Entretien avec Madame Catherine Regnault-Roger, professeur émérite à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, membre de l’Académie d’agriculture de France et de l’Académie nationale de Pharmacie, auteur d’Enjeux biotechnologiques, des OGM à l’édition du génome, paru aux Presses des Mines.
Aymeric Belaud : Vous venez d’écrire un livre intitulé Enjeux biotechnologiques. Pouvez-vous décrire pour les lecteurs de l’IREF ce qu’est une biotechnologie végétale ? Est-ce forcément un OGM ?
Catherine Regnault-Roger : Les biotechnologies appliquées aux végétaux ont été mises en œuvre de manière empirique au départ, puis avec les progrès des connaissances, les phénomènes observés ont reçu des explications. Ce qui change au XXe siècle, avec le développement du génie génétique qui s’appuie sur les avancées de la chimie, de la biochimie, de la génétique et de la génomique, c’est que, non seulement on comprend ce qui se passe, mais on est capable de provoquer une modification des gènes des cellules d’un organisme vivant avec des outils de laboratoire, au lieu de laisser faire le hasard.
Il est important de souligner que la modification génétique des êtres vivants est un processus naturel de l’évolution qui permet leur adaptation à l’environnement. Avec les outils du génie génétique, on choisit les propriétés que l’on veut obtenir au laboratoire sans dépendre d’une découverte fortuite dans la nature. Les techniques du génie génétique obtiennent des résultats plus rapidement que les croisements des individus d’une même espèce ou des espèces sexuellement compatibles tels qu’ils sont pratiqués par les sélectionneurs.
Diverses techniques ont donc été mises en œuvre parmi lesquelles la mutagenèse aléatoire dès les années 1940 et la transgenèse dans les années 1980. Les produits issus de cette dernière sont réglementés comme OGM dans la plupart des pays. Cette réglementation n’est pas mondiale mais nationale, c’est-à-dire qu’elle n’est pas identique dans tous les pays. Il existe aussi de nouvelles techniques, les New Genomic Techniques (NGT), qui datent d’une vingtaine années et dont les dernières sont désignées sous le vocable d’édition du génome (genome editing). Dans de nombreux pays, on considère que les produits issus des NGT ne sont pas forcément des OGM. Donc, pour répondre précisément à votre question, les biotechnologies végétales ne produisent pas uniquement des OGM.
AB : Certains responsables politiques évoquent la possibilité de réduire considérablement l’usage des produits phytosanitaires. C’est également une demande d’une partie des consommateurs. Selon vous, est-ce viable à court-moyen terme ? En quoi les biotechnologies végétales pourraient-elles jouer un rôle dans ce domaine ?
CRR : La réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, par exemple des insecticides, est déjà effective avec la culture de variétés transgéniques comme le maïs MON 810. Celui-ci, cultivé depuis les années 2000, est modifié pour produire une protéine qui est toxique pour deux insectes ravageurs majeurs de cette culture, la pyrale du maïs et la sésamie, très présents en France. Ce maïs OGM, toujours cultivé en Espagne et au Portugal, ne nécessite plus d’applications insecticides pour contrôler ces insectes. Donc oui, les biotechnologies végétales offrent des perspectives de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires pour certaines cultures. Les nouvelles biotechnologies NGT sont encore plus prometteuses car elles sont plus faciles à mettre en œuvre et plus précises. Et l’éventail des applications est considérable, non seulement pour mieux contrôler les ravageurs et les agents pathogènes de culture sans utilisation de produits phytopharmaceutiques, mais aussi pour permettre de faire face aux changements climatiques.
AB : Les aliments issus des biotechnologies végétales offrent-ils les mêmes apports nutritifs que ceux qui sont issus de l’agriculture conventionnelle ou biologique ?
CRR : Un maïs génétiquement modifié ne diffère pas des autres maïs sur le plan nutritionnel, et il existe des réglementations « Novel foods » dans divers pays dont le but est de s’assurer que les nouveaux aliments autorisés à la commercialisation le sont en parfaite sécurité alimentaire.
Les biotechnologies végétales permettent aussi de produire des plantes alimentaires « biofortifiées ». Elles sont modifiées pour accroître la valeur nutritive des parties comestibles (graines, fruits, tubercules et/ou feuilles) ou pour améliorer leur profil nutritionnel en augmentant les teneurs de nutriments recherchés et en diminuant celles de composés indésirables. Ainsi il existe des huiles de soja OGM avec plus d’acides gras polyinsaturés mais le plus bel exemple de plante alimentaire OGM biofortifiée est celui du riz doré, un riz génétiquement modifié pour produire de la provitamine A et lutter ainsi contre une cécité précoce qui affecte de nombreux enfants, une maladie très présente dans les pays en développement.
Les NGT produisent aussi des plantes au profil nutritionnel amélioré : parmi les premiers produits commercialisés, en 2021, la tomate japonaise, la Sicilian Rouge high Gaba, une nouvelle variété. Elle est conçue pour contenir des niveaux élevés de l’amino-acide Gaba (acide gamma-aminobutyrique) qui favoriserait la relaxation et contribuerait à abaisser la tension artérielle : elle rejoint la catégorie des alicaments.
AB : Pour certains, l’édition du génome et les OGM conduiraient à une « déformation du vivant » par l’homme. Que répondez-vous à cela ?
CRR : Qu’ils ont des notions de la biologie des organismes plus que fantaisistes ! L’essence même du vivant, c’est sa plasticité, son adaptation aux changements qui sont continuels pour faire face aux évolutions de son environnement, c’est-à-dire de son écosystème. Cette adaptation nécessite des réponses de l’organisme vivant qui modifie ses structures ou son fonctionnement, c’est-à-dire sa constitution, par exemple changement du phénotype (aspect externe) ou du métabolisme interne. Un organisme vivant ne reste pas figé : il évolue aussi tout au long de sa vie. Chez les organismes supérieurs, on observe par exemple trois stades qui se différencient clairement : la jeunesse (croissance), l’âge adulte (état pseudo-stationnaire) et la sénescence (perte de fonctions). Un organisme vivant est dynamique par définition, il se « déforme » continuellement sinon il n’est pas vivant.
En ce qui concerne l’inquiétude de créer des « anomalies » jugées comme « monstrueuses », qui est sous-tendue par cette assertion, on soulignera que de nombreuses variétés végétales issues des NGT ne peuvent pas être biologiquement distinguées des espèces naturelles ou des espèces obtenues par une sélection classique ; et les recherches biologiques des vingt dernières années ont mis en évidence le fait qu’il existe des organismes naturels, c’est-à-dire non modifiés par l’homme, dont les génomes résultent de mutagenèse et de transgenèse intervenues spontanément.
AB : Quels sont pour vous les principaux objectifs de l’agriculture française de demain ? Doit-elle évoluer vers un modèle plus « résilient » ? Plus productiviste ? L’agriculture biologique peut-elle être une réponse aux enjeux climatiques ?
CRR : L’agriculture française de demain n’est pas différente de celle d’aujourd’hui sur le plan technologique : l’agriculture est déjà connectée et numérique ; la place des biotechnologiques devrait être augmentée car c’est l’un des meilleurs moyens pour faire face aux changements climatiques. Cela suppose de surmonter l’obstacle réglementaire de l’Union européenne basé sur des réticences sociétales : il faut contrer le discours décroissant qui est un choix politique de société générateur d’un avenir de misère, si ce n’est pour tous, du moins pour les plus vulnérables.
L’agriculture du futur sera une agriculture plus robotisée, plus mécanisée, plus connectée avec des semences ou des animaux d’élevage aux performances améliorées grâce aux biotechnologies : des cultures qui résistent mieux aux maladies (virus, champignons, bactéries) et aux insectes ravageurs, qui s’adaptent à la sécheresse (exemple le maïs africain TELA) et aussi aux excès d’eau (recherches de l’université de Tsukuba), des animaux qui résistent mieux aux maladies ou au froid.
L’agriculture de demain est vouée à être productive (et non productiviste car elle produit à bon escient) pour faire face à la démographie avec une population humaine estimée à 9,7 milliards en 2050. Elle doit évoluer en devenant une agriculture à bas carbone privilégiant l’approche « écologiquement responsable », pour reprendre le concept de Michel Griffon, une agriculture qui s’appuierait sur plus de technologie et de science pour mieux comprendre les interactions entre les organismes au sein des agrosystèmes et mieux gérer la finitude de la planète.
A propos de votre dernière question sur l’agriculture biologique, il faut souligner qu’elle a un cahier des charges obsolète refusant le progrès génétique et technologique, ce qui explique les faibles rendements qu’elle obtient aujourd’hui. Saura-t-elle évoluer pour faire face aux défis du futur, dont celui du changement climatique ? On peut aussi se demander quand les pouvoirs publics français arrêteront d’encourager et de subventionner avec l’argent du contribuable cette agriculture pétrie d’idéologie qui n’a que des obligations de moyens et pas de résultats.
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3 commentaires
Merci de cette analyse, qui me paraît très claire et pertinente, à diffuser dans la cacophonie idéologique ambiante.
Un beau pavé dans la mare, merci.
Cette analyse me plait car elle est en phase avec le bon sens.
Par contre s’en servir d’argument contre la décroissance ressemble un peu à du détournement! (a moins que l’on considère l’humanité comme un cheptel de consommateurs qu’il faudra faire croitre et nourrir…) C’est quand même plus compliqué que cela.