Les événements de ces dernières semaines autour de GM&S Industry sont représentatifs des blocages dont souffre l’économie française : violences sociales, implication du gouvernement proche d’un capitalisme de connivence, calculs pré-électoraux, préservation à tout prix de l’emploi sur place et méconnaissance de ce qu’est une entreprise et de ce qu’est le marché du travail.
La version officielle
La version officielle-politiquement correcte-est simple : les ouvriers de GM&S Industry, située à la Souterraine, dans la Creuse, soit 279 salariés, ont défendu leur outil de travail, le ministre a compris le message, les entreprises automobiles ont obéi au ministre et la liquidation est évitée, en attendant la venue d’un repreneur qui sauvera l’entreprise. La réalité est moins rose et représentative des blocages français. Voilà un site qui, dans le passé, avait su évoluer, passant d’un atelier de fabrication de jouets mécaniques (« trottinettes ») à une entreprise d’emboutissage, de tôlerie, de traitement des surfaces, devenant un des sous-traitants de l’industrie automobile. Mais les évolutions sont permanentes et, faute d’adaptation suffisante, l’entreprise était menacée de liquidation et de fermeture du site.
La réalité d’une violence inacceptable
Que les salariés dont l’emploi était ainsi menacé soient inquiets, c’est légitime et qu’ils essaient de sauver leur emploi est compréhensible. Mais que leur réponse soit de pure violence, avec destruction de machines et installation de bonbonnes de gaz, avec menace de tout faire sauter, est intolérable. Il est stupéfiant que de telles actions et menaces n’aient entrainé aucune réaction officielle et que la plupart des commentateurs aient trouvé qu’il y avait là un signe, somme toute compréhensible, du désespoir des salariés.
Rien ne peut justifier ces actions, s’agissant d’une usine où ils travaillent, certes, mais qui ne leur appartient pas. En outre, comment peuvent-ils imaginer que de telles destructions ou menaces peuvent inciter de nouveaux investisseurs à reprendre l’entreprise : il n’y a rien de tel pour faire fuir un éventuel repreneur. Les syndicats qui poussent à de telles actions ont une part immense de responsabilité, de même que tous ceux qui ne voient dans les rapports sociaux qu’une forme de la lutte des classes et qui persuadent les salariés qu’on peut tout obtenir, y compris de l’Etat, par un rapport de force. La culture du conflit, avant même toute négociation, est en France en totale opposition avec ce que l’on constate des rapports sociaux chez la plupart de nos voisins. Il faut changer cette vision de l’économie, qui vient du marxisme, et qui pervertit les rapports sociaux.
Un ministre qui donne des ordres aux entreprises
Le deuxième élément qui interroge dans cette affaire est la réaction des pouvoirs publics et particulièrement du nouveau ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Il promet aux salariés de trouver une solution et pour cela il fait pression sur les deux entreprises du secteur automobile, Renault et PSA, dont GM&S est un sous-traitant. En clair, il exige une hausse des commandes et annonce le dimanche 21 mai des « engagements supplémentaires », des commandes nouvelles, passant de 10 à 12 millions chez PSA et de 5 à 10 chez Renault. Commentaire de l’entourage du ministre « celui-ci connait les deux dirigeants », les deux Carlos, Ghosn et Tavares. Ainsi, il suffirait d’avoir des relations amicales avec des PDG pour que ce qui était impossible hier le devienne aujourd’hui. On est en plein capitalisme de connivence entre les politiques et les dirigeants d’entreprise, ce qui augure mal de la nouvelle orientation du gouvernement mis en place par Emmanuel Macron. C’était d’ailleurs exactement ce que Jean-Luc Mélenchon avait réclamé quelques jours plus tôt.
Le ministre n’a aucune possibilité de savoir si cette hausse des commandes est justifiée ou non, pour les entreprises concernées ; et si elle est justifiées, pourquoi Renault et PSA ne l’ont pas fait plus tôt ? Si elles n’étaient pas justifiées, et il y a quelques mois elles disaient qu’il était impossible d’accroitre les commandes, c’est qu’il s’agit donc de faire plaisir au gouvernement, pour lui éviter un conflit redoutable dans l’opinion à quelques jours de législatives décisives. Est-ce le rôle des entreprises ? Certes, on dira que l’Etat a son mot à dire, puisqu’il possède 19,74% de Renault et 12,7% de PSA, mais cela ne suffit pas pour « donner des ordres » à des entreprises, dont la grande majorité du capital est privé. De plus, ces participations de l’Etat sont un archaïsme qui n’a aucune justification en économie de marché : ces entreprises n’ont pas besoin de l’Etat pour fabriquer et vendre des automobiles. Il y a bien d’autres choses utiles à faire de « l’argent public », à un moment où l’Etat n’a jamais été aussi endetté et où les prélèvements obligatoires battent tous les records.
Créations d’emplois ou sauvegarde des emplois existants ?
Plus généralement, cet épisode masque l’essentiel. L’entreprise n’est pas sauvée pour autant, des réformes sont nécessaires. Si l’entreprise s’est trouvée en grave difficulté, c’est parce qu’elle ne satisfaisait plus correctement ses clients : retards de livraison, produits défectueux… Il faut trouver un repreneur capable de remettre de l’ordre dans l’outil de production et dans le système commercial. Quelques-uns ont fait connaitre leur intérêt ; on verra si cela débouche sur une reprise effective et durable. Mais, en cherchant à gagner du temps pour éviter une liquidation en période électorale (la décision du tribunal est reportée à fin juin !) et en tolérant des chantages inacceptables, le gouvernement et les syndicats ont peut-être empêché une solution pérenne, car un tel climat n’est guère propice pour attirer de nombreux investisseurs.
Mais surtout, même s’il est normal de regarder d’abord si l’entreprise, en se réformant, peut être sauvée, cela traduit une conception française très particulière de l’emploi : préserver, à tout prix, l’emploi sur place et si possible à vie ! Or il y a des cas où, quoi qu’on fasse, l’entreprise est condamnée parce que le marché a changé. La vie économique est faite de créations et de destructions d’emplois, sinon 90% des Français travailleraient encore dans l’agriculture. Si en France la question est sensible, c’est parce que les créations d’emplois sont faibles, pénalisées par un marché du travail rigide, des charges inconsidérées et un code du travail de 3000 pages. Le gouvernement prétend vouloir diminuer le chômage : ce n’est pas en cherchant à tout prix à préserver les emplois existants qu’il y arrivera, mais c’est en créant un environnement fiscal et réglementaire qui incite les entreprises à embaucher. Le signal qui a été envoyé à l’occasion de ce conflit ne va pas dans la bonne direction.