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Les Gafam sont-elles moins taxées que les entreprises traditionnelles ?

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Depuis quelques années, la rengaine revient souvent dans la presse : les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) se goinfrent sur le dos de la société, elles font de formidables bénéfices sans en reverser suffisamment, ce sont des championnes de l’optimisation fiscale. A l’heure où les Etats ont des déficits de plus en plus importants, où l’inflation fait bondir le coût de l’endettement, où les crises incessantes rongent les marges de manœuvres financières publiques, les administrations sont à la recherche de nouveaux capitaux. D’autant que se répand aussi l’idée selon laquelle les entreprises traditionnelles seraient plus lourdement taxées alors qu’elles ont des frais supplémentaires – comme des lignes de production – quand les entreprises de la tech n’offriraient, elles, que des services dématérialisés. Etude anglaise présentée par Augustin Neyrand.

Une disparité des politiques fiscales qui favorise l’optimisation fiscale

L’impôt sur les sociétés, dans une Europe où chaque pays peut décider de sa politique fiscale, constitue un levier d’attractivité pour certains et depuis les années 1980, cette concurrence fiscale tend à faire baisser les taux d’imposition pour ceux qui y ont recours. Usant parfois d’une politique fiscale agressive, des écarts importants ont pu apparaître entre les pays européens qui forment un marché unique.

Cela représente un réel avantage pour les entreprises qui, via Internet, proposent leurs services dans tous les pays : elles peuvent localiser leur siège dans celui où l’imposition est le plus favorable et y déclarer le plus gros des bénéfices tirés de leurs opérations transfrontalières. En Europe, les règles actuelles d’imposition des bénéfices sont fondées sur le principe de l’« établissement stable ». Autrement dit, l’entreprise paie des impôts sur ses bénéfices dans le pays où elle est présente physiquement. C’est la raison qui fait dire à l’UE que les entreprises numériques sont mieux équipées que les autres pour transférer impôts et bénéfices, qu’elles seraient plus efficaces en matière d’optimisation fiscales. Il ne s’agit donc pas de limiter l’optimisation de toutes les entreprises, mais de limiter l’avantage de certaines à pouvoir le faire.

C’est précisément pour cela que la Commission européenne a proposé, dès 2018, une taxe sur le digital harmonisé dans l’UE. Elle estimait en effet que les entreprises du numérique étaient soumises à un taux d’imposition effectif deux fois moins élevé que celui qui est applicable aux entreprises traditionnelles. Ce qui, selon elle, crée des conditions de concurrence défavorables et prive les Etats membres d’importantes recettes fiscales.

Une comparaison qui abat le mythe

L’IREF a voulu faire la lumière sur cette question et a étudié comparativement 463 entreprises mondiales (217 numériques et 246 traditionnelles) entre 2010 et 2020 en utilisant un outil, le taux d’imposition effectif des sociétés (effective corporate tax rate ou ECTR). Etonnamment, les résultats ont montré que ce taux ne différait guère entre les entreprises du numérique et les entreprises plus traditionnelles, et que les montants de la taxe proposée par la Commission pour « rétablir » un équilibre entre entreprises du numérique et entreprises traditionnelles sont très largement surévalués. La différence entre les taux moyens de fiscalité dans le traditionnel et dans le numérique est d’autant moins significative qu’il s’agit d’une moyenne et que la proportion des entreprises réalisant des pertes a été plus forte dans le secteur du numérique que dans le secteur traditionnel.

L’étude comparant les niveaux de pression fiscale dans ces secteurs révèle également que, certaines années, la charge fiscale a été plus élevée pour les entreprises du numérique. Il aurait alors fallu, si l’on suit la volonté d’équité fiscale affichée par l’Union européenne, que les entreprises du numérique bénéficient d’allégements fiscaux – ou de subventions – pour les années 2012 à 2015, lorsque le taux d’imposition effectif des entreprises numériques était plus élevé.

L’étude montre aussi une tendance à la hausse du taux effectif d’imposition des sociétés du numérique au fil du temps, à mesure que le marché lui-même et les entreprises mûrissent et s’établissent. D’après le calcul des auteurs, une taxation équitable sur la période 2010-2020 aurait nécessité une taxe sur le digital de 0,064 %. On est bien loin des 3% suggérés par la Commission. Notons d’ailleurs que, sur l’ensemble de la période d’observation, la différence de taux d’imposition effectif entre les entreprises numériques et traditionnelles n’a jamais dépassé 3%.

Une taxe sur le numérique n’a pas d’intérêt

Les entreprises numériques paient donc globalement des impôts similaires et certaines années leur effort fiscal a été plus élevé que celui qui était imposé aux entreprises traditionnelles. Le débat économique sur l’opportunité de les taxer davantage ne peut donc pas se construire sur la simple idée que, de par leur nature même, les entreprises du numérique paient moins d’impôts. En fait, notre étude des taux effectifs d’imposition ne révèle aucune différence significative entre les secteurs traditionnel et numérique, ne trouve aucun argument en faveur d’une taxe numérique spécifique ni aucune raison d’affirmer que les entreprises du numérique sont sous-taxées.

Les modèles utilisés montrent qu’une taxation du numérique visant à harmoniser les taux d’imposition effectifs devrait être de l’ordre de 0,3%, soit dix fois moins que la proposition de Bruxelles. Cela rapporterait 1€ par habitant de l’Union mais pourrait conduire à d’autres externalités négatives pour l’économie.

A l’heure actuelle, la proposition de la Commission européenne n’est pas viable et créerait un déséquilibre inique en fonction de la nature des entreprises. L’étude met en avant que, si aujourd’hui les entreprises du numériques ne paient pas beaucoup moins d’impôts que les autres, elles sont susceptibles d’en payer plus à l’avenir, avec le développement de ce secteur. Introduire une nouvelle taxe pourrait même être contreproductif.

Lire l’étude de l’IREF 

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5 commentaires

Trentesaux 20 octobre 2022 - 5:33 am

Bonjour, Bravo pour votre publication, il reste que, qu’elles soient traditionnelles ou GAFAM, des nombreuses sociétés transfèrent leur siège social pour des pays à fiscalité d’IS plus faibles que les autres, et que si les taux d’imposition sont proches selon vos dires, les montants des bénéfices des GAFAM sont beaucoup plus importants que ceux des entreprises traditionnelles, sauf erreur de ma part. Cordialement.

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grinderdo 20 octobre 2022 - 8:46 am

Tant mieux si les entreprises du numérique sont pratiquement taxées comme les autres (en moyenne sur toutes les entreprises étudiées si j’ai bien compris). Il n’en reste pas moins qu’on peut optimiser en choisissant bien le siège social de l’entreprise (l’Irlande c’est mieux que la France!). Il faut donc trouver un moyen de faire payer les impôts dus dans le pays où les bénéfices ont été faits et réprimer sévèrement les systèmes de refacturation interne de ces entreprises qui peuvent faire apparaître des pertes fictives.

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Obeguyx 20 octobre 2022 - 9:29 am

Très bon article. Et si au lieu de penser taxations supplémentaires on pensait plutôt l’inverse en demandant à toutes ces pseudo élites de se goinfrer un peu moins sur le dos du contribuable. Car, au final, c’est le contribuable qui « casque ».

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Maccandide 20 octobre 2022 - 7:19 pm

Merci pour cet article « fiscal », qui tente de faire sortir le débat de la bête platitude idéologique habituelle. Cependant, il semble tellement évident qu’une entreprise n’est pas que « le bénéfice des actionnaires dont on prend -justement- une partie pour financer la Nation » et autres sornettes idéologiques tenaces ! Moi, j’aime bien les boites qui emploient beaucoup de salariés, plus de salariés (les salaires et les charges sociales -sans exagérer, merci- c’est essentiel aussi à une société et une entreprises, faut il le rappeler ! Alors, centrer la réflexion sur « bénef » et « impôt », c’est tellement court que c’en est ridicule ! Ne parlons pas de celles qui vont envoyer 50 ou 60% de leur argent aux pays fournisseurs de matières premières ! Non, le principe « à bénéfice égal, impôt égal » n’est pas à lui tout seul un principe complet, équitable, intéressant pour un pays, une nation. L’étude précise des impôts est fort utile. Elle doit être faite dans un cadre omniprésent plus large. Les entrepries, les gens et l’Etat, in fine, s’en porteront bien mieux !

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Essentielliste 23 octobre 2022 - 2:20 pm

Les conclusions de cette étude dont on ne connait pas précisément la définition des paramètres pris en compte me parait à la fois simpliste et assez peu crédible.
Il m’étonnerait que maître Delsol qui maîtrise parfaitement ce type de problématique en soit tout à fait d’accord.
En effet l’optimisation fiscale est un exercice complexe et l’analyse que vous en avez fait ne semble pas prendre en compte l’ensemble des paramètres.
Je prends un exemple pour rester simple et bref.
c’est le problèmes des transferts d’une façon générale dont certains sont parfaitement conformes aux règles internationales et d’autre ne le sont pas du tout lorsque l’on joue sur leur coût de facturation.
Etant extérieur à l’entreprise examinée et, pire à un groupe multinational je ne vois pas comment vous pouvez juger de la conformité des transferts ou non.
Dans ce domaine, on sait tous qu’il y a la question des royalties généralement composées des marques, des brevets et de l’assistance technique.
Certains groupes internationaux usent et abusent de ces transferts qui pourtant font l’objet normalement d’examen
objectifs par les administrations fiscales des pays correctement équipés en cette matière.
Si je ne me trompe, les Gafam organisent des transferts, notamment au titre de « royalties » sous forme de revenus perçus dans leurs filiales assurant l’activité localement au. profit des sociétés détenant les brevets et autres actifs immatériels, sociétés qui comme par hasard sont situées dans des paradis fiscaux comme l’iIrlande.

Autre observation concernant Mac Kinsey qui, nous dit on ne paye pas d’impôt en France, nonobstant son activité importante dans notre pays. Ne serait-ce pas du fait des transferts importants de France vers la maison mère ??

Je pense que votre étude devrait être actualisée en prenant en compte l’ensemble des paramètres du problème effectivement bien complexe.

Merci de la réaction de Maître Delsol

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