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Le libre-échange après le Brexit

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Il y a un an ce mois-ci, Boris Johnson louait le libre-échange lors d’un discours à Greenwich. Son message principal était que, grâce au Brexit, le Royaume-Uni « réapparaissait enfin, après des décennies d’hibernation, comme un acteur du libre-échange mondial ». Douze mois plus tard, il convient de se demander si les actes ont suivi les paroles du Premier ministre. La période intermédiaire a été marquée par deux énormes chocs commerciaux : le Brexit, qui était prévisible, et la pandémie de Covid-19, qui ne l’était pas. À leur manière, ces deux événements ont démontré les difficultés pour le Royaume-Uni de tenir sa promesse d’être un champion du libre-échange.

Le gouvernement britannique s’est vanté d’avoir signé plusieurs accords de libre-échange en tant qu’État indépendant, après avoir quitté l’union douanière de l’UE. Mais la plupart reprennent les termes des précédents accords commerciaux avec l’UE. Plus frappant encore, le Royaume-Uni a demandé à adhérer à l’accord pour le partenariat transpacifique (CPTPP) qui représente un bloc transpacifique de 500 millions de consommateurs.

C’est certainement bon signe pour une nation de libre-échange, même si l’ampleur du gain économique pour le Royaume-Uni est relativement limitée. Le problème est qu’il y a en parallèle beaucoup d’indices laissant à penser que les Britanniques se détachent du libre-échange. En effet, tant l’approche de la lutte contre la COVID-19 que les subtilités du commerce post-Brexit indiquent une position beaucoup plus ambivalente sur ce sujet.

Pour commencer, le gouvernement britannique n’a pas été en mesure de reproduire l’ensemble des accords commerciaux qui jouaient pour lui en tant qu’État membre de l’UE. Exemple avec le Ghana : les bananes expédiées au Royaume-Uni sont soumises à des droits de douane depuis le 1er janvier 2021, une situation qui devrait prendre fin dès que les deux pays auront finalisé le texte d’un nouvel accord. Des pressions sont exercées sur le Royaume-Uni pour qu’il rembourse les droits de douane payés jusqu’à présent pour les importations ghanéennes – après tout, dans son discours de Greenwich, le Premier ministre a parlé d’étendre les avantages du libre-échange – ou ce qu’il a appelé « la diplomatie de Dieu » – à l’Afrique.

Boris Johnson a également profité de son discours de février 2020 pour dénoncer un possible retour à la politique mercantiliste, qu’il a explicitement liée aux pratiques commerciales de l’UE, des États-Unis et de la Chine. La pandémie a précisément mis à l’épreuve ces instincts mercantiles, en particulier en Europe. En mars 2020, la Commission européenne a introduit des règles commerciales en vertu desquelles les exportations de cinq types d’équipement de protection individuelle (EPI) étaient soumises à une autorisation d’exportation délivrée par les autorités nationales (lunettes et visières, écrans faciaux, équipements de protection bucco-nasale, vêtements et gants de protection). On craignait que, sans ces mesures, l’UE ne dispose pas de stocks suffisants d’EPI pour ses propres besoins ; les règles d’autorisation d’exportation, qui étaient juridiquement contraignantes pour le Royaume-Uni, ont été levées jusqu’à la fin mai 2020. Pendant ce temps, 95 % des demandes d’autorisation d’exportation ont néanmoins été approuvées par les autorités nationales au sein de l’UE.

L’attention s’est maintenant portée sur les vaccins et la Commission, sous l’immense pression des gouvernements nationaux qui demandent pourquoi le processus d’approvisionnement est si lent, cherche à reproduire la politique des EPI pour les vaccins. Le 29 janvier 2021, l’UE a introduit un système d’autorisation d’exportation pour les vaccins COVID-19 expédiés hors de ses frontières. Cette mesure a été justifiée par le besoin d’une plus grande transparence, permettant aux citoyens de savoir où les vaccins fabriqués dans l’UE seraient utilisés. Le Royaume-Uni étant devenu un pays tiers après 2020, ce nouveau régime d’autorisation d’exportation constituait pour elle une menace potentielle pour l’approvisionnement en vaccins Pfizer fabriqués dans l’UE. En effet, dans un geste particulièrement maladroit, Bruxelles a publié un plan visant à déclencher une clause d’urgence dans le protocole sur l’Irlande du Nord de l’accord de retrait de 2019 pour empêcher les vaccins non autorisés d’atteindre le Royaume-Uni via la frontière sur l’île d’Irlande. Se rendant rapidement compte de son erreur, Ursula von der Leyen a promis de ne pas « punir » le Royaume-Uni.

Boris Johnson s’est toutefois empressé de se saisir du sujet pour attaquer l’UE. Il convient de rappeler que le Royaume-Uni possède sa propre liste d’une centaine de médicaments dont l’exportation est limitée parce qu’ils sont nécessaires pour lutter contre le Coronavirus. En outre, les marchés publics britanniques – un objectif de négociation clé dans les accords commerciaux contemporains – ont été particulièrement opaques pendant la pandémie. Des procédures d’urgence qui récompensaient les contacts politiques, en particulier les amitiés avec les politiciens conservateurs, ont été utilisées pour obtenir des EPI. L’absence d’appels d’offre concurrentiels pour des contrats d’une valeur de 18 milliards de livres sterling est en contradiction avec la promesse de supprimer les obstacles non tarifaires au commerce.

Pour l’avenir, l’une des pièces maîtresses de la politique commerciale britannique est la création de dix nouveaux ports francs, dont un en Écosse, un au Pays de Galles et un en Irlande du Nord. Il s’agit d’une mesure chère au chancelier Rishi Sunak, que Boris Johnson tient à présenter comme une retombée positive du Brexit, même si ce type de zone fiscale spéciale existe déjà dans divers pays de l’UE. La grande idée ici est d’utiliser les ports francs pour stimuler la production régionale en offrant des incitations fiscales et douanières aux entreprises situées dans ces zones économiques « spéciales » jusqu’à 45 km d’un port spécifique. Pourtant, la modélisation économique suggère que les avantages des ports francs en matière de commerce et d’investissement sont limités dans la mesure où ils incitent à déplacer les investissements et se font au prix d’une perte de recettes fiscales. Des zones d’entreprises spéciales similaires dans l’UE ont fait l’objet d’un rapport critique du Parlement européen qui signale les implications en ce qui concerne la corruption, l’évasion fiscale et les activités criminelles qui leur sont liées.

Ces exemples montrent que pour le Royaume-Uni post-Brexit, le libre-échange semble être davantage un slogan politique qu’un engagement idéologique profondément ancré. Boris Johnson a loué les avantages de la concurrence mondiale, mais dans la pratique, son bilan est jusqu’à présent très mitigé. Pour résumer, c’est moins le libre-échange et l’idée associée de laissez-faire qui le motive, que l’intervention de l’État, soutenue par des dépenses déficitaires si nécessaire. C’est selon cette idéologie que son gouvernement a abordé la pandémie. Aussi libérales que soient ses promesses en matière de politique commerciale destinées à la scène internationale, son message intérieur révèle une approche beaucoup plus interventionniste pour promouvoir le développement régional et même empêcher l’indépendance de l’Écosse. Cette tension sera une caractéristique de son administration et par conséquent, comme souvent avec lui, les promesses de son discours de Greenwich ont peu de chances d’être tenues.

Traduit du site de l’IREF

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