature puisse siéger dans un conseil d’administration quand on sait qu’un tribunal d’Équateur a reconnu, lors d’un procès, que les droits de la rivière Vilcabamba étaient menacés par le projet de développement d’une route ? Ou bien que l’Ouganda a donné à la nature « le droit d’exister, le droit au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, ses fonctions et son évolution » ? Ou encore que la Nouvelle-Zélande accorde à une forêt les mêmes droits juridiques qu’à un citoyen ?

 Des discussions sans fin

Tout cela va, bien évidemment, soulever des questions et susciter des discussions à n’en plus finir. Par exemple, quand on parle de nature, de quoi s’agit-il exactement ? Parle-t-on des plantes, des roches, de l’atmosphère, des sols, etc. ? Les volcans polluent l’atmosphère avec leurs éruptions, en ont-ils le droit ? Le pétrole a-t-il le droit de jaillir spontanément du sol et couler dans le lit de la rivière voisine ? La nature est-elle responsable des dégâts causés il y a quelques jours par la tempête Ciaran ? Va-t-elle les réparer ou indemniser les victimes ?

En Bolivie, où l’article 71 de la constitution stipule que « la nature ou Pacha Mama a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs », certains se sont  demandé s’il serait possible de faire un procès si un moustique piquait un humain.

Autre question : qui représente la nature ? Car, quel que soit le bout par lequel on aborde le sujet, on est bien obligé de constater que la nature ne peut pas vraiment s’assoir à la table du conseil d’administration. Elle ne peut être que représentée par un humain. Les religions animistes ont d’ailleurs, la plupart du temps, besoin d’un chaman pour interpréter les manifestations des « non-humains ». Comment le choisir ? Parmi les associations écologistes ? L’entreprise Faith in Nature a choisi de donner le siège à des juristes, deux avocates représentant l’une, Earth Law Center, l’autre, Lawyers for Nature. Perçoivent-elles des jetons de présence ou ceux-ci sont-ils jetés dans la nature ?

Une opération financière et une campagne de communication

L’intérêt qu’a une ONG comme Notre affaire à tous de promouvoir l’entrée de la nature dans les conseils d’administration n’est-il pas avant tout financier ? Quelle aubaine, en effet, de pouvoir siéger comme administrateur chez LVMH et percevoir à ce titre 67 531 € ! Quelle manne si l’association devient le chaman de la nature dans le plus grand nombre de conseils d’administration possible !

Quant aux entreprises qui se lancent dans cette aventure, ne cherchent-elles pas à faire parler d’elles ? Le conseil d’administration de Faith in Nature continuera à prendre ses décisions à la majorité. La voix de la nature pourrait donc ne pas vraiment compter dans la prise de décisions.

On le voit, il n’est pas exclu qu’il ne s’agisse, en réalité, que d’une opération financière pour le représentant de la nature, et d’un coup de com’ pour l’entreprise.

 La négation de l’humain

Cependant, doter la nature de droits identiques à ceux de l’homme, lui donner une voix, revient à nier la spécificité de l’humain. Comme l’a écrit Jean-Philippe Delsol dans son ouvrage Civilisation et libre arbitre, « ce qui a fait la grandeur de l’Occident fut sans doute de croire que l’homme est précisément celui qui a en lui la liberté et le pouvoir de penser et de faire, la volonté qui lui permet d’exécuter, ou non, ses projets, de passer à l’action. N’est-ce pas un trait qui le différencie de l’animal ? ». Et de la nature, des tempêtes, des volcans, des fleuves et des arbres, pourrions-nous ajouter.

C’est parce qu’il est capable de déterminer ses actes par lui-même que l’homme est responsable. Ce n’est pas le cas de l’animal, ni de la nature. Vouloir « humaniser » la nature revient à déshumaniser l’homme. Voire à le faire disparaître.

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8 commentaires

GERALD AQUILINA 17 novembre 2023 - 9:35

Beaucoup de pays en voie de développement ne se posent pas toutes les questions que nous mettons en avant de manière plus que matérialiste et ils ont chez eux la vraie connaissance de ce qu’est la nature. Ils la défendront mieux que nous tout en avançant vers une industrialisation raisonnée, pendant que nous continuerons à détruire systématiquement ce qui est la base de l’existence humaine sur cette planète

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Périé 17 novembre 2023 - 10:17

Je pense que c’est un pas en avant qu’une personne représente la nature dans un conseil d’administration. Mais ce n’est probablement qu’une étape intermédiaire, qui disparaitra lorsque l’homme aura évolué un peu plus pour intégrer complètement et naturellement la nature dans ses décisions.

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Robert Pélissier 19 novembre 2023 - 10:56

Oui, traiter la nature comme un être conscient et responsable n’a pas de sens. Contentons nous de faire vivre la société des humains en harmonie avec elle et ce sera bien. Nous sommes des êtres vivants issus de millions d’années de sélection naturelle et nous avons été construits dans toutes nos cellules pour vivre avec la nature, il faut donc la respecter et la garder vivante sinon le monde sera invivable.
Je ne suis pas d’accord avec la vision binaire d’un être humain seul animal à être animé d’une volonté consciente et intelligente à l’opposé des animaux qui seraient habités uniquement par l’instinct. La réalité des êtres vivants montre une gradation de cette volonté. Les animaux les plus développés comme les grands singes, les cétacés et d’autres encore démontrent des capacités d’apprentissage, d’utilisation d’outils et même de coopération avec d’autres espèces, ceci sans intervention humaine. Ce type de performances n’est possible qu’avec un niveau non négligeable de volonté consciente et intelligente. Je pense que l’être humain est simplement dans ce domaine beaucoup plus performant que toutes les autres espèces.

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Boisgontier 17 novembre 2023 - 11:56

Les excès de la destruction de la Nature et du vivant ont progressivement amené à cette prise de conscience puis à des réactions et actions parfois hors de propos. Mais, le problème est que face aux constats alarmants de ces destructions du fait de l’être humain, peu de mesures intelligentes sont prises (en dépit des rotomontades des hommes politiques) et la Nature sombre de plus en olus dans le chaos. Alors, comment s’étonner de telles réactions?

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Gualap 17 novembre 2023 - 12:18

Il faudrait qu’une touffe d’herbe puisse nous dire ce quelle pense de la présence d’un bovin dans son pré !!!
Quand disparaîtrons tous ces écolos débiles ?

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Nounours 17 novembre 2023 - 8:27

Vous avez raison, heureusement que le ridicule ne tue pas !!!

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tardy 18 novembre 2023 - 10:42

Pour en arriver là il va falloir faire disparaitre la moitie de l(humanité sinon il n’y aura pas de place pour tout le monde

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AlainD 18 novembre 2023 - 4:52

En effet, faut il voir là autre chose qu’un coup de « com' » -non sans danger pour l’avenir- et un bon moyen pour des associations plus ou moins écolos de gagner de l’argent qui reste le nerf de la guerre.
Allons nous un jour arriver à connaître des freins au développement des entreprises pour cause de mère nature lesquels freins viendront s’ajouter au pouvoir des syndicats ? Dans ces conditions il ne faudra peut être pas s’étonner de voir partir les entreprises à moins qu’elles soient contrôlées par des puissances étrangères qui feront peu de cas de billevesées…

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