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Congé paternité : le coût d’un tel scénario serait d’1,2 milliard d’euros

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L’IGAS, c’est l’Inspection Générale des Affaires Sociales, un corps de contrôle interministériel qui assure cinq types de missions, si l’on en croit le site internet du Ministère des solidarités et de la santé :
– inspection/contrôle des services ou organismes publics, ou privés bénéficiant de concours d’un organisme public, ou financés par des cotisations obligatoires ;
– évaluation des politiques publiques, permettant notamment d’éclairer le gouvernement sur l’existant et de suggérer des évolutions souhaitables,
– contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique (OFAG),
– conseil, appui et administration provisoire ;
– audit interne au sein des ministères sociaux et des structures rattachées, afin d’évaluer l’efficacité des dispositifs de maîtrise des risques de ces organismes.

L’IGAS s’est surtout fait connaître, et reconnaître, par certains de ses rapports qui ont marqué les esprits, comme celui sur le contrôle de l’ARC (Association pour la recherche contre le cancer), en 1993, mettant à jour les détournements de fonds de son président Jacques Crozemarie, ou tout récemment, celui sur le Médiator. Des missions qui peuvent être utiles, voire salutaires.

Mais c’est au titre de sa deuxième mission – « évaluation des politiques publiques, permettant notamment d’éclairer le gouvernement sur l’existant et de suggérer des évolutions souhaitables » – que l’IGAS vient de publier un rapport sur l’évaluation du congé de paternité.

Le document – Rapport n° 2018-022R de juin 2018 – de 134 pages, signé par Hervé Gosselin et Carole Lépine, fait d’abord le constat du succès du congé de paternité dans sa forme actuelle. Il suggère ensuite des pistes d’aménagement dudit congé.

Sur le constat, les deux inspecteurs généraux indiquent que 7 pères éligibles sur 10 ont pris leur congé de paternité en 2016, pour un coût de 267 millions d’euros (263 M€ en 2017), intégralement pris en charge par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Ils précisent également que les pères prennent l’intégralité de leur congé (11 jours ou 18 jours en cas de naissance multiple), généralement à la suite du congé naissance de 3 jours à la charge de l’employeur.

Les rapporteurs écrivent que « Seule une très petite minorité de pères jugent ce congé inutile. Les pères qui ne prennent pas leur congé de paternité invoquent principalement des raisons professionnelles, en premier lieu la charge de travail. Derrière ce motif peut aussi se cacher une forme d’autocensure pour une partie d’entre eux, qui appréhendent le jugement de leurs collègues ou de leurs supérieurs. La méconnaissance du dispositif, notamment par les pères les plus modestes, due à une information institutionnelle ou au sein de l’entreprise et des administrations autour du congé de paternité insuffisante, explique aussi en partie le non recours. Enfin, moins d’un père sur 10 motive le non-recours par la perte de revenus potentielle, soit du fait du plafonnement de l’indemnité, pour les salariés les plus aisés, soit en raison de l’absence d’activité, pour les travailleurs indépendants ».

Les auteurs du rapport constatent, par ailleurs, que partout en Europe la tendance est à l’allongement du congé de paternité. En France aussi se fait jour un « souhait d’allongement » du congé, même si « très peu de suggestions d’évolution du dispositif sont remontées spontanément des contacts qu’a eus la mission avec des entreprises du secteur privé, des entreprises publiques ou des administrations ». En fait, le désir d’allonger le congé de paternité émane « d’associations œuvrant en faveur de l’égalité professionnelle femmes-hommes », des organisations syndicales et des enquêtes d’opinion.

Les rapporteurs en concluent donc qu’il est urgent de « s’appuyer sur ce dispositif et de le consolider » afin de « progresser en matière d’égalité femmes-hommes et dans l’intérêt de la famille ».

Hervé Gosselin et Carole Lépine proposent trois scénarios :

– un scénario d’ajustement fondé « sur l’idée que le dispositif fonctionne globalement bien, qu’il remplit de façon satisfaisante les objectifs qui lui sont assignés, même si des progrès peuvent encore être réalisés pour augmenter le taux de recours, et que le besoin d’allongement du congé de paternité n’est pas pressant ». Dans ce scénario minimum, la mission propose tout de même plusieurs mesures comme assimiler la durée du congé de paternité à du temps de travail effectif dans les mêmes conditions que pour le congé de maternité, inciter les partenaires sociaux à négocier le maintien du salaire pour les salariés ayant une rémunération supérieure au plafond de la sécurité sociale, développer l’information sur le congé de paternité en direction des pères, modifier l’article L 1225-16 du code du travail pour ajouter une autorisation d’absence pour les pères qui souhaitent suivre une préparation à la naissance.
Le tout coûterait 50 millions d’euros pour la CNAF en retenant comme hypothèse une progression du taux de recours au congé de paternité jusqu’à 75 %.

– un scénario de renforcement, partant du principe que les mesures ci-dessus ne permettront pas d’améliorer la répartition des tâches au sein du couple ni de faire progresser l’égalité professionnelle. Il serait urgent d’allonger la durée totale des congés accordés à la naissance d’un enfant pour la porter à 3 ou 4 semaines. Ainsi le congé de naissance serait porté à 5 jours, toujours financés par les employeurs (avec en contrepartie une diminution de la durée des congés pour mariage/Pacs négociée par accord collectif). Le congé de paternité lui serait porté à 14 ou même 21 jours. Il est également suggéré qu’une partie du congé soit rendu obligatoire (une semaine), justifié par un enjeu de protection sanitaire de la mère et de l’enfant.
Ces mesures, qui s’ajouteraient à celle du scénario précédent, auraient un coût de 331 millions d’euros si les congés passaient à 4 semaines (et toujours dans l’hypothèse où le taux de recours passerait à 75 %), auxquels il faut ajouter 64 millions d’euros avec une mesure spécifique en faveur des pères d’enfants prématurés. Soit au total 395 millions d’euros ;

– enfin, un scénario « volontariste » pour réduire « le risque maternité » qui pèse sur les femmes avec ses conséquences négatives sur leurs conditions d’emploi (embauche, rémunération, carrière…). Pour les deux inspecteurs généraux, il est indispensable que ce risque de « parentalité » soit partagé plus équitablement entre le père et la mère. Le congé de paternité doit alors être porté à 6 semaines et rendu obligatoire.
Le coût d’un tel scénario, pour la CNAF, serait d’1,2 milliard d’euros.

Les rapporteurs ne vont pas jusqu’à recommander ce dernier scénario, qui n’est pourtant, semble-t-il, qu’une première étape pour faire coïncider, en termes de durée, les congés de paternité et de maternité. Mais nul doute que les militants associatifs et syndicaux vont s’emparer du sujet et qu’il réapparaîtra dans les années à venir.

Sans nous prononcer sur les bienfaits réels ou supposés du congé de paternité, ni sur ceux de son allongement, on peut tout de même s’interroger sur l’opportunité d’un tel rapport commandé par le directeur de cabinet du Premier Ministre, Benoît Ribadeau-Dumas. Dans sa lettre de mission, celui-ci – polytechnicien, major de l’ENA, ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin – demandait expressément que soient étudiées des propositions d’évolution du congé de paternité, et notamment son allongement.

C’est donc du plus haut niveau de l’État que sont envisagées de nouvelles dépenses pesant sur les comptes publics, alors que le Premier Ministre Édouard Philippe déclarait, au moment de la présentation du budget 2019, que le gouvernement resterait « dans la ligne de [ses] engagements sur la baisse des prélèvements obligatoires comme sur la maîtrise de la dépense publique et de la dette ».

Maîtriser la dépense publique – vous remarquerez que le Premier Ministre ne parle pas de la réduire – commencerait par ne pas commander des rapports suggérant des dépenses nouvelles. En période de déficits abyssaux et de dettes colossales, aucune proposition pour de nouvelles dépenses ne devrait arriver sur la table.

C’est à ce genre de petit détail que l’on se rend compte que personne au Gouvernement, comme dans l’Administration, n’est réellement mobilisé vers l’objectif de réduction des dépenses publiques.

L’allongement du congé de paternité aurait par ailleurs pour conséquence de faire davantage encore plonger la France dans les profondeurs du dernier classement de l’OCDE qui fait état du nombre d’heures travaillées par habitant (nombre total d’heures travaillées dans un pays divisé par le nombre total d’habitants).

Avec 630 heures travaillées par an et par habitant, la France est dernière du classement de l’OCDE. Derrière la Belgique et la Turquie (637 heures). Un peu plus haut, on trouve l’Espagne (697 h), l’Allemagne (722 h). Des pays comme le Royaume-Uni (808 h) ou les États-Unis (826 h) ont près de 30 % d’heures travaillées par habitant de plus que la France. Et dans les hauteurs du classement, on trouve la Suisse (943 h, soit près de 50 % de plus que la France).

À Matignon, on ne doit pas lire les études de l’OCDE. On préfère commander des rapports à l’IGAS !

A Matignon, on pourrait aussi s’interroger pour savoir si donner les mêmes droits de « congés de naissance » au père et à la mère ne représente pas une immense inégalité, puisqu’il s’agit en définitive de donner à celui qui n’a fait que participer dans le plaisir à la conception le même congé qu’à celle qui a enfanté dans la douleur !

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4 commentaires

CLARET 23 octobre 2018 - 1:01

L'IGAS suggère 1,2 Milliard de dépenses en plus
Intéressant article de Philbert Carbon. Quelle aberration que l'IGAS se mêle de suggérer au gouvernement des dépenses nouvelles que personne (ou presque) ne demande vraiment dans un contexte de déficit abyssal des finances de l'Etat!

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Mathieu Réau 17 février 2024 - 4:38

Sept pères sur dix prennent leur congé paternité et confessent un désir de le voir allongé…
Il y a de la demande, au contraire.
Tout l’intérêt d’une bonne politique publique est de concilier les désirs de la population avec les charges de l’État. Pas d’asséner à tout bout de champ qu’il faut seulement travailler plus, travailler plus, travailler plus. En soit, travailler plus ne sert à rien.

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YVES BUCHSENSCHUTZ 23 octobre 2018 - 7:15

Autre inégalité urgente à régler
Etudier sérieusement et scientifiquement la possibilité pour les pères d'être opérés et de porter les enfants en remplacement de leurs mères qui dès lors pourrait aller travailler. Commencer par un volontariat puis ne pas hésiter à le rendre obligatoire jusqu'à atteindre la sacro-sainte parité.

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Mathieu Réau 17 février 2024 - 4:35

Je ne vois pas du tout en quoi comparer le temps de travail d’un pays à l’autre serait un indicateur pertinent de la santé économique d’un pays, vous savez. Cela démontre simplement votre obsession à faire davantage travailler les gens. Du coup, pourquoi se contenter des États-Unis ? Je suis sûr qu’on doit pouvoir trouver, quelque part, un pays où les gens travaillent plus de neuf cents heures annuelles et qui en sont, certainement, très contents…

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