Depuis plus de trente ans, le lent déclin de l’industrie hexagonale a entraîné un creusement progressif du déficit de la balance commerciale compensé, jusque dans les années 2000, par l’excédent de la balance des invisibles, qui continue d’ailleurs de jouer son rôle d’amortisseur en 2022.
Au sein de cette balance des invisibles, le tourisme, secteur fort de notre économie, joue aussi correctement un rôle de contrepoids. Avec 90 millions de touristes accueillis, il concentrait avant la crise 7,5 % du PIB, il permettait de limiter les mouvements de fonds vers l’étranger (63 % des recettes étaient issues de clients français) et d’en attirer vers notre pays. Comme le constate Atout France, le solde voyage de la balance des paiements est d’ailleurs redevenu largement excédentaire avec la fin de la crise.
Cette première place du podium en termes de fréquentation touristique laisse toutefois un goût d’inachevé, la France n’étant que troisième pour la création de valeur ajoutée touristique, derrière les États-Unis et l’Espagne.
L’action publique s’est en effet contentée, à grand frais, de mettre le patient sous perfusion sans se préoccuper des transformations structurelles à effectuer pour exploiter les immenses potentialités qu’offrent les richesses de notre patrimoine.
Pendant la crise sanitaire, les acteurs du monde touristique ont fortement capté les subsides de l’État
Comme le souligne la Cour des comptes, 98 % des entreprises du secteur ont reçu des aides publiques pendant la crise d’un montant total de 45,5 Mds€, ce qui leur a permis d’accroître leur niveau de trésorerie de 50 % durant cette période.
Dans le détail, 30,9 Mds€ (dont 10,6 Mds€ pour les dispositifs d’activité partielle et 17,2 Mds€ pour le fonds de solidarité destiné à compenser les baisses d’activité liées aux restrictions sanitaires) ont été alloués sous forme de subventions. Cela représente 40 % du total des aides distribuées aux entreprises, le secteur du commerce ayant capté 15 % des subventions et l’industrie seulement 6 %. À titre d’exemple, le montant moyen de l’aide, par structure touristique, s’est élevé à 64 000€, soit trois fois plus que la moyenne générale des aides versées aux entreprises.
Les PGE (prêts garantis par l’État) ont coûté globalement 13,7 Mds€ aux pouvoirs publics et ont eux aussi été captés plus fortement par le secteur touristique que par les autres secteurs de l’économie. Notons au passage que les dispositifs d’aides Covid ayant pris fin l’année dernière, il est probable, au vu de l’augmentation du coût du crédit souscrit auprès des banques, que le remboursement des PGE suscitera des pleurs et des grincements de dents.
Dans l’ensemble, le soutien public a compensé les pertes des sociétés du monde touristique à hauteur de 25 % de leur chiffre d’affaires (contre 11 % pour le commerce par exemple) et 88 % de leur bénéfice brut. Ce chiffre monte même à 125 % pour le sous-secteur de l’hébergement et de la restauration !
Assez logiquement, le nombre de faillites a diminué de 44 % en 2020 et 2021 par rapport à 2019, suivant ainsi le mouvement de l’ensemble du secteur privé. Mais cela ne pouvait durer. Sans surprise, la Banque de France constatait en décembre 2022 que le flux des faillites dans l’hébergement restauration avait plus que doublé par rapport à celui de l’année précédente.
Nombre de défaillances par secteur – cumul sur les douze derniers mois
L’État est donc venu à la rescousse des canards boiteux qui ont fini par déposer leur bilan. Or, d’autres pays ayant une économie touristique comparable à la nôtre, se sont montrés bien plus économes dans l’utilisation de leur deniers publics.
Le Gouvernement espagnol par exemple, avait décidé un plan d’aides de 11 Mds€ (dont 3 Mds€ de prêts) ce qui n’a pas empêché le secteur hôtelier de retrouver son niveau d’avant-crise à la fin de l’année dernière. Au mois de septembre 2022, selon Atout France, les recettes touristiques internationales du pays dépassent d’ailleurs les nôtres de 9 Mds€ en année glissante (54 contre 45 Mds€) et avec un rebond bien plus marqué (191 % contre 83 %) pendant la même période.
Malgré la reprise, le secteur investit peu dans sa transformation et peine à attirer les profils qualifiés
Avec la fin de la pandémie, la fréquentation touristique a repris son cours naturel et les touristes européens se sont mêmes substitués à ceux qui venaient du Japon, de Chine et de Russie : dès le mois de mai de l’année dernière, les recettes touristiques internationales ont dépassé celles qui avaient été observées deux ans auparavant.
Cependant, dans un contexte international de forte concurrence et devant l’impérieuse nécessité d’investissements rapides dans sa compétitivité structurelle (qui correspond notamment à l’amélioration de la qualité du service et à une meilleure communication), le secteur se trouve malencontreusement confronté à un problème de pénurie d’emplois dans un domaine où la mécanisation peut difficilement générer des économies d’échelle.
Traditionnellement, un tiers des employés de l’hébergement-restauration tourne chaque année, soit environ 450 000 personnes ; mais entre 2020 et 2021, quelque 237 000 candidats manquaient à l’appel, les emplois dans le secteur étant perçus comme peu attractifs et mal payés.
Face à cette pénurie, que l’on peut estimer entre 200 et 300 000 postes pour 2023, la réaction logique du marché est d’augmenter les salaires qui devraient progresser de 16 % cette année. Or, le coût complet du travail est exorbitant en France et constitue un frein au bon fonctionnement du marché de l’emploi puisqu’il décourage les embauches et concentre les exonérations de charges sociales sur les rémunérations les moins importantes, créant un effet de « trappe à bas salaires » et un goulet d’étranglement pour le recrutement dans les métiers qualifiés, justement en tension.
En somme, l’État a trop largement soutenu le monde du tourisme qui a littéralement vampirisé les subsides publics pendant la crise. Une politique plus parcimonieuse aurait évité d’alourdir d’autant la dette Covid et de devoir mettre sous assistance respiratoire un secteur rattrapé par le cours naturel du marché l’année dernière.
En revanche, à la faveur d’un toilettage général des dépenses fiscales et notamment des taux de TVA réduits (tel que celui sur les restaurateurs dont le coût dépasse 3 Mds€ par an), il serait possible de baisser les charges sociales sur l’ensemble des niveaux de salaires de la filière, a due concurrence, pour permettre aux parties prenantes de recruter et de gagner en compétitivité structurelle. Cette expérience pourrait jouer un rôle pilote pour être généralisée, par la suite, aux autres secteurs de l’économie.
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Combien d’industries ont-elles délocalisé leurs productions pour échapper aux charges sociales et au tracasseries administratives de notre pays. A quoi bon se gargariser en évoquant LES SERVICES si, dans le même temps, on ne fait rien pour alléger le coût du travail … et augmenter les salaires ? L »hôtellerie et le tourisme ne sont pas seuls concernés. L’aide à la personne et tous les métiers utilisant une main d’oeuvre non délocalisable le sont tout autant. A moins que la pénurie de main d’oeuvre ne soit un bon prétexte pour régulariser les immigrés sans papiers !