« L’individualisme, voilà , vous dis-je, le fléau ! », écrivait en 1995 Jean-François Revel dans un éditorial publié dans Le Point. Depuis, les choses ont-elles changé ? Lors du débat à 11 pour la présidentielle, un seul candidat a prononcé le mot « liberté » et aucun le mot « individu ». Pourtant, ils auraient pu le faire s’ils avaient lu l’excellente anthologie publiée fin 2016 par le philosophe Alain Laurent. De Montaigne à Mario Vargas-Llosa, en passant par Tocqueville, Constant, Kierkegaard, Ibsen, Popper et bien d’autres grands noms de la littérature et de la philosophie, l’ouvrage réhabilite le terme d’individualisme en rappelant qu’il s’agit d’abord d’un refus du conformisme. Etre « individualiste » c’est avoir un esprit révolutionnaire et autonome face à l’idéologie communautariste.
Les politiques – de droite et de gauche – ont utilisé le terme individualiste comme un véritable épouvantail en le confondant avec l’égoïsme et le repli sur soi. Ils en ont profité afin de s’ériger en défenseurs des « laissés pour compte » et autres victimes supposées de cette individualisation de la société. L’aspect péjoratif du mot a toujours été largement majoritaire en France où le simple fait de parler d’individu est une insulte. Cette animosité idéologique à l’égard de l’individu portée autant par gauche que par la droite traditionnaliste et souverainiste a porté ses fruits dans le rejet des réformes économiques dont la France aurait besoin (de nombreuses citations réunies dans l’ouvrage montrent très bien l’aveuglement de la classe politique). Pas de réforme sans la sauvegarde de la « solidarité nationale », radotent ces politiques à longueur de journée. La France est « victime de la mondialisation et de l’individualisation » répètent en chœur les intellectuels conservateurs anti-libéraux pour lesquels l’individualisme est la principale bête noire. En réalité, c’est bien l’Etat tentaculaire et l’échec des politiques publiques qui coulent la France. L’individu est condamné à l’esclavage par un Etat omnipotent, il n’est nullement coupable car il a les mains liées.
A l’étranger, il existe des exemples de mariage heureux entre le libéralisme et le conservatisme. Thatcher et Reagan en politique, lord Acton, Ortega y Gasset, Micheal Oakeshott ou Roger Scruton qui se considèrent comme des disciples de Guizot. Le grand mérite de l’ouvrage est de nous plonger dans leurs textes pour qu’on se fasse notre idée. Oui, l’individualisme est bien compatible avec l’idée de tradition et de conservatisme. Mais dans une perspective de liberté et d’épanouissement.