Beaucoup de Français peinent à comprendre la liberté que s’est accordé Johnny Halliday d’exclure ses deux premiers enfants de son testament en se plaçant sous le bénéfice de la loi californienne qui le permet. Laura Smet et David Hallyday parviendront peut-être à faire valoir que le testament est nul en soutenant que leur père vivait en France et que la loi américaine ne lui était pas applicable, ou que sa dernière épouse a capté son héritage par des manœuvres contestables. Mais la volonté exprimée du rockeur, au travers de deux testaments établis successivement en France et aux Etats-Unis, souligne l’évolution des mentalités en faveur d’une plus grande liberté de tester. Et comme tous ne peuvent pas aller vivre en Californie, ou faire croire qu’ils y vivent, pour échapper à la loi française, il serait peut-être utile de changer celle-ci de façon à offrir à tous les résidents français le choix d’attribuer leur patrimoine à qui ils veulent.
Il ne paraît plus utile en effet de conserver cette disposition du droit civil qui oblige chacun à partager également entre ses descendants directs, qualifiés d’héritiers réservataires, une large partie de son patrimoine à raison de 50% quand il n’y a qu’un enfant, les deux tiers quand il y en a deux et les trois quarts quand il y en a trois ou plus, seul le surplus, la quotité disponible, pouvant être librement affecté à des tiers, sous réserve encore du droit du conjoint. Il s’agissait pour le droit révolutionnaire et égalitariste de supprimer d’autorité le droit d’aînesse. Ce qui a conduit au morcellement des propriétés françaises et notamment des exploitations agricoles dont la taille est inférieure de près de moitié à celle des exploitations anglaises par exemple.
Mais la vie a changé et d’ailleurs l’agriculture française serait sans doute plus puissante si les propriétés étaient plus importantes. C’est surtout la vie des familles et des couples qui n’est plus la même et qui justifierait plus de liberté laissée à chacun pour disposer de son patrimoine à cause de mort que ne lui en laisse la loi.
Le Code civil a été bâti dans le mélange de la tradition d’un droit monarchique issu, selon Jean Bodin, de la volonté du roi et de l’esprit du contrat social de Rousseau qui lui a substitué la volonté populaire. La loi prétend ainsi modeler les comportements dans le respect d’une vérité qui lui appartient. A l’inverse, le droit anglo-saxon, le common law, tâtonne pour trouver la solution la plus juste cas par cas. Le Code civil croit disposer d’une valeur absolue là où le common law est pragmatique, prudent, hésitant. Le Code civil s’écrit d’en haut, dicté par le pouvoir, tandis que le common law se construit d’en bas, dans les jugements accumulés par les tribunaux, cherchant à appréhender les situations dans l’immense diversité de la nature humaine. Le droit civil se réfère à une raison anhistorique depuis laquelle il s’arroge le monopole de la norme, et se veut si simple qu’il méconnaît souvent les situations particulières et la singularité des personnes et tend à les « effacer » derrière la règle. Le common law recherche l’équité. Il n’est pas vraiment rationnel, mais il est le fruit d’une certaine sagesse non écrite et issue du sens commun.
Le common law laisse en général toute liberté à chacun d’attribuer par testament son patrimoine à qui il veut. Il privilégie donc la liberté individuelle quand le droit civil confie à la loi le soin d’imposer les solutions que le législateur pense meilleures pour ses ressortissants. Il s’agit vraiment de deux conceptions opposées qui ont façonné l’esprit et le droit des peuples et expliquent sans doute en grande partie la différence qui existe entre les sociétés latines et les sociétés anglo-saxonnes dans leur appréciation de la place et du rôle de l’Etat dans la société.
L’affaire du testament de Johnny est l’occasion de s’interroger sur la modernité de notre droit. Il serait peut-être temps de renoncer à la suprématie de la loi pour redonner plus de place aux choix individuels et au pouvoir des magistrats pour en juger. Une évolution vers le common law, qui se dessine d’ailleurs déjà au niveau du droit européen et international, serait un moyen de mieux responsabiliser les Français dans la gestion de leurs propres affaires comme dans celles de la France.
4 commentaires
Responsabilité parentale
Les enfants n'ont pas eu le choix de venir au monde ce sont leurs parents qui ont fait ce choix. Donc il faut que les parents assument leur responsabilité et ne puissent pas choisir de les déshériter. Le droit français est très bien pour contrer les parents irresponsables de leurs actes.
Re : Responsabilité parentale
Faire des enfants est un acte responsable et non pas irresponsable. Lorsqu’on a travaillé dur pour – éventuellement – s’enrichir et avoir une petite fortune, c’est normal d’en faire ce qu’on veut. Il serait d’ailleurs irresponsable de la léguer entièrement aux enfants qui ainsi ne seraient même plus obligés de travailler. Laisser au moins une partie de son héritage à des fondations, universités, hôpitaux ou autres laboratoires est tout à fait normal.. C’est ce qui fait la vitalité de la société civile américaine.
@ Nicolas Lecaussin
Vous n'avez rien compris à mon message. Ce qui est irresponsable c'est de déshériter ses enfants. Les enfants n'ont pas choisi de venir au monde donc il faut que les parents assument leurs actes. Tout testateur dispose même avec le droit français de 1/(n+1) de sa fortune pour la léguer à qui il veut (n = nombre d'enfants). Combien lèguent cette part à des fondations, des hôpitaux, des universités? A ma connaissance, ce n'est d'ailleurs pas ce qu'a fait Johnny qui aurait tout léguer à des personnes privées.
Re :
On doit élever ses enfants quond on les faits. Ca oui, c’est normal et on est responsable. Mais on peut être tout à fait responsable et avoir plein de raisons de déshériter ses enfants ou de donner au moins une partie de son héritage à la personne de son choix. Donner son héritage à ses enfants ne doit pas être une obligation.