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« Si nous n’avions pas une petite place sur Amazon, nous serions morts aujourd’hui. C’est surtout la Poste qui nous tue »

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Interview d’Alexis, gérant d’une librairie du Quartier latin par Frédéric Aimard.

Alexis, vous êtes gérant d’une librairie au Quartier latin. Êtes-vous content de la vaste campagne de soutien au secteur du livre sur internet et des mesures annoncées par le gouvernement en faveur des petites librairies ?

Que voulez-vous que je vous dise ? Il y a quelques jours, je me suis surpris à penser du bien de plusieurs de nos ministres. J’ai trouvé Gérald Darmanin courageux d’aller à Tunis pour négocier le rapatriement des fichés S, et je me suis dit qu’on avait de la chance d’avoir une ministre de la Culture intelligente qui répondait enfin à une des plus vieilles revendications des librairies sur la question des tarifs postaux…

Et puis ?

Pour ce qui est du ministre de l’Intérieur je ne sais pas encore, mais si c’est du même tonneau que ce que Roselyne Bachelot a finalement décidé pour les librairies, ce sera encore un coup pour rien…

Pourtant vous allez payer 0,01 euro pour poster un livre à vos clients !

Pas nous, semble-t-il, seulement les petites librairies qui font l’essentiel de leur chiffre d’affaires dans le livre neuf… Et avec un système très administratif de remboursement… Nous sommes certes une très petite librairie, mais nous sommes spécialisés dans le commerce de livres d’occasion, ainsi que nos quatre confrères installés 500 mètres tout autour de nous. Nous sommes fermés dans un quartier déserté par ses habitants et ses étudiants. Nous essayons de faire de la vente par correspondance, et voilà que nos confrères de neuf ont un avantage et pas nous… Cela s’ajoute à bien des raisons d’énervement…

Par exemple ?

Nous avons tous reçu ces jours-ci le questionnaire de l’équipe municipale récemment réélue à Paris, qui nous demande lourdement (les questions sont tournées de telle manière que si on dit non, on apparaît comme un méchant) de nous prononcer en faveur du développement des boîtes d’échange de livres en libre-service sur le trottoir et de nous prononcer aussi pour la suppression de places de parking au bénéfice des vélos (alors que je ne fais jamais un déplacement sans au moins 4 ou 5 caisses de livres bien remplies dans mon coffre car, vu le prix du mètre carré à Paris, nos stocks sont évidemment en banlieue).
Nous sommes fermés puisque c’est obligatoire et même si nous entrouvrons un peu pour faire du « clique et collecte », il n’y a personne dans les rues et notre clientèle n’est pas une clientèle de quartier, mais une clientèle qui vient (venait car c’était avant les samedis gilets jaunes et les grèves des transports de décembre dernier) au Quartier latin pour acheter des livres. Donc oui, une mesure nous permettant d’alléger nos frais postaux aurait été utile. Mais nous en sommes exclus et la mesure annoncée relève du « C’est gratuit, c’est l’État qui paye », c’est une mesure « socialiste », je veux dire démagogique, qui ne durera que peu de temps, le temps du confinement, le temps que la justice s’en mêle car c’est évidemment contraire à toutes les lois libérales et européennes de la concurrence.

Vous êtes de toute manière condamné par la concurrence d’Amazon…

C’est une question complexe. C’est surtout la Poste qui nous tue. Depuis des années, elle augmente ses tarifs publics sans proportion avec l’inflation pour compenser le fait que le courrier est en perte de vitesse. Je remarque par ailleurs qu’on la voit multiplier les investissements, un peu comme faisait Charbonnage de France lors de sa très coûteuse agonie. Des investissements qui tombent le plus souvent à plat, mal conçus, mal expliqués à des personnels bien souvent mal embouchés comme nous savons trop… En revanche, elle discute avec les gros expéditeurs, leur concède des tarifs négociés extrêmement favorables. Et elle est impitoyable avec les petits.

C’est-à-dire ?

Si vous voulez poster un livre au moindre prix de La Poste, du moins en France, il faut mettre le livre dans une enveloppe que vous timbrerez au tarif « Lettre verte », voire courrier urgent, c’est-à-dire normal. Il est possible d’envoyer du courrier assez lourd. En revanche le paquet ne doit pas faire plus de 3 cm de haut. Cela a été fait pour empêcher qu’on expédie des livres souvent plus épais. De toute manière c’est interdit de mettre un livre dans une enveloppe courrier. Un inspecteur des postes m’a téléphoné un jour pour me le rappeler. Le principe du secret de la correspondance interdit à la Poste de regarder ce qu’il y a dans l’enveloppe, mais comme la mécanisation s’accompagne d’un pourcentage non-négligeable d’enveloppes déchirées, vous pouvez vite vous retrouver en faute. Vous devez vous rabattre sur un tarif colis. Chacun le connaît. Cela va bien pour la grand-mère qui envoie une fois de temps en temps un cadeau ou autre chose, mais pour expédier chaque jour professionnellement des livres, c’est d’un prix déraisonnable. Pendant ce temps-là, les éditeurs qui ont beaucoup de services de presse par exemple, et les entreprises importantes de vente par correspondance, ont trouvé le moyen, avec La Poste (dont Amazon est un bon client) ou avec ses concurrents, de payer trois ou quatre fois moins cher que nous. C’est pourquoi quand Roselyne Bachelot avait annoncé un « tarif trois à quatre fois moins cher pour les petites librairies », je m’étais pris à espérer un rétablissement d’une concurrence normale entre les gros et les petits.  Eh bien ce n’est pas ça qui a été décidé et nous nous retrouvons gros Jean comme devant.

Et Amazon ?

Je vais vous décevoir, mais il y a deux parties dans Amazon. Celle des centres de logistique où les fournisseurs et les personnels sont traités encore plus durement que par les supermarchés, c’est dire. La voie leur a justement été montrée par les inventeurs de supermarchés qui trouvent maintenant leur maître… Mais il y a aussi une « Market Place », un espace de vente ouvert aux indépendants, également géré très durement, mais vers lequel les clients, qui sont de nature grégaire, vont de toute manière. Alors si nous n’avions pas une petite place sur Amazon, nous serions morts aujourd’hui car les services alternatifs sont boudés par les clients. C’est malheureux, mais c’est comme ça. Les gens ont pesté contre la disparition des petits commerçants. Ils pestent contre Amazon, mais c’est là que nos contemporains regardent et comparent tout et achètent. Ils photographient un livre dans notre vitrine, entrent pour nous demander si ce livre est bien, et puis ils le commandent sur Amazon… Nous ne sommes pas à la tête du gouvernement français, voire européen et nous n’y pouvons rien. La Chine a réagi en créant un contre-Amazon. Mais nous, à notre niveau, eh bien Amazon tolère encore que nous puissions travailler. Ce qui nous est de plus en plus interdit par les bonnes âmes qui nous gouvernent, nous taxent, nous réglementent… Alors Amazon, dans les circonstances présentes, il ne faut peut-être pas en dire trop de mal.

Vous êtes désespéré ?

Pas encore, parce qu’il y a quelques dizaines de clients qui se signalent par un soutien généreux et amical, parce qu’il y a encore des choses que seul un vrai libraire peut dire ou faire et que nous avons ici cette compétence rare. Merci, merci à tous ceux qui feront le moindre geste pour nous permettre de passer encore une fois un cap très difficile pour nous comme pour tant de Français aux limites extérieures du « gros système ».

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4 commentaires

Jean -Michel THUREAU 10 novembre 2020 - 8:28

Centralisme bureaucratique.
Quand un gouvernement décide de tout, il lui est impossible de traiter correctement des millions de cas particuliers. Même quand ses membres sont cultivés, intelligents, sensés (Bachelot par exemple).

L'incompétence est l'une des fatalités du pouvoir non démocratique.

Malheureux libraires, malheureux restaurateurs, malheureux NOUS !

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Lectrice 10 novembre 2020 - 6:51

Et oui…
Si les clients etaient moins cons… Pourquoi ce libraire ne fait-il pas payer les frais de poste aux clients ? Effectivement une gestion postale debile et+10% … elle emploie plein de rebeux qui veulent les avantages sans bosser. Ils sont d un desagreables…

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librairie Feuilles de Routes 10 novembre 2020 - 7:25

Enfin quelqu'un qui parle vrai
Bravo pour cet article.Entièrement d'accord avec vous.Tous les libraires n'ont pas les moyens d'avoir leur propre site de ventes en ligne.Et aussi brisons le tabou : les cabanes à livre ça suffit!Recyclivre ça suffit!

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Edwood 11 novembre 2020 - 1:58

Heu qu'on ne s'y trompe pas il y a quand même plusieurs incohérences ici. La première qui est fondamentale est que celui qui vend de l'occasion n'est pas libraire mais bouquiniste. Deux métiers différents, des économies, des clientèles types, des revendications différentes. Et pour ce qui est de on peut pas faire autrement que d'avoir un espace sur Amazon, ben si ça s'appelle faire des choix (sociétaux, économique, communicationels et finalement politique). Faire faire un site par un artisan proche de chez vous ou d'agréger à une plateforme de librairie indépendante c'est possible et aussi simple que de prendre une place sur le marketplace. Vous avez fait le choix de continuer de travailler avec une boîte qui tue petit à petit vos confrères, les gens qui y bossent, il serait chouette de juste l'assumer sans pointer des causes extérieures (gilets-jaunes, libraires qui demandent une baisse des tarifs postaux, grève des travailleurs pauvres…).

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