La succession de Mario Draghi à la tête de la banque centrale européenne semble être assurée à Christine Lagarde. On peut s’interroger sur le caractère « politique » de la nomination ainsi que, par répercussion, sur la notion d’indépendance des banques centrales en 2019. En outre, quelles seront les conséquences en matière de possible normalisation de la politique monétaire en Europe ?
Cigale française et fourmi allemande
Pour le Wall Street Journal la première tâche de la nouvelle patronne de la BCE ne fait pas mystère : elle devra influencer l’Allemagne. Les Allemands, traditionnellement attachés à l’orthodoxie en matière monétaire, ont été assez critiques de la politique de MM. Trichet et Draghi depuis 2010. C’est évidemment aussi le cas de Jens Weidmann, président de la BuBa, qui a été écarté de la nomination à la tête de la BCE notamment du fait de son opposition passée aux rachats de titres – trop « hawkish » (politique qui combat par tous les moyens l’inflation). Mario Draghi a su peu à peu couper le cordon ombilical entre la BCE et son modèle original, la BuBa, et imposer des politiques non-conventionnelles qui passent cependant encore assez mal outre-Rhin. Mme Lagarde, dans la ligne « dovish » (politique non basée sur la lutte contre l’inflation) de son prédécesseur, devra sans doute aller plus loin et remplir une mission non officielle de sa mère patrie : convaincre les Allemands de franchir une étape supplémentaire avec des Eurobonds.
Il est difficile en effet de ne pas croire que cette nomination « politique » devra promouvoir le modèle français. On sait que Mme Lagarde, à la tête du FMI, a déjà tenté de faire reculer les Allemands sur les déficits et les relances de type keynésien : l’Allemagne doit dépenser ! Bien sûr Mme Lagarde n’est pas une « rouge ». Non qu’elle porte trop de Chanel pour cela, mais elle s’est exprimée assez clairement sur son très fort scepticisme à l’endroit de la Théorie monétaire moderne, une école de pensée monétaire selon laquelle la dette souveraine n’est absolument pas un problème puisqu’existe la planche à billets. Pourtant elle se situe bien dans le conventionnel de la politique monétaire non conventionnelle, qui est, faut-il le rappeler, une forme de politique budgétaire qui ne dit pas son nom. Rien de bien nouveau donc pour Mme Lagarde qui, à la tête du ministère de l’Économie de 2007 à 2011, a pu laisser la dépense publique augmenter de 5 points de PIB et la dette française d’un tiers …
Élément qui ne trompe sans doute pas, d’ailleurs : les marchés financiers ont salué sa nomination par un rebond. Si le contexte était normal ce serait une bonne nouvelle. Mais le contexte actuel est tout sauf normal : voilà des années que les marchés financiers « tiennent » grâce à la drogue monétaire. Ce rebond signifie donc qu’ils voient en Mme Lagarde une garantie de continuité dans la fourniture des doses de « stimulus ». La normalisation de la politique monétaire en Europe n’est donc, évidemment, pas pour demain.
Indépendance de la BCE ?
Certains ont pu ainsi faire remarquer que la nomination d’une femme politique peut poser la question de la réelle indépendance de la BCE. En réalité l’indépendance des banques centrales est d’une part toute relative du fait des objectifs qui leur sont assignés, d’autre part, aux USA et en Europe, tout simplement imaginaire précisément depuis les mesures mises en place sur la dernière décennie. Lorsque, le 10 mai 2010, M. Trichet martelait que la BCE était « in-dé-pen-dan-te », il venait en réalité de céder aux pressions des politiques et des marchés pour racheter pour la première fois des actifs douteux afin d’éteindre le début d’incendie dans la maison Euro. Le feu fut maîtrisé mais la charpente irrémédiablement altérée.
D’OMT en LTRO, en TLTRO, pour faire tenir cette monnaie politique qu’est l’Euro « quoi qu’il en coûte » (« whatever it takes »), si indépendance de la BCE il y avait, c’est à l’égard des lois de l’économie. C’est qu’il fallait d’un côté contourner la panne des mécanismes de transmission traditionnels de la politique monétaire, panne qui empêchait les banques de prêter à l’économie pour la faire repartir. Or, cette panne était liée en grande partie à la trappe des taux très bas et aux restrictions de la nouvelle réglementation bancaire – c’est-à-dire liée à l’intervention monétaire, au sens large (l’intervention appelle, encore une fois, l’intervention…). D’un autre côté, il fallait s’assurer que les niveaux totalement irresponsables d’endettement des États ne puissent susciter de nouvelle crise et que leur coût soit fortement abaissé (tout en intimant à ces États de se réformer, avec le succès que l’on sait).
Mme Lagarde hérite donc d’une politique monétaire déjà éminemment politisée, si l’on peut dire. Qu’elle ne soit pas économiste mais plutôt politique ne change ainsi pas grand chose à l’affaire. D’ailleurs il y a de grandes chances pour que, au vu des piètres perspectives macroéconomiques mondiales et des risques liés à un Brexit possiblement compliqué, M. Draghi lance une nouvelle vague de Quantitative Easing avant son départ, laissant ainsi encore moins d’indépendance d’action à sa successeur. La montée des protectionnismes pourrait également indirectement aboutir à une accentuation de la fragmentation, et donc de l’affaiblissement des marchés mondiaux de la monnaie, avec pour conséquence un tarissement supplémentaire du financement de l’économie mondiale. Là encore, à des causes politiques on répondra par davantage de replâtrages monétaires politiques, faisant s’éloigner d’autant une possible indépendance de la BCE…
La politique non conventionnelle semble donc avoir de beaux jours devant elle. Cela permettra au modèle français, structurellement irresponsable et privilégiant les expédients keynésiens plutôt que les réformes libérales, de dominer. Jusqu’à ce que les lois de l’économie nous rappellent enfin à la dure réalité : les taux d’intérêt négatifs qui distordent les structures de production et d’épargne et les assouplissements quantitatifs qui perturbent le fonctionnement des marchés monétaires du vingt-et-unième siècle ne pourront pas faire illusion indéfiniment.
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Honteux!!!
Qu'une 'repris de justice' soit nommée à ce poste, ça me sidère. Sa condamnation dans l'affaire Tapie, même si (on se demande pourquoi) elle a été dispensée de peine, devrait lui valoir inéligibilité. Et peu importe sa supposée compétence. Quelle honte!