Au tout début du XXème siècle, le bloc des gauches domine le débat politique et défend la laïcité jusque dans la violence. Dans ce climat, émerge courageusement un parti qui se réclame libéral autant que catholique. Son animateur et chef d’orchestre, Jacques Piou, avocat, député de la Haute-Garonne de 1885 à 1893 puis de 1898 à 1902, décida de regrouper les catholiques libéraux pour contester et pour le moins tempérer les ardeurs collectivistes et anticléricales de la majorité organisée autour des radicaux socialistes. Il s’inscrit ainsi dans le sillage de Charles de Montalembert qui défendait à Malines en 1863 « Une Eglise libre dans un Etat libre » et d’Anatole Leroy-Beaulieu qui avait écrit en 1885 un livre titré : Les catholiques libéraux.
Evelyne Janet-Vendroux, agrégée et docteur en histoire, raconte de manière alerte ce combat qui, s’il fut d’une autre époque, souligne aussi la continuité de la politique et de ses turpitudes. Certes, Jacques Piou s’inspirait, avec son ami et soutien indéfectible Albert de Mun, d’une droite organiciste qui paraitrait bien conservatrice aujourd’hui, mais il se situait dans une ligne très moderne alors, entre les nationalistes, dont il s’est souvent rapproché, et les monarchistes qui ne l’aimaient pas et que Maurras allait faire grandir. Sa volonté de ne pas construire son action politique en opposition à la République fut confortée par le pape Léon XIII qui incitait les catholiques à s’y rallier dans son encyclique Au milieu des sollicitudes du 16 février 1892.
Jacques Piou s’est d’emblée positionné contre les empiètements (déjà ) incessants de l’Etat sur la sphère privée des familles, des communautés subsidiaires et des individus. Son mot d’ordre fut toujours la liberté : libertés individuelles, liberté des cultes, libertés sociales, liberté d’association, et enfin la liberté d’enseignement qui sera si chère à son mouvement, l’Action Libérale Populaire fondée en 1901. La devise de l’ALP était « Liberté pour tous, Egalité devant la loi », ce qui orientait libéralement la devise nationale. Le mouvement dénonçait l’Etat qui se trouve amené à jouer tous les rôles d’Etat-providence, d’Etat-patron, d’Etat-fournisseur ; il décriait les « doctrines collectivistes et les politiques de prodigalités qui mènent au déficit et à l’Emprunt » autant que « l’augmentation permanente de la bureaucratie ». Rien n’a vraiment changé depuis 120 ans !
Sa politique reposait sur « l’accession à la propriété et au capital par l’’épargne et la mutualité », sur le développement de retraites ouvrières sans intervention de l’Etat, sur l’indépendance de la justice, sur des impositions raisonnables. Déjà , l’ALP observait : « Nous avons en France le peu enviable honneur d’être le peuple de la terre qui paie le plus d’impôts ! ».
Dès les élections de 1902, l’ALP réussit à apparaître comme un parti d’opposition sérieux réunissant 78 députés. La violence anti-confessionnelle qui s’exprima de 1902 à 1905 à l’encontre des congrégations et plus généralement des écoles catholiques galvanisa ses troupes pour y réagir. Jacques Piou était totalement investi dans le développement de son parti. Il multipliait les conférences, les journaux et almanachs, les comités locaux, les banquets qui réunissaient souvent des milliers de participants. Il utilisait déjà des moyens très nouveaux pour recruter ses adhérents en leur offrant des services de conseil ou de formation, parfois des services sociaux, ou en les rassemblant de manière conviviale, voire festive.
Mais il ne manquait pas non plus de fustiger autant le syndicalisme révolutionnaire que le capitalisme. Tout entier dévoué à la doctrine sociale de l’encyclique Rerum Novarum, l’ALP déplorait indument : « L’ouvrier a payé la rançon du magnifique progrès […], le mal est profond. Le patron dominé par la concurrence n’est pas libre de donner les salaires qu’il veut. […] Le libéralisme économique a déchaîné sur le monde une concurrence sans frein. » Certes, Jacques Piou aurait été mieux inspiré de lire Jean-Baptiste Say et Bastiat. Mais il fit néanmoins beaucoup pour la liberté.
Elu député de la Lozère de 1906 à 1919, Jacques Piou fit un travail remarquable de persuasion et permit incontestablement à certaines idées libérales de s’ancrer dans la population à l’encontre de la gauche mais aussi d’une certaine droite classique. Evelyne Janet-Vendroux nous entraine dans son aventure en historienne sans cacher une certaine admiration pour cet homme dévoué à sa cause. L’ouvrage a ce grand mérite de nous livrer un moment libéral, à sa façon, qui a contribué activement au combat incessant des idées face notamment au collectivisme. L’ALP ne survécut guère à la guerre. Il souffrit sans doute aussi de la faiblesse qui atteint bien souvent les démocrates-chrétiens que le christianisme semble empêcher de structurer complétement leur pensée économique alors qu’il pourrait au contraire l’armer plus solidement pour autant que ne soit pas confondues l’Eglise et la société.
1 commenter
A l’harmattan ! L’Harmattan est passé à droite !!!!