La défaite éclatante du syndicat United Auto Workers (UAW) dans les deux usines Mercedes de Vance en Alabama, démontre que tout n’est pas perdu pour les partisans de la liberté du travail aux États-Unis.
Contrairement aux espoirs de Joe Biden et de ses alliés « progressistes », les ouvriers de Vance dans la banlieue de Tuscaloosa,  ne sont pas tombés dans le piège que leur tendait l’UAW. À une majorité de 56%, et avec un taux de participation élevé, ils ont refusé la syndicalisation. L’UAW demande aux autorités fédérales, si bien disposées à leur égard depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, qu’une nouvelle élection soit organisée, arguant d’irrégularités commises par Mercedes. Le constructeur dément toute pression indue sur ses employés. La forte majorité anti-UAW rend peu probable l’aboutissement de la démarche.
Influencés par la mobilisation du gouverneur et d’élus républicains locaux, les ouvriers de Mercedes n’ont pas commis l’erreur de leurs collègues de VW. Ces derniers, en avril dans le Tennessee voisin, avaient naïvement fini par voter pour être représentés par l’UAW face à la direction du groupe allemand. En 2014 et en 2019, ils avaient pourtant voté contre. Ils ont cédé cette année, sous l’influence d’une campagne très bien organisée par Shawn Fain, le nouveau président de l’UAW au discours marxisant. Virulent, activement soutenu par Joe Biden, il était auréolé des fortes concessions que la grève ciblée chez GM, Ford et Stellantis, avait permis d’obtenir en novembre 2023 à Chattanooga : pour la première fois, un constructeur non-américain allait devoir négocier le contrat de travail de ses ouvriers, ce qui avait fait grand bruit.
Ce notable déclin de l’UAW, un syndicat qui est de fait une succursale du Parti démocrate, vient peut-être de ce qu’il n’est pas parvenu, après plus de trente années d’efforts, à s’implanter aussi dans les usines de Toyota, Hyundai, Kia, Nissan, Honda, Volvo, BMW, Mercedes-Benz et Tesla.
 Déclin de Détroit, émergence du sud industriel
Il faut rappeler que les géants historiques de Détroit (Ford, General Motors, Stellantis) ont fermé des dizaines d’usines et supprimé des centaines de milliers d’emplois depuis les années 80, alors que, dans le même temps, les énormes investissements des constructeurs étrangers dopaient la croissance et l’emploi dans les États du sud, généralement choisis pour leurs politiques « pro-business ».
Les Toyota, Nissan, Daimler et autres VW y ont été incités par les barrières douanières et tarifaires imaginées sous Ronald Reagan pour décourager l’importation de véhicules étrangers. Les marques étrangères ont été encouragées à s’installer durablement sur le sol des États-Unis pour concurrencer des trois piliers de Détroit. Résultat: Toyota est aujourd’hui numéro 2 sur le marché américain, devant Ford. Le géant japonais emploie plus de 170.000 américains dans 11 usines, après avoir investi aux États-Unis plus de 36 milliards de dollars.
Le déclin de Détroit est directement corrélé avec le succès des constructeurs étrangers, pour le plus grand bien du consommateur américain et de l’emploi automobile. Le nombre d’employés automobile aux États-Unis connaît certes d’importantes fluctuations sous l’effet des cycles économiques. Aujourd’hui, il est en expansion, légèrement supérieur à un million, comme c’était déjà le cas au début des années 90. Or voilà plus de 40 ans que les trois grands constructeurs de Détroit réduisent leurs effectifs. Ceux de GM sont ainsi passés de 457.000 ouvriers sur les chaînes nord-américaines en 1985, à seulement 45.000 aujourd’hui… !
En termes d’emplois et de volume de production, les constructeurs étrangers ont en fait sauvé la filière automobile américaine au cours des 40 dernières années. Malheureusement pour l’UAW, ce sont les emplois d’ouvriers syndiqués qui ont disparu, alors que ceux qui étaient créés, en gros dans la même proportion, par les marques européennes et asiatiques, ne sont pas syndiqués…
De plus de 1,5 million en 1979, le nombre de membres de l’UAW est ainsi tombé à 370.000 aujourd’hui… D’où l’urgence pour le syndicat de redresser ses effectifs en recrutant les ouvriers des constructeurs de marque étrangère.
Le syndicat obligatoire
Ce qui peut apparaître comme une simple corrélation est en fait bien plus vraisemblablement une relation de cause à effet : les avantages sociaux supérieurs à la norme exigés par l’UAW, notamment en matière de santé et de retraite, ont plombé la compétitivité des géants de Détroit. D’autres facteurs qui n’ont rien à voir avec l’UAW, comme la lourdeur bureaucratique, de mauvais choix stratégiques et une culture de protection de la concurrence étrangère, ont aussi aggravé le déclin de GM, Ford et Chrysler.
Le Français moyen n’imagine pas la puissance que peut avoir un syndicat américain qui dispose – de droit – d’un monopole sur la syndicalisation des employés  et la négociation de conventions collectives. Il est effectivement difficile d’imaginer, même au pays de la CGT, que l’on ne puisse pas travailler sur une chaîne de GM, Ford ou Stellantis (nouveau propriétaire de Chrysler) sans verser une contribution à l’UAW, du montant en dollars de 2,5 heures de travail tous les mois. L’ouvrier américain d’une entreprise automobile où l’UAW a gagné le droit de représenter le personnel est obligé de le payer. Il n’y a pas d’autre syndicat possible. Même si le travailleur n’est pas d’accord avec la politique de l’UAW, par exemple sur son exigence d’un cessez-le-feu immédiat à Gaza, il doit continuer de financer l’organisation. L’UAW dispose du monopole de la négociation de la convention collective de quatre ans qui couvre tous les ouvriers horaires. Le syndicat gère aussi un fonds permettant de verser 500 dollars par semaine à ses membres durant les jours de grève.
Ce système archaïque est une machine politique formidable pour le Parti démocrate. Car l’UAW, comme d’autres syndicats, notamment celui des ouvriers sidérurgistes (United Steel Workers), apporte presque toujours son soutien financier et logistique aux démocrates. Les contributions de l’UAW aux campagnes électorales vont ainsi pour 99% dans la poche de candidats démocrates…
Et pourtant, l’idée de conditionner l’emploi d’un ouvrier au financement indirect d’un parti politique qu’il n’a pas choisi est contraire aux principes élémentaires de la démocratie. C’est la raison pour laquelle pas moins de 28 États américains ont adopté, au fil des ans, des lois interdisant ce régime. Baptisés « Right to Work States » (États protégeant le droit au travail), ils ont été tout naturellement choisis en priorité par les investisseurs étrangers pour implanter leurs usines. L’Alabama, la Géorgie, l’Indiana, le Kentucky, le Mississippi, la Caroline du Nord et du Sud, entre autres, sont ainsi devenus les États de prédilection de la nouvelle industrie automobile américaine. C’est aujourd’hui ce modèle que l’UAW et Joe Biden veulent casser.