Benjamin Constant fut un homme universel, journaliste, essayiste, politicien, philosophe… Dans cette nouvelle biographie, Gérard Minart nous fait connaître l’économiste libéral. Car Benjamin Constant était adepte de « la liberté en tout ». « Il sera donc, note G. Minart, promoteur des libertés d’entreprendre et d’échanger, de la propriété privée des instruments de production, de l’intérêt personnel comme facteur de croissance, de la limitation de l’Etat à ses fonctions régaliennes… ». Bien entendu, l’économie n’est pas dissociable de la philosophie par laquelle B. Constant privilégie l’indépendance de l’individu comme il l’expliqua lors de sa conférence à l’Athénée sous le titre De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes dans laquelle il exposait le danger de la liberté athénienne qui soumettait le citoyen à la Cité et qui enfanta sans doute les théories de l’abbé Mably et de Rousseau prenant « l’autorité du corps social pour la liberté ».
B. Constant ne considère pas le gouvernement comme inutile. « Il n’en faut point hors de sa sphère, dans cette sphère, il ne saurait en exister trop ». Le gouvernement a mission de faire régner l’ordre intérieur et la souveraineté : « Les attentats à la vie, à la propriété, à la sûreté, sont des crimes et doivent être punis. Tout le reste doit demeurer libre ». Et il dénonce notamment –déjà ! – « le comportement des grands compagnies de commerce bénéficiant de situations de faveur accordées par l’Etat » autant que les métiers qui ont gardé des privilèges, et la fixation arbitraire des salaires ouvriers. Pour éviter l’accaparement, il faut moins de règlementation et plus de concurrence.
Pour développer l’industrie et le commerce, il faut aussi que l’impôt ne vienne pas leur nuire. Il préfère l’impôt sur le revenu à celui sur le capital qui est une atteinte à la propriété. Mais plus généralement « Un axiome incontestable, écrit B. Constant, et qu’aucun sophisme ne peut obscurcir, c’est que tout impôt, de quelque nature qu’il soit, a toujours une influence plus ou moins fâcheuse. Si l’impôt produit quelque fois un bien par son emploi, il produit toujours un mal par sa levée. Il peut être un mal nécessaire. Mais comme tous les maux nécessaires, il faut le rendre le moins grand possible. Plus on laisse de moyens à la disposition de l’industrie des particuliers, plus un Etat prospère ». Il attache donc beaucoup d’importance au contrôle du budget par les parlementaires et à la transparence des comptes publics que Necker, le père de Madame de Staël, avait déjà introduite. D’une manière générale, il se méfie donc des lois dont la prolifération est source de tyrannie. La législation n’a point à protéger l’agriculture, pas plus qu’à organiser l’industrie ou l’éducation.
Le libéralisme de Constant s’inscrit dans la tradition libérale classique et annonce la pensée des économistes autrichiens. Il souhaite, dit G. Minart, l’avènement « d’une société des échanges et du libre marché qui tourne la page de la possession par la violence guerrière pour instaurer la possession par consentement ». Il est optimiste en ce sens qu’il croit à l’innovation, à la force de la liberté humaine. Contre Malthus, et avec J.B. Say, il proclame : « Le principe de la population, c’est l’accroissement des moyens de subsistance. Le principe de l’accroissement des moyens de subsistance, c’est la sûreté et le repos. Le principe de la sûreté et du repos, c’est la justice et la liberté ». Mais le bon ordre est plutôt un moyen qu’un but. Il veut d’abord préserver notre civilisation en entretenant des sentiments nobles et désintéressés. Il ne croit d’ailleurs pas seulement en l’individu producteur, mais en l’homme dans toutes ses dimensions. A ce titre, il récuse l’arithmétique des peines et des plaisirs de Bentham : « J’aime bien l’économie politique ; j’applaudis aux calculs qui nous éclairent sur les résultats et sur les chances de notre triste et douloureuse destinée ; mais je voudrais qu’on n’oubliât pas que l’homme n’est pas uniquement un signe arithmétique, et qu’il y a du sang dans ses veines et un besoin d’attachement dans son cœur ». Dans cet esprit, il est attaché au respect des droits naturels inviolables et imprescriptibles qui fondent l’homme. « Non, soutient Constant, la nature n’a point placé notre guide dans notre intérêt bien entendu, mais dans notre sentiment intime. Ce sentiment nous avertit de ce qui est mal ou de ce qui est bien ». Ce qui le conduit, par exemple, à lutter contre la pauvreté, à vouloir généraliser l’instruction et favoriser la réinsertion des détenus ayant accompli leur peine.
Au demeurant Constant reste toujours d’abord un philosophe politique comme il l’exprime dans son Mémoire sur les Cent-Jours : « Je vois dans l’individualité dont on se plaint, le perfectionnement de l’espèce ; car l’espèce n’est au fond que l’agrégation des individus ; elle s’enrichit de la valeur morale à laquelle chacun d’eux parvient. L’anarchie intellectuelle qu’on déplore me semble un progrès immense de l’intelligence ; car le triomphe de l’intelligence n’est pas de découvrir la vérité absolue qu’elle ne trouvera jamais, mais de se fortifier en exerçant ses forces, d’arriver à des vérités partielles et relatives qu’elle recueille et qu’elle enregistre sur sa route et d’avancer ainsi dans cette route où chaque pas est une conquête, bien que le terme en soit inconnu ».
A tous ceux qui voudraient mieux connaître Benjamin Constant, Gérard Minart offre une excellente présentation de ses convictions économiques, mais aussi plus généralement de sa vision du monde.
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