Après la fameuse « taxe Google », un nouveau projet de taxe sur les plateformes vidéos – appelé « taxe YouTube » – a été adopté mercredi dernier en Commission des finances dans le cadre de l’élaboration du projet de loi de finances (PLF) 2017. L’amendement, déposé par les députés socialistes Karine Berger, Bruno Le Roux et Pierre-Alain Muet, propose de créer une nouvelle taxe de 2 % sur le chiffre d’affaires des plateformes gratuites ou payantes de diffusion en ligne de contenus audiovisuels[[L’amendement prévoit également de taxer les sites de vidéos à caractère pornographique ou d’incitation à la violence à hauteur de 10 % et d’introduire un abattement de 100 000 € sur la base d’imposition liée aux revenus des créateurs de contenus. En outre, les revenus publicitaires des plateformes feraient aussi l’objet d’un abattement forfaitaire de 4 % tandis que cet abattement serait porté à 66 % pour les contenus publiés par les utilisateurs privés, comme la plupart des YouTubeurs amateurs. Reste à savoir comment l’État fera la différence entre un amateur et un professionnel, car cela risque poser d’énormes problèmes pour la récolte de la taxe.]].
Dans le cas des plateformes payantes comme Netflix ou CanalPlay, la taxe sur le chiffre d’affaires serait assise sur les revenus issus du prix de l’abonnement au service. Tandis que pour les plateformes à accès gratuit comme YouTube ou DailyMotion, l’assiette fiscale de la taxe porterait sur les revenus issus de la publicité en ligne. L’introduction de cette nouvelle taxe sur les recettes publicitaires ou les revenus liés aux abonnements de ces plateformes risque toutefois d’avoir des effets contreproductifs, d’accentuer le monopole des grandes plateformes en France et de faire fuir les annonceurs et les régies publicitaires à l’étranger.
L’inefficacité, la nocivité et les effets contre-productifs d’une « taxe YouTube »
L’objectif principal défendu par les promoteurs de la taxe sur les plateformes de vidéos en ligne est de combattre les pratiques d’optimisation fiscale des grandes entreprises américaines comme Google. Si Google détient 30,9 % des parts de marché de la publicité en ligne à l’échelle mondiale, bien que cette part soit en déclin depuis 2014, YouTube ne représente qu’environ 10 % du chiffre d’affaires net total de Google (8,5 Md$ sur 74,5 Md$ en 2015). Toutefois, YouTube ne faisait pas de bénéfices jusqu’en 2014 au moins, et son chiffre d’affaires était deux fois moins élevé en 2014. Et si YouTube capte près de 27 % des investissements en publicité vidéo dans le monde (soit 16,1 Md$ en 2015), il serait contraire au principe d’égalité devant le droit d’instaurer une taxe pour une seule entreprise.
D’autant que si la taxe veut s’attaquer à Google en premier lieu, elle va toucher d’autres secteurs du numérique que les plateformes de partage de vidéos en ligne, comme les services de vidéo à la demande (VoD), et tout autant des acteurs étrangers (YouTube, Vimeo, Netflix, etc.) que des entreprises françaises (DailyMotion, CanalPlay, VidéoFutur, Orange TV, MYTF1VOD, etc.). L’instauration d’une taxe sur la valeur ajoutée des plateformes de vidéos en ligne serait en plus un très mauvais signal envoyé aux entreprises du numérique, qui sont encore souvent à la recherche d’un modèle durable de financement. La France risque de se marginaliser alors que le marché unique du numérique suppose des règles fiscales et un cadre réglementaire et douanier relativement homogène pour favoriser le commerce transfrontalier.
En outre, la taxation des recettes publicitaires de ces sociétés serait absurde économiquement à plus d’un titre :
(a) Tout d’abord, au lieu de sanctionner les grandes entreprises étrangères du numérique comme Google, la taxe concernera en priorité les plateformes françaises qui ne peuvent pas héberger d’annonces publicitaires à l’étranger, et qui auront de plus en plus de mal à attirer les annonceurs étrangers, ainsi que les petites plateformes, car une taxe de 2 % viendra rogner les faibles marges – si elles en ont encore – qu’elles dégagent des revenus de la publicité.
(b) Au demeurant, la taxe sera sans doute également supportée en partie par les annonceurs et les créateurs de contenus, car les plateformes pourront répercuter la perte engendrée sur les tarifs appliqués aux publicitaires, abaisser la rémunération des éditeurs ou bien délocaliser l’accueil de contenus publicitaires auprès d’annonceurs étrangers.
(c) Enfin, cette taxe risque d’entraîner une diminution des recettes publiques, ou en tout cas son produit pourrait être amplement limité, car les annonceurs pourraient faire leurs achats d’espaces de publicité en ligne à l’étranger, ce qui entraînerait non seulement la perte des recettes de la taxe, mais également la perte des recettes perçues au titre de la TVA qui est due sur tout achat de services publicitaires.
Pour financer la création audiovisuelle, faisons confiance au marché plutôt qu’aux taxes
Les défenseurs de l’amendement ont soutenu que la taxe doit permettre que les entreprises qui tirent un bénéfice de la diffusion des œuvres audiovisuelles participent au financement de leur création. Dès lors, l’affectation des recettes de la taxe pourrait revenir au Centre national du cinéma (CNC) sous réserve de conformité avec l’article 40 de la Constitution[[L’article 40 de la Constitution française du 4 octobre 1948 dispose : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. »]] et que Bruxelles ne retoque pas la mesure en dénonçant cette affectation comme une aide d’État illicite. Or, des services comme Netflix ou CanalPlay participent déjà directement non seulement au financement de la création d’œuvres cinématographiques, mais aussi à leur production – c’est par exemple le cas de la série Marseille chez Netflix ou de la série FRAT chez CanalPlay. Et comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) lui-même l’a reconnu en 2010, l’introduction d’un trop grand nombre d’obligations et de contraintes sur les services de vidéo à la demande risque de les pousser à délocaliser leurs activités. Il serait préférable de laisser les consommateurs de biens audiovisuels décider par eux-mêmes de ce qu’ils veulent financer. Les biens culturels n’ont pas besoin d’être financés par l’impôt : ils doivent comme tout autre bien de consommation répondre à la logique de la rentabilité.
Enfin, notons que la plupart des plateformes évoluent dans un cadre extrêmement concurrentiel, ne font pas ou relativement peu de bénéfices, et n’ont pas encore trouvé de modèle économique durable pour assurer la pérennité de leur activité. L’instauration d’une nouvelle taxe sur l’abonnement ou les recettes publicitaires de ces plateformes viendrait pénaliser le développement de ces services et entraînerait un nouveau déclassement de la France dans le secteur du numérique. Pour financer la création audiovisuelle, faisons plutôt confiance aux consommateurs et aux producteurs : une œuvre cinématographique de qualité sera financée bien volontiers par des services comme CanalPlay ou Netflix si elle est susceptible de rencontrer le succès et l’audience.