Lorsque Joe Biden a fait campagne sur le slogan « reconstruire en mieux » (Build back better), il entendait rompre avec le principe d’un gouvernement limité en permettant à l’État de s’immiscer dans toutes sortes d’industries. C’est ce que les économistes appellent la politique industrielle, par laquelle le gouvernement oriente la croissance de la production et la création d’emplois.
C’est dans cet esprit qu’en août dernier le président Biden a signé la loi CHIPS qui donne un coup de pouce de 52 milliards de dollars à la production de micropuces. La loi allouera également des dizaines de milliards de dollars à diverses agences fédérales, portant son coût total à 250 milliards de dollars. La loi CHIPS vise ainsi, à travers l’octroi de subventions et d’autres mesures protectionnistes, à dépasser le concurrent chinois ; le tout sous couvert de sécurité nationale.
La loi CHIPS relève plus de la géopolitique que de l’économie
Bien que les dirigeants politiques et économiques américains considèrent généralement les politiques industrielles avec prudence, l’idée d’une nécessaire autosuffisance en matière de semi-conducteurs est devenue de plus en plus populaire depuis la pénurie mondiale de puces qui a vu le jour en 2020. Les puces informatiques à semi-conducteurs sont cruciales dans notre vie moderne, interconnectée et numérisée. Taïwan représente actuellement environ 20 % de la capacité mondiale en matière de semi-conducteurs et produit un pourcentage stupéfiant de 92 % des puces les plus avancées.
Les partisans de la loi CHIPS affirment que la rupture de la chaîne d’approvisionnement que nous avons connue lors de la pandémie a révélé un problème qui couvait depuis longtemps. La part des États-Unis dans la fabrication mondiale de puces est aujourd’hui tombée à 12 %, contre 37 % en 1990. Or, la Corée du Sud et Taïwan, pour ne citer qu’eux, subventionnent fortement leurs fabricants de puces depuis des années. Le jeu serait donc devenu inéquitable, pénalisant les fabricants de puces américains et au-delà la compétitivité mondiale de l’économie américaine, avec des conséquences néfastes pour les industries de l’automobile, de l’électronique grand public et des soins de santé. Cette évolution serait aussi inquiétante pour la sécurité nationale, notamment si la Chine envisage d’attaquer Taïwan.
À la suite de la loi CHIPS, le 7 octobre, le ministère américain du Commerce a étendu ses exigences en matière de licences pour les exportations de semi-conducteurs avancés. L’interdiction d’exporter vers la Chine, qui visait jusque-là seulement quelques entreprises chinoises, a été étendue à l’ensemble de l’industrie chinoise des puces. Ces politiques combinées entraîneront une pénurie de puces. Les consommateurs et les entreprises auront moins de choix pour les produits qui utilisent des puces de silicium et le nombre de ces produits diminuera. Il pourrait en résulter un allongement des délais d’approvisionnement, voire des pénuries, ainsi que l’augmentation progressive du prix de ce genre d’articles. Rapidement, ces articles qui apportaient confort et efficacité dans notre quotidien ne seront plus disponibles.
Le protectionnisme de Biden n’améliorera pas la sécurité nationale
Les arguments en faveur du projet de loi sont cependant douteux. Les milliards de dollars versés dans ces industries sont des milliards de dollars qui ne seront pas investis dans d’autres secteurs, et il n’est pas évident que le gouvernement soit meilleur que les investisseurs privés dans la gestion des ressources. Si acheter des semi-conducteurs à des entreprises étrangères revient moins cher, on ne voit pas pourquoi s’entêter à les fabriquer aux États-Unis. Mieux vaudrait assumer des pertes, voire des faillites, pour quelques producteurs nationaux : les ressources seraient réallouer à d’autres industries.
Mais beaucoup pensent qu’il s’agit là d’une affaire de sécurité nationale et que laisser les producteurs nationaux faire faillite c’est mettre l’économie domestique en danger. En réalité, les subventions finissent souvent par profiter aux grandes entreprises, tuant la concurrence. Et les petites entreprises en paient le prix fort. Dans le cas de la loi CHIPS, par exemple, il se pourrait bien que la politique industrielle de Biden relève plus du copinage que de la sécurité nationale. Invoquer la sécurité nationale n’est qu’un prétexte pour contourner les règles censées limiter l’action arbitraire de l’exécutif. Tous les grands programmes de dépenses et toutes les mesures réglementaires s’appuient sur ce type de clichés pour éviter qu’on en fasse un examen critique.
Si les gouvernements étrangers sont disposés à subventionner les semi-conducteurs et à les rendre moins chers pour les Américains, ces derniers en profiteront. Adopter une mauvaise politique publique et gaspiller des ressources simplement parce que d’autres pays le font ne sert à rien. En outre, les efforts de M. Biden pour renforcer la fabrication nationale créent des tensions avec de proches partenaires des États-Unis. Les gouvernements européens accusent notamment l’administration Biden de saper le partenariat transatlantique avec des procédures « Made in America » qui menacent leurs économies.
L’idée selon laquelle les subventions produisent de la croissance et de l’innovation n’est guère plausible, sans parler de la multitude d’investissements de complaisance qui n’atteignent pas leurs objectifs. Les subventions et les régulations censées soutenir les emplois et les industries jugées essentielles à la sécurité nationale conduisent en fait à une augmentation des coûts en temps normal, et rendent le pays plus vulnérable en temps de crise. Elles finiront par faire grimper le prix des marchandises importées ou protégées. Pour cette raison elles abaisseront la compétitivité des industriels qui utilisent ces marchandises, ce qui entraînera une perte d’emplois dans divers secteurs de l’économie américaine.
Et pour couronner le tout, ces politiques protectionnistes sapent la crédibilité des États-Unis au sein de la communauté internationale, affaiblissent le système commercial mondial et encouragent d’autres pays à utiliser eux-aussi l’excuse de la sécurité nationale pour limiter les exportations américaines vers leurs marchés.