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Margrethe Vestager n’a pas compris l’économie de l’échange numérique

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Dans une récente interview, le journal Le Monde (20/12/2019) a demandé à Margrethe Vestager quelles étaient ses priorités pour une réforme de la politique européenne de la concurrence. « Il nous faut tenir compte des nouvelles caractéristiques de l’économie. Depuis cinq ans, par exemple, les plates-formes Internet [Uber, Deliveroo, Airbnb…] se sont énormément développées, on en compte 7 000 en Europe. Autre évolution, qu’il faut intégrer à notre réflexion, les données sont désormais au cœur du business model de nombreuses entreprises : elles leur sont fournies gratuitement mais augmentent leur valeur, c’est un sujet majeur ». Et elle a déclaré au Point qu’il « faudra se demander s’il ne faut pas trouver un moyen de permettre à leur propriétaire de monétiser [leurs data] ou d’empêcher cette collecte.

Au fond, ce que reproche la vice-présidente exécutive de la Commission européenne à l’économie numérique, c’est de créer de la valeur. Elle n’a pas compris que c’est pourtant toute l’intelligence de l’économie de marché que de créer de la valeur ajoutée par l’échange.

C’est vrai que l’économie du numérique repose souvent sur l’accord entre des consommateurs qui acceptent librement que des quantités variables de leurs données personnelles soient utilisées par les entreprises numériques en échange de l’utilisation d’un logiciel ou autre service. Cette utilisation n’est pas vraiment gratuite, comme elle est trop souvent présentée, puisqu’elle est consentie en contrepartie du droit plus ou moins implicite d’utilisation des données. Mais cet échange est extrêmement profitable pour les deux parties au point qu’il y aurait sans doute bien peu d’utilisateurs de smartphones qui consentiraient à payer un abonnement pour éviter que leurs données soient utilisées par leur fournisseur.

L’échange est une opération entre personne libres qui y souscrivent parce que chacune y trouve son compte dans une égalité estimée de ce qui est offert et de ce qui est reçu. L’échange valorise ce que chacun donne au travers de ce qu’il reçoit. Dans le troc, l’un remet à l’autre quelque chose dont il n’a pas –ou moins – besoin en attendant en retour un bien qu’il désire. Et le miracle de l’échange est que ce qui est reçu peut être valorisé au-delà du prix accepté. Dans la chaîne de production, une série d’échanges égaux – puisque chaque partie considère nécessairement recevoir la contrepartie attendue à défaut de laquelle elle ne contracterait pas – intervient, à partir desquels chacun essaie d’ajouter de la valeur à sa contrepartie. Le savoir-faire, le talent, l’ingéniosité se combinent pour créer de l’inégalité à partir de l’égalité de l’échange. Dans la valeur d’un téléphone smartphone, il y a plus que la valeur additionnée de toutes les petites pièces de métal qui la composent. Celui qui parvient à en faire un objet utile, de qualité et peut-être de valeur, en tirera un prix intégrant une plus-value. La production de chaque objet, la conception de chaque modèle exige non seulement du travail, mais de l’intelligence, du savoir-faire, de la créativité ; elle relève d’un projet qui suppose aussi un pari, risqué, dont la récompense n’est pas indue lorsqu’elle n’est pas fondée sur la fraude ou la tromperie du consommateur. Et c’est dans cette liberté de l’échange des consentements entre vendeurs et acheteurs que va s’établir la part revenant à chacun, toujours égale et toujours productive d’inégalité, sans que jamais la part de chacun puisse être fixée à l’avance. Cet aléa est hors du contrôle des planificateurs. Il est propre à l’action des hommes et à leurs comportements imprévisibles et incertains. Il alimente le moteur du progrès au profit de tous en même temps que l’attribution de valeur à ceux qui ont innové, entrepris, investi. Pour éviter celle-ci, aurait-il fallu empêcher Bill Gates de produire un ordinateur dans son garage, au détriment de tous ceux qui ont bénéficié de ses inventions ?

C’est la liberté des échanges qui a incité à la production de plus de biens pour pouvoir les échanger. C’est l’ouverture du libre échange au niveau mondial depuis la chute du Mur qui a permis de réduire drastiquement la grande pauvreté dans le monde. La qualité et l’ampleur des services numériques basés sur les données sont d’autant plus performants que chaque utilisateur y contribue, ce qui rend l’échange, à son tour et en chaîne – car c’est une sorte de troc – d’autant plus important.

Si de nombreux utilisateurs étaient prêts à payer pour que leurs données ne soient plus utilisées, le service lui-même serait dégradé, voire inopérant.

Conformément à l’observation d’Adam Smith : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ». En réalité d’ailleurs il s’agit moins d’égoïsme que d’intérêt réciproque. Pour obtenir son dîner, il faut que ce soit aussi l’intérêt de l’autre de le procurer, c’est-à-dire qu’il faut lui offrir le prix qu’il en attend. Ce qui est certain, c’est que la poursuite par chacun de ses intérêts personnels peut conduire à la satisfaction de l’autre dans un échange bien compris, tandis que l’intérêt collectif dit général est généralement douteux.

Plutôt que de s’interroger sur la meilleure façon de contrôler encore et encore les producteurs de services numériques, Mme Vestager ferait mieux de réfléchir au meilleur moyen de leur donner plus d’espace de liberté pour qu’ils poursuivent au mieux leurs innovations au service du bien commun. Mais, au fait, pourquoi Margrethe Vestager se dit-elle libérale ?

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5 commentaires

ORILOU 24 décembre 2019 - 9:41

économie et échange numérique
je suis beaucoup moins enthousiaste que vous quant à la faculté que nous aurions d'accepter ou de refuser "l'échange". A l'évidence, le simple fait de cliquer sur la photo d'un objet présenté sur le web vous expose à un véritablement harcèlement de la part de l'annonceur. Insupportable !

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DURAND 24 décembre 2019 - 9:50

Bill Gates
Ce n’est pas Bill Gates qui a fabriqué le premier micro-ordinateur dans un garage, mais Steve Jobs et Wozniack.
Gates a acheté un système d’exploitation existant et l’a adapté sur le PC d’IBM qui cherchait une réponse au succès dApple.

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PhB 24 décembre 2019 - 11:48

En effet, c'est Steve Wozniack qui travaillant dans l'ombre pour Steve Jobs: l'inspirateur de génie, a développé la première fabuleuse machine Apple II très utilisée à l'époque dans les milieux scientifiques de la recherche, qui a vite remplacé les quelques exemplaires "Apple I", qui lui, est à présent introuvable.
Précurseur avant le célèbre Mac Intosch, il a défini le standard des "I/O Bus" avec les slots pour les interfaces, repris ensuite par les PC et autres machines qui ont suivi.
Hommage à Steve Jobs entrepreneur de génie et à son homme de l'ombre "Wozniack" tout aussi génial mais plus discret.
Pour Info Steve (Jobs)et Bill (Gate) étaient des potes dans leur jeunesse, habitant pas loin l'un de l'autre et ayant des centre d'intérêts communs.
PhB

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tresceptique 24 décembre 2019 - 5:47

échange et égalité de pouvoir
Vous avez intellectuellement raison sur les bases de l'échange et la possibilité de s'y opposer au besoin contre paiement. La question à se poser est avons nous besoin de ce que les fournisseurs d'accès et autres nous proposent, et surtout est ce vraiment utile? Le libre choix devrait exister, mais malheureusment ce n'est pas le cas, et si ça l'était une immense majorité de clients serait incapable de mesurer et d'apprécier les conséqences de leur choix, quel qu'il soit.

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Jean-Claude Angoulvant 25 décembre 2019 - 7:13

Il y a un vice initial dans le business model d'Internet
Cher Monsieur Delsol, votre démonstration sur la création et les échanges de valeur est imparable, mais en ce qui concerne le cas de l'infrastructure (du réseau d'échange) de l'économie numérique, il y a un vice initial qui pollue la situation au détriment des utilisateurs. A l'inverse du principe pratiqué par le courrier physique (Les Postes) et le téléphone, sur le web c'est l'appelé qui paye largement l'infrastructure (par son abonnement au fournisseur d'accès) et non l'appelant, qui pourtant prend l'initiative de charger cette l'infrastructure. Si elle était payée même très faiblement par les émetteurs (o,o1€ l'email par exemple), nous serions considérablement moins harcelés en permanence par des emails indésirables et "gratuits" pour l’émetteur (une adresse de plus sur la liste). Il faudra bien un jour – espérons-le – faire financer le web par ceux qui décident de l'utiliser. En bonne économie il faut "payer les violons pour avoir de droit de choisir la musique". Et le rapport au web sera plus équilibré. Le choix initial au début des années 1980 n'a pas été innocent. Nous en subissons aujourd'hui les conséquences.
Bien cordialement
PS : à cette époque j'étais chez IBM où j'avais la responsabilité commerciale de la DGT (Direction Générale des Télécommunications devenue France Télécom puis Orange)

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