Au temps où la France était encore un grand pays, le Général de Gaulle avait clairement mis en garde le monde financier en l’assurant que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » de la Bourse. Aujourd’hui où du fait de plusieurs décennies de politiques erratiques, notre pays a perdu beaucoup de sa superbe, on a l’impression que ce Gouvernement ne retient plus du pouvoir que la paille de la communication, en laissant filer le grain de l’autorité qui est l’essence même de sa responsabilité politique. Désormais en effet et on le voit bien pour la réforme des retraites, ce qui compte, ce n’est plus la volonté du Président de la République, pas plus d’ailleurs que celle du Parlement, pas davantage bien entendu l’intérêt général, non ce qui compte, ce qui pèse, ce qui détermine, c’est le pouvoir de nuisance dont disposent certains acteurs essentiellement publics (SNCF, RATP, Énergie, une partie de la fonction publique etc) et accessoirement, mais avec une force moindre, quelques rares entreprises privées (notamment transporteurs mais pas seulement).
Alors que le Haut-Commissaire a pu pendant près de deux ans développer librement ses préconisations en vue de la prochaine réforme des retraites, qu’il a réussi peu ou prou à maintenir le cap jusqu’à leur publication, on voit ces derniers jours le projet s’effilocher, se distendre, s’altérer au point de contraindre le Gouvernement à adopter une démarche de sioux pour finalement avouer – un comble! – que rien n’est vraiment arrêté, qu’aucune date n’est présentement fixée et que tout pouvait encore se discuter. Presque la réinitialisation complète du disque gouvernemental et fort mou des retraites. La raison de ce changement ? Une première grève de la RATP un peu plus suivie qu’attendu, une autre habituelle de la SNCF et surtout la menace prise très au sérieux d’une grève générale le 5 décembre prochain et brandie par plusieurs syndicats. L’ancien ministre Woerth a raison de s’étonner qu’une telle annonce puisse avoir des conséquences aussi ravageuses, alors que lui-même avait affronté sans broncher des défilés de plus de 2,5 millions de personnes dans la rue et les grèves qui allaient avec. Dépouillant son allure de matamore, le Gouvernement a visiblement pris peur et fortement reculé ces derniers jours : report des délais, discussion des modalités, restriction éventuelle de la réforme aux seuls nouveaux entrants et pourquoi pas – comme le conseille A. Minc- la « retraite en rase campagne » par l’abandon pur et simple de la réforme. Au point que – rumeurs ou pas – beaucoup considèrent désormais qu’après les derniers atermoiements, après les derniers apaisements et que, de toute manière à supposer qu’elle se fasse, la réforme des retraites aura plus que du plomb dans l’aile et qu’elle souffrira de lourds handicaps tant dans sa portée que dans le calendrier de sa mise en application.
On reste abasourdi quand on compare l’intransigeance et la brutalité avec lesquelles ce Gouvernement s’en est pris aux retraités et aux gilets jaunes et la pusillanimité, pour ne pas dire l’inertie, voire même la passivité, dont il fait preuve lorsque ses propres services publics le défient frontalement et ouvertement. Faut-il donc rappeler au Président de cette République, au Premier Ministre et à son Gouvernement l’image désastreuse qu’ils donnent du pouvoir, en perdant la bataille du rail à chaque fois qu’elle s’engage aussi bien dans les trains que dans les métros, ou en regardant, impavide, le principe de continuité du service public sombrer dans l’arrêt des bus parisiens, qui ne peuvent pourtant prétendre représenter, ni bloquer à eux tout seuls la France toute entière ? On s’aperçoit de plus en plus que la peur de la rue commence à faire trembler la main d’un réformateur brusquement devenu très fébrile. Or les services publics sont sous l’autorité exclusive et souvent quasi-directe de l’État. Vis-à-vis de tous les usagers injustement pris en otages, comme de l’ensemble du pays attentif à l’équilibre de la réforme de ses retraites, c’est au pouvoir qu’il appartient de faire immédiatement tout le nécessaire pour reprendre la situation – toute la situation- en main. En commençant par signifier aux syndicats concernés que la politique de la France ne se fait pas sous la menace de hordes de privilégiés, qui exigent que la collectivité nationale continue indéfiniment à se saigner pour leur assurer des avantages que le contribuable ne supporte plus. En effet et parce que les calculs politiques à la petite semaine l’ont trop souvent emporté sur l’intérêt général, cela fait bien trop de temps dans ce pays qu’on ne profite plus tant du bien qu’on peut lui faire que du mal dont on peut le menacer.