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Bureaucratie : les aveux partiels d’un responsable

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Il est difficile de trouver un Français plus représentatif de nos haut-fonctionnaires que Jean-Pierre Jouyet. Son CV accumule les plus hauts postes financiers : Directeur du Trésor, la plus prestigieuse Direction du ministère des Finances, chef du service de l’Inspection des Finances, le corps de fonctionnaires le plus influent, président de l’Autorité des marchés financiers, qui règlemente la Bourse, directeur général de la Caisse des dépôts et président de la Banque Publique d’Investissement, les « bras armés » de l’Etat dans l’économie. Il a été en outre chef de cabinet du président de la Commission Européenne Jacques Delors, directeur du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, secrétaire général du Président de la République son ami François Hollande, ministre de Nicolas Sarkozy. Il a joué un rôle important dans l’ascension d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, notamment en dénonçant une prétendue intervention de François Fillon pour faire accélérer par l’Elysée les poursuites judiciaires contre Nicolas Sarkozy. Il en fut d’ailleurs remercié par Emmanuel Macron qui le nomma en 2017, à 63 ans, ambassadeur de France au Royaume-Uni.

« Catholique de gauche », il se livre, sous le titre « Est-ce bien nécessaire, Monsieur le ministre ? » (Albin Michel-octobre 2023), à une étonnante et méritoire confession publique : « J’étais plus intéressé par les règles qui s’appliquaient aux relations entre les administrations centrales que par celles qui s’appliquaient aux administrés (…). Je minimisais l’importance de la bureaucratie et son rôle souvent néfaste sur la bonne marche du pays (…). Maintenant que j’affronte seul la machine administrative je mesure l’astuce et la ténacité dont doivent faire preuve les usagers des services publics ».

Sa confession va jusqu’à signaler les mauvaises décisions qu’il a prises ou suscitées dans ses différents postes :

Pour assurer le succès de l’introduction de l’Euro, il a recommandé des « augmentations de salaires aveugles et préventives » accordées aux salariés des imprimeries de la Banque de France qui menaçaient de faire grève.

Sur les 23 régions existant en 2015, 17 ont subi des fusions qui ont réduit leur nombre à sept. Par la suite, « les dépenses de ces sept régions fusionnées ont augmenté trois fois plus vite que celles des six autres régions non fusionnées ».

Les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des haut-fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir

La fusion des directions des Impôts et de la Comptabilité publique « supposait de mettre fin aux doublons entre directeur départemental des impôts et TPG (trésorier-payeur général). Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui ces deux fonctions coexistent toujours ».

Sa longue expérience administrative lui a fait constater de nombreux gaspillages de l’argent public.

« L’Etat dépense un « pognon de dingue » ». Pour le gouvernement d’Elizabeth Borne, 565 conseillers, soit 13 par ministre, alors qu’en 2017 Emmanuel Macron n’en voulait pas plus de cinq par ministre. Ils sont assistés par 2.200 huissiers, secrétaires, chauffeurs, cuisiniers. « Il suffirait de 15 ministres à temps plein. En matière sociale, un ministre suffirait au lieu de cinq. Un ministère des Rapatriés a été instauré en 1995, trente-trois ans après la fin de la guerre d’Algérie (…). Quand je suis nommé secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, je comprends que je dois composer avec quatre autres administrations françaises qui en sont chargées ».
Il remarque que « la France est le pays le plus centralisé d’Europe ». « Pourquoi ne pas donner plus de pouvoirs aux départements et aux régions dans la gestion des écoles, collèges, lycées, universités, hôpitaux ? (…). Les ARS (agences régionales de santé) devraient être confiées aux régions ; les chefs d’établissement de l’enseignement public devraient recruter eux-mêmes leur personnel enseignant (…). En finir avec le droit des préfets sur les projets d’urbanisme menés par les communes ».

Il constate avec effroi qu’il y a 1.800 pages pour la réglementation thermique des établissements scolaires, 4.300 pages d’instructions aux ARS pour la collecte de données chiffrées, que 40 % du marché locatif privé seront vraisemblablement interdits à la location du fait de leur classement énergétique, que 68 % des élus sont confrontés à des normes contradictoires.

Il a vu que le Président de la République passait trop de temps à de trop nombreuses nominations.  L’Elysée est devenu une « agence de casting permanent ». « (Comme secrétaire général de l’Elysée) j’ai consacré beaucoup de temps aux nominations ». De nombreuses nominations sont qualifiées par lui de « nominations de circonstance » (des nominations par copinage).

De ce fait la réforme de l’Etat est négligée. « Emmanuel Macron n’a pas engagé en 2017 une grande transformation de l’Etat (…). Je n’ai jamais senti chez les quatre derniers présidents de la République le moindre intérêt pour ce sujet pourtant essentiel, la réforme de l’Etat (…). Pendant les trois ans (où j’ai été secrétaire général de l’Elysée), jamais le thème de la réforme de l’Etat n’a été abordé (…). La simplification est toujours confiée à des membres du gouvernement de second rang ». Il reproche à la réforme Balladur des retraites en 1993 d’avoir « épargné la fonction publique » (comme celle de Macron en 2023).

Le titre de son livre illustre le fait que les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des haut-fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir, d’autant plus que les principaux ministres sont issus de leurs rangs et y retournent après leur carrière politique.

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel. C’est l’aveu d’une caste.

Jean-Pierre Jouyet sait que de profondes réformes sont nécessaires. Il critique Emmanuel Macron, qui « s’était engagé à baisser de 120.000 les effectifs publics, mais en a créé 120.000 ». Il écrit qu’il faut « en finir avec les sureffectifs et les doublons » et qu’« il reste à réduire la masse salariale globale » (de la fonction publique).

Il admire les dirigeants de pays qui l’ont réalisé : Paul Martin, premier ministre du Canada, « qui a diminué de 20% les dépenses publiques canadiennes, et qui a obtenu en dix ans une baisse de ces dépenses de 48,8% à 37,1% du PIB canadien » ; Franco Bassanini, ministre italien de la Réforme de l’Etat, « qui a fait passer le coût du personnel public de 12,6% du PIB en 1990 à 10,5% en 2000… et supprimé près de 200 types d’autorisations administratives ».

Il sait que les syndicats sont un frein aux réformes : « en Italie les principaux syndicats du secteur public représentent les travailleurs des secteurs public et privé, alors qu’en France ils ne représentent que ceux de l’administration publique ». Pour faciliter les réductions d’effectifs, il propose de « renforcer la mobilité entre administrations, développer la polyvalence des agents ».

Il approuve les privatisations de Lionel Jospin (France-Telecom, Renault, etc), qu’il a orchestrées comme directeur de son cabinet et « qui ont fait passer le déficit public à 1,3% du PIB en 2000 ».

Bref, Jean-Pierre Jouyet connait les défauts de nos administrations et une partie des remèdes.

Pour sortir la France de son déclin économique, il devrait tirer toutes les leçons de ses observations : obliger à la démission de la fonction publique les fonctionnaires entrant en politique ; contrôler les subventions aux syndicats ; privatiser toutes les entreprises publiques, y compris la Caisse des dépôts, la BPI, EDF et SNCF (cf Japon, Royaume-Uni, Italie), ainsi qu’une partie des HLM, hôpitaux, écoles, assurance-maladie ; fixer un objectif de 20% de baisse des dépenses publiques ; geler les embauches de fonctionnaires, aligner leurs horaires de travail sur ceux des allemands et rendre les haut-fonctionnaires responsables de leur gestion devant le Parlement; règlementer le droit de grève ;  décentraliser la gestion de l’Education, de la Santé, de la Culture, du Sport, du Tourisme, etc.

Bien qu’il prétende que son livre est « une sorte de confession qui met à plat les moyens du redressement », il ne propose presque rien de tout cela. Car des haut-fonctionnaires lui diraient : « Est-ce bien nécessaire ? ».

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel. C’est l’aveu d’une caste.

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5 commentaires

Picot 25 novembre 2023 - 11:53

Un nième constat de faits connus, sans conséquences concrètes. Nous connaissons.

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Goufio 25 novembre 2023 - 3:24

Les énarques et les administrations sont l’occupant de l’intérieur et ne lâcheront rien

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GALINIER 25 novembre 2023 - 8:58

Et écrire un livre avec un titre sulfureux sur ses propres irresponsabilité est-ce bien nécessaire Monsieur le sinistre??A oui faire un scoop pour gagner encore plus d’argent?? N’en n’avez pas eu assez pendant toutes ces années à nos crochets??? je vous espère un joli flop de votre bouquin, quoique vous aurez eu raison si tous les fonctionnaires grassement payés en achètent un!!!

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Lombled 26 novembre 2023 - 2:52

Nous savons tout cela nous les salariés du privé, puisque nous travaillons pour qu’ils s’engraissent. Quant à la réforme Balladur une belle cochonnerie anti salariés du privé.

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Philippe 8 février 2024 - 12:27

4 jolis commentaires sur ce monsieur qui ne manque pas de toupet !!
La seule réforme avec l’administration c’est sa suppression pure et simple, Javier milei la très bien compris avec sa vidéo « fuera » sur les ministères qui ne servent à rien mais en plus sont nuisibles. Car il ne faut jamais l’oublier mais 94% des fonctionnaires en plus d’être inutiles sont nuisibles (et pas forcément volontairement d’ailleurs…)

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