Cet ouvrage parle de doctrine catholique, mais à propos de l’argent et de l’économie. Il nous a paru judicieux de laisser notre ami Serge Schweitzer le commenter, les positions de l’Eglise en la matière pouvant intéresser chacun indépendamment de ses convictions religieuses.
L’Association des Économistes Catholiques ( A.E.C. )  publie les actes d’un récent colloque intitulé La monnaie et l’argent à la lumière de la doctrine sociale de l’église chez Pierre Téqui éditeur 2024 .  161 pages. Le livre s’ouvre par une courte préface de présentation de Pierre de Lauzun, président de l’Association des économistes catholiques. L’auteur est particulièrement qualifié pour animer les interventions,  puisque polytechnicien et énarque , il a été , entre autres , directeur général de la Fédération bancaire française et délégué général, pendant plus de quinze ans, de l’Association Française des Marchés  Financiers. Sa compétence et son expertise sont donc incontestables. On ne s’étonnera donc pas que son article d’ouverture intitulé, La monnaie et le politique ( p.9-25 ), soit un intéressant rappel du rôle de la monnaie,  des éléments principaux de son histoire, d’un détour salutaire et judicieux selon lequel  les banques commerciales, contrairement à ce qui est souvent écrit, ne créent pas stricto sensu de la monnaie. Les réflexions relatives à la nocivité du rôle de la Banque centrale quand elle pratique une politique désordonnée d’agent facile et trop abondant sont particulièrement les bienvenues ; son désaccord radical avec les propositions du Père Gaël Giraud est parfaitement argumenté, légitime,  et emporte l’adhésion.  Enfin les quelques paragraphes sur le débat entre les taux de change  fixes  et les taux de change flottants sont tout à fait pertinents.  Au total l’auteur nous met en garde contre des dérapages contemporains gravissimes,  qui à la suite des travaux, par exemple de Michel  Aglietta, détournent  des fonctions traditionnelles de la monnaie – unité de compte ,  moyen d’échange,  réserve de valeur , anticipation de possibilités futures grâce au crédit – pour en faire un instrument entre les mains de l’Etat afin de réguler la croissance, ou selon les cas la doper ou  la ralentir,  bref la monnaie comme outil plutôt que la monnaie comme institution.
Tout aussi significatif sur le plan de la rigueur scientifique est l’article de Michel Lelart ( p.53-66 ), directeur de recherche émérite au CNRS,  sur « La monnaie dans les encycliques depuis Rerum Novarum Léon XIII -1891. ». L’auteur examine le rôle et la place de la monnaie dans la doctrine sociale de l’église ( D.S.E ). Le pape Léon XIII, puis 40 ans plus tard Pie XI ne partent pas de rien. Outre les Évangiles,  et particulièrement les paroles du Christ , la contribution des Pères de l’église tant grecs que latins,  puis des scolastiques est fondamentale. Michel Lelart examine successivement la dimension nationale de la monnaie, puis sa dimension internationale telle qu’évoquée dans la D.S.E. S’agissant de la dimension nationale notre auteur n’a pu trouver comme référence à la monnaie que des passages très succincts, presque elliptiques, à propos de la monnaie de banque. De façon identique les passages dans les encycliques consacrés à la finance tiennent en quelques lignes du moins jusqu’à Caritas in Veritate, et l’idée portée par le pape Benoît XVI d’une recommandation forte en faveur de placements éthiques, « non pas d’une éthique quelconque , mais d’une éthique amie de la personne».
Michel Lelart,  dont les ouvrages font autorité ,  en particulier sur le Système Monétaire International,  constate sans joie ni amertume : « La monnaie n’est pas l’affaire des papes avons-nous dit . La monnaie internationale ne l’est pas non plus.  On ne trouve rien au sujet du dollar dans les encycliques depuis les années 1970.  Il n’est jamais cité et on ne trouve rien dans les encycliques récentes à propos des modalités de sa création , voire de sa multiplication lorsqu’il se transforme en eurodollars . Toutefois les papes se sont intéressés à la finance internationale à partir de ces années, lorsque les pays en développement commençaient à s’endetter tandis que les capitaux pouvaient peu à peu circuler librement. Paul VI a été le premier pape à parler de la dette entre les pays. D’autres ont suivi. »
Suivent des développements significatifs et fort suggestifs en particulier sur le Système Monétaire International et « le privilège exorbitant du dollar.
Le gros article de Gabriel de Longeaux : La monnaie, étalon  des valeurs économiques à l’aune des valeurs morales »( p. 67- 108 )  est impossible à  synthétiser en raison de sa densité, mais il mérite d’être mentionné car il est d’un très bon niveau et d’une haute tenue scientifique dans un langage clair sur des sujets complexes.
Tel est également le cas de la remarquable communication du Père Pierre Coulange « Comment gagner sa vie ? argent et éthique économique » p.  137 – 147. On y retrouve la rigueur de l’universitaire qu’il fut, avant que d’opter pour l’état ecclésiastique. Les notes de bas de page sont particulièrement éclairantes. Tout est important dans cet article. À commencer par des mises au point salutaires ;  ainsi par exemple à propos du fait que ce n’est pas l’argent qui est en cause sur le plan de la morale chrétienne, mais la richesse elle-même , la possession, c’est-à -dire les tentations entraînées par la richesse lorsqu’elle est convoitée pour elle-même. D’utiles développements sont consacrés à la dialectique de l’argent selon qu’il est idole qui nous mène à l’addiction, ou moyen de secourir les petits, les humbles, et les faibles. La discussion autour de la phrase de l’Évangile : « qui veut sauver sa vie la perdra » est exemplaire d’une exégèse marquée par la science et la rigueur. La remarque vaut également pour la discussion autour de l’injonction du Christ : « Rendez à César ce qui est à César,  et à Dieu ce qui est à Dieu». De façon identique la mise au point est salutaire à propos de la phrase : « il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux ». Nous pourrions continuer sur le thème des mises au point aussi savantes qu’indispensables. Qu’il suffise de conclure sur l’article du Père Coulange en soulignant avec force sa très grande portée et sa remarquable utilité.
Comme fréquemment avec Jean-Yves Naudet  la simplicité du propos cache, sans nullement occulter, non seulement une information d’une sûreté totale,  mais encore des remarques simultanément profondes, pertinentes , et de grande portée. Sur un thème apparemment déjà traité mille fois : « Dieu et l’argent :  bon serviteur et mauvais maître » ( p.149-158 ), le plus grand spécialiste en  France de la D.S.E. nous livre un article exemplaire tant dans la forme que dans le fond. S’agissant de la forme , elle est simultanément d’une grande simplicité, mais d’un vocabulaire riche et choisi et pas une citation, ou référence ne manque. Ce qui fait l’originalité et la richesse de ce papier, c’est le statut , et les connaissances qui y sont attachées, de professeur en sciences économiques qui a été celui de l’auteur pendant près d’un demi-siècle. En lieu et place de nous asséner des remarques moralisantes et banales,  l’auteur de l’article prends les deux versants -c’est-à -dire bon serviteur et mauvais maître – , et les analysent en insérant ses  réflexions dans les considérations les plus sûres de l’analyse économique contemporaine. Mais cela ne signifie pas qu’il se défausse dans une neutralité académique peureuse pour ne point choisir et donner son point de vue final que nous citons intégralement :
« Mais la question demeure :  quelle attitude avoir face à l’argent ? Il fallait rappeler qu’il a un rôle, qu’il simplifie la vie et les échanges , qu’il peut être l’occasion de faire le bien , mais aussi qu’il faut savoir le dominer et le domestiquer,  et non être dominé par lui,  en faire un serviteur, non un maître.  Faut-il renoncer à la richesse monétaire ?  Non, mais il faut savoir prendre ses distances avec elles, c’est-à -dire acquérir l’esprit de pauvreté dont parle les  béatitudes.  Le Christ nous a donné une réponse qui doit guider nos choix, dans son dialogue avec Satan au désert,  en nous rappelant que « l’homme ne vit pas seulement de pain ».
Un livre utile et savant pour celui qui croit au ciel comme à celui qui n’y croit pas.