Si vous voulez savoir qui est Poutine, lisez l’ouvrage que Françoise Thom lui a consacré. Agrégée de russe et maître de conférence (HDR) émérite en histoire contemporaine de l’université Paris-Sorbonne, l’auteur est une spécialiste très reconnue de l’URSS et de la Russie post-communiste. Elle nous dit que la société russe d’aujourd’hui porte encore, dans son comportement et sa vision du monde, les marques profondes de l’ère soviétique faite de camps, de pègre et d’idéologie.
« Le penchant des citoyens post-communistes pour les régimes autoritaires s’explique par ce fond de haine et de méfiance […]. Il est illusoire de vouloir mettre en place un régime représentatif quand les citoyens vivent dans l’idée que l’homme est un loup pour l’homme. De même aucune fonction publique au sens où nous l’entendons ne peut voir le jour dans un pareil contexte. Là où il n’y a pas de bien commun, il n’y a pas de responsabilité (p.21). »
La violence se mêle ainsi à l’immoralité, au cynisme et à l’arbitraire. Il n’y a même plus l’idéologie communiste qui, toute perverse qu’elle soit, formait encore une trame sociale.
Dans cette ambiance malsaine, le capitalisme implanté au temps d’Eltsine fut dévoyé par ses liens mafieux et sa connivence avec les hommes du pouvoir. Dans cette collusion, les oligarques ont bâti leurs fortunes. La politique devint elle-même une sorte de marchandise avant que le KGB s’en empare en mettant au pouvoir un Poutine dont les oligarques espéraient pouvoir faire leur marionnette mais dont ils se retrouvèrent les serviles vassaux.
Né en 1952, Poutine est l’enfant des cités soviétiques. « Dans le milieu où il grandit, nous dit Françoise Thom, les mioches rêvent de devenir des autorités criminelles » (p. 43). Son tempérament le porte pourtant à préférer les films d’espionnage et offrir ses services au KGB à l’âge de 17 ans. Après un début de carrière en Allemagne, il devient l’adjoint pour le commerce extérieur du maire de Saint Pétersbourg, Sobtchak. Ce poste lui offre une base formidable pour se lancer dans des affaires peu recommandables mais profitables. Il prend le contrôle de la banque Rossia où était déposé l’argent du Parti, puis se lance dans des opérations de troc international qui lui permettent d’obtenir de subséquentes commissions. Françoise Thom n’hésite pas à soutenir, documentation à l’appui, qu’alors Poutine s’est enrichi dans des activités criminelles.
Ce contexte nauséabond ne permet pas de comprendre les valeurs occidentales. Poutine aurait déclaré en 2000 qu’il y a trois moyens d’agir sur les hommes « le chantage, la vodka et la menace d’assassinat » (p. 53). Le monde russe est un rapport de force où ni la liberté ni la vérité n’ont leur place. Poutine peut y gouverner par la peur, comme le fit son prédécesseur Staline. Les députés comme les gouverneurs sont des rouages contrôlés qui peuvent en échange se servir financièrement. « Le Kremlin éradique et neutralise tous ses adversaires et fait de la Russie une table rase » (p. 63).
2 commentaires
Merci Mr DELSOL pour la qualité de vos interventions en general et celle-ci en particulier. Bien a vous
Je vous adresse également mes remerciements monsieur DELSOL, cet article décrit avec une grande lucidité une sorte d’enfer post-soviétique. Oui il est raisonnable de comparer le régime de Hitler à celui de Poutine, d’ailleurs dans la droite ligne de celui de Staline. Ces hommes là gouvernent en faisant régner la terreur, la répression brutale et l’emprisonnement des opposants. Le peuple Russe est hélas fort docile et je crains qu’une vraie démocratie ne soit pas pour demain avec les successeurs de Poutine…