La fédération nationale du bois (FNB), reprenant les arguments des scieries, se lance dans une campagne visant à limiter les exportations de grumes[[Selon Larousse : tronc de l’arbre abattu, écimé et débarrassé du houppier ainsi que des branches.]], notamment vers la Chine. Leurs arguments ? Ces exportations renchérissent les prix d’achat de matières premières et les menaceraient. Ces exportations servent l’industrie chinoise qui renverrait des produits manufacturés en France au détriment de l’industrie française. Le sénateur (LR) Antoine Lefèvre relayait ainsi cette question à la Chambre, le 20 décembre dernier, en affirmant clairement qu’il fallait « soutenir l’industrie française, plutôt que son homologue chinoise de transformation du bois, en prônant une politique volontariste de régulation des exportations de grumes ». La réponse du ministère de l’agriculture rappelait pourtant qu’il existe déjà des mesures protectionnistes, avec notamment le label UE qui impose que certains lots bruts soient revendus exclusivement à des transformateurs européens.
Pourtant, la filière forestière ne se limite pas aux seules scieries. Les vendeurs de bois bruts, les propriétaires forestiers, les exploitants, les bucherons, les débardeurs et transporteurs ont tous à gagner de l’appréciation des cours des matières premières.
Mais le lobbying fonctionne à merveille puisque le gouvernement précédent se félicitait de ses plans pour la filière, mis en place en 2015. Alors qu’il se désolait du déficit commercial de la filière forêt-bois, il décourageait la vente de bois à l’export par des mesures protectionnistes réglementaires (label UE). La Chine était évidemment directement visée. D’autres barrières ont été mises en place, sanitaires notamment avec l’obligation de fumigation des grumes en enceinte fermée avant export. Cela renchérit évidemment largement les prix.
Les multiples usages du bois
La forêt produit de nombreuses essences qui ont chacune des qualités différentes et donc des usages divers. Une même essence possède aussi des vertus variées selon la partie utilisée. C’est pourquoi les acheteurs sont très divers. Qu’il existe des scieries entrant en concurrence directe avec des acheteurs étrangers peut donc devenir difficile à supporter économiquement. Mais par ailleurs, les importateurs asiatiques ont permis à des bois de moyenne qualité (traverses, bois noueux, tordus) trouvant peu de débouchés en France, d’être réévalués et mieux vendus par les exploitants, pour leur bénéfice direct et celui des propriétaires forestiers. Les prix de vente seraient de 20 à 30% plus élevés, s’établissant autour de 150 à 180 € par m3. Il faut ajouter à cela des facilités de paiement importantes allant jusqu’au paiement comptant, là où les scieries paient couramment à 60 ou 120 jours. Les parties les plus précieuses d’un chêne, destinées à la tranche et au merrain restent vendues en France à des prix jusqu’à six fois supérieurs. Les exportations concernent aussi des essences peu recherchées sur le marché intérieur comme le frêne, le peuplier ou les gros résineux, incitant les très nombreux propriétaires forestiers français (3,3 millions) à mieux exploiter leurs biens. Il existerait donc plus de complémentarités entre les marchés intérieurs et extérieurs qu’il n’y paraît. Selon le syndicat de la filière bois, défendant les intérêts des exploitants notamment, l’argument selon lequel produits transformés en provenance de Chine reviendraient concurrencer les industries françaises sur leur sol est faux : alors qu’en 2016 la consommation totale de parquet était en France de 8 155 000 m2, les importations en France de parquets chinois était de 224 941 m2, soit 2,8%. Le commerce est chose plus complexe qu’un simple échange entre deux uniques acteurs de marché.
La production de bois rond est assez stable depuis 2005 selon Eurostat même s’il existe de grandes variations selon les essences. Assez stable également, la part des sciages sur cette production est particulièrement faible en France, comparativement aux autres grands pays producteurs européens. Cela laisse penser qu’il existe des problèmes autres que la concurrence de l’export.
La campagne lancée par France Bois Forêt se donne comme objectif d’augmenter la consommation de bois en France. Celle-ci fait donc la promotion de l’utilisation du bois à travers différents usages. Mais ce qui ressort entre les lignes, c’est que pour augmenter la consommation nationale, certains acteurs souhaiteraient faire baisser les exportations de matières premières. Ils semblent très inquiets de la vague d’exportation vers la Chine très demandeuse. Il est très probable que les pouvoirs publics se montrent sensibles à ces arguments de survie et mettent en place des mesures protectionnistes.
Le protectionnisme comme fausse solution
Il est illusoire de croire qu’un quelconque protectionnisme favoriserait la filière dans son ensemble. Il ne favorisera que les acteurs situés juste en aval du blocage réglementaire que certains souhaitent voir instaurer. Plus loin dans la chaîne économique et jusqu’au client final, tous les produits coûteront d’avantage. Ou alors, les produits d’importation maintiendront leur compétitivité grâce à d’autres sources d’approvisionnement et alors toute la filière aura perdu des plus-values potentielles. En amont, des propriétaires aux négociants, toute la chaîne sera lésée d’une augmentation potentielle du marché mondiale.
Ainsi, il faut réaffirmer la liberté de commerce, qu’elle soit pour l’exploitant de matières premières, pour celui qui la transforme ou enfin pour l’artisan. Aucun d’eux ne peut ou ne doit exiger quoique ce soit de l’Etat pour l’avantager. Sinon, qu’il soit prêt à supporter que bientôt ce soit les autres qui soient privilégiés par l’Etat à son détriment. Ce jeu dangereux a des conséquences néfastes au-delà même de la filière bois : c’est par exemple le port du Havre qui pâtit des mesures de restriction des exportations en faveur de ses concurrents anversois et barcelonais. Laissons la liberté de commercer, les consommateurs y trouveront leur compte.
Des rendements faibles
La forêt n’offre pas de rendements très attrayants. Ils sont en moyenne de 2%, hors plus-values potentielles. La forêt est surtout un moyen de défiscalisation ou un bon véhicule de transmission. Il apparait que les prix à l’hectare augmentent régulièrement (2 180€/ha en 1997 à 4100/ha en 2016 selon les SAFER), les prix des grumes augmentent donc également.
Enfin, la production de bois ne se fait pas à l’échelle d’une vie humaine (un chêne met 200 ans pour grandir), ceci rend difficile toute organisation de la filière et doit inciter à la plus grande prudence en la matière. Le commerce est une chance, il profite aujourd’hui aux propriétaires ; le contexte peut s’inverser dans les années qui viennent. Le législateur doit se garder d’intervenir plus qu’il ne l’a déjà fait.