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Valéry Giscard d’Estaing ou le libéralisme « avancé »

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J’ai compris que compte tenu de mon âge j’ai eu le privilège de connaître le Président et d’apprécier tout ce qu’il a fait pour les Français pendant ses vingt ans de carrière politique. Oui, je peux apprécier, mais je n’apprécie pas beaucoup, et je vais aller une fois de plus contre la pensée unique qui le découvre avec émerveillement et lui réserve de belles oraisons funèbres.

Prenons d’abord la carrière politique de VGE avant sa victoire de 1974. Il sera dans les gouvernements successifs, jeune ministre de De Gaulle et de Pompidou. Polytechnicien brillant et en effet doté d’une intelligence hors du commun. Nous le connaissions plutôt à l’époque sous le sobriquet de « Fiscard », parce que les dépenses publiques et les impôts ont filé bon train durant toutes les années où il a régné Rue de Rivoli (avant que le Ministère déménage à Bercy).

Double rupture : j’y ai cru

J’ai soutenu, comme tant d’autres libéraux, la candidature de Giscard, car j’espérais enfin une double rupture : avec le socialisme (nous étions sous la menace du Programme Commun de la gauche avec l’alliance des socialistes et des communistes), et avec le gaullisme, sans cesse au pouvoir depuis 1958, et partisan de la « troisième voie » entre plan et marché. Ce soutien n’a pas été seulement intellectuel : débats et conférences, réseaux de clubs locaux, meetings géants (comme à Valence avec les étudiants d’Aix U3), nombreuses associations (dont l’ALEPS bien sûr) et innombrables tracts et communiqués. De plus, Giscard avait une carte originale à jouer : l’Europe était en train de mûrir, plutôt dans l’esprit du marché commun, et on pouvait expliquer aux Français que les réformes libérales devaient être faites chez nous pour être au niveau de nos partenaires.

Premières déceptions

1974 a été à mes yeux l’année des dupes. Très vite nous avons été surpris par le Président, et à l’époque ses premières « innovations » ont choqué beaucoup de ses partisans : Giscard visitant les familles, les prisonniers, les lycées. Aujourd’hui on aime bien l’originalité dans la communication, et le jeune Président était original – mais nous doutions de sa sincérité profonde. Dans les tout premiers mois nous avons été désarmés par deux initiatives économiques : la première était le rapport Sudreau, voulant imposer la réforme des entreprises, qui se voulait sociale mais qui était surtout conforme aux idées autogestionnaires héritées de 1968, la deuxième a été la relance keynésienne du nouveau ministre de l’économie Jean-Pierre Fourcade. Cette politique conjoncturelle a été lancée au moment même où l’inflation se déclenchait dans le monde entier, de sorte qu’il a fallu immédiatement revenir à la rigueur.

Du libéralisme au socialisme

1974 devait être aussi la dernière année où le budget de la France s’est trouvé équilibré. Il est vrai que notre pays comme les autres aura à supporter le premier choc pétrolier. Avec Chirac pour Premier Ministre rien d’étonnant à ce que les dépenses publiques fassent un bond en avant. L’arrivée à Matignon de Raymond Barre, décidé à lutter contre l’inflation et le chômage va infléchir la politique économique dans le bon sens, René Monory met fin au contrôle des prix en place depuis 1944. Pour autant le secteur public n’est pas réduit et les socialistes continuent à séduire les esprits.

Toutefois le retour à la rigueur monétaire porte ses fruits, et les Nouveaux Economistes commencent à influencer leur collègue Raymond Barre. Après la victoire des législatives de 1978 arrachée de peu (sans doute grâce à Georges Marchais) le Premier ministre modifie le cap économique et prend prétexte du second choc pétrolier et du désordre monétaire mondial pour se lancer dans la relance des dépenses publiques. De la sorte, à la veille des présidentielles de 1981, VGE donne une interview qui fera la une de l’Express : « Ne dites pas aux Français que je suis socialiste, ils me croient libéral ». Giscard est honnête et dans le vrai. Il avait déclaré quelques mois plus tôt que le seuil du socialisme était 40 % du PIB en dépenses publiques, et en 1981, on est déjà à 42 % (aujourd’hui avec nos 58 % nous sommes les champions). D’ailleurs lorsque les Nouveaux Economistes se sont proposés pour accompagner VGE dans la campagne des présidentielles 1981 en montrant le péril des nationalisations du Programme Commun, nous nous sommes entendu dire que les nationalisations n’étaient pas la question importante…

RPR et UDF

Il faut dire que les élections ont été perdues de façon inattendue. Il y a eu bien sûr l’histoire des diamants de Bokassa – Giscard n’a pas réussi à l’expliquer. Mais il y a eu aussi le fameux « appel de Cochin » lancé par Jacques Chirac alors hospitalisé, qui a dissuadé les électeurs gaullistes de voter pour la réélection du Président. C’est l’épilogue de la violente démission de Chirac en 1976. Chirac va réorganiser le parti gaulliste à partir du bastion de la mairie de Paris, qu’il a conquise après sa démission, et va créer le RPR (Rassemblement pour la République) pour récupérer les nombreux électeurs déçus par l’évolution de la politique de VGE. Face au RPR VGE se laisse convaincre de créer en 1978 l’UDF (Union pour la Démocratie Française), parti électoraliste dont la doctrine est incertaine, joignant des libéraux authentiques (comme les gens du Parti Républicain et du CNI Poniatowski et Malo – Madelin est membre de son cabinet) et des centristes sociaux-démocrates comme Lecanuet et Jean Jacques Servan Schreiber. Si l’UDF a permis de gagner les législatives de 1978, elle est pour beaucoup dans l’inflexion du Président et du Premier Ministre vers le socialisme.

Révolutions sociétales

Ceux qui ont fait l’apologie de VGE, et Emmanuel Macron le premier, ont souligné les révolutions sociétales qui se sont accumulées très vite : majorité civile et droit de vote à 18 ans, création du ministère de la femme, IVG, divorce par consentement mutuel. Ces mesures sont à l’époque discrètement approuvées par les gens de gauche et naturellement déçoivent les conservateurs et la plupart des libéraux qui avaient voté pour un vrai changement, mais pas celui-là. La caricature de libéralisme vaudra à VGE la qualité de « libéral avancé » (comme le fromage disait-on méchamment). Ces « révolutions » consistent en fait à donner à la législation le pouvoir de s’ingérer dans la vie privée et de faire exploser la famille et l’éducation (le collège unique sera aussi une dramatique erreur). Il est vrai que désormais les mœurs vont changer, et naturellement on peut se demander si ce sont les mœurs qui évoluent et obligent de changer les règles sociales ou si c’est l’inverse. Personnellement je ne suis pas en faveur d’un ordre créé par les gouvernants, je crois au contraire nécessaire de se guider sur le droit naturel, c’est à dire conforme à la nature de l’être humain, à qui la liberté est donnée pour accéder à sa pleine dignité. VGE a estimé de son côté que les réformes qu’il acceptait mettaient les individus en mesure d’exercer leur responsabilité personnelle.
Mais on rejoint ainsi les positions des anarchistes libertariens pour lesquels la liberté permettrait de tout faire et les règles sociales issues de l’ordre spontané n’auraient qu’une importance relative.

Dommage

J’ai pu paraître sévère et injuste à l’égard de l’œuvre du Président Giscard d’Estaing. Mais d’une part je ne pense pas qu’il soit décent de faire l’apologie des grands hommes dès qu’ils décèdent. Ce qui a été dit à propos de Jacques Chirac était démesuré. Il est d’ailleurs curieux d’associer les mémoires de VGE et de Chirac, qui se sont ardemment combattus et qui ont tous deux efficacement contribué à la victoire du socialisme dans notre pays et en Europe. D’autre part, je veux dire que Valéry Giscard d’Estaing avait sans doute des sentiments libéraux, du moins en matière économique. C’est ce qui ressort d’une interview donnée à la Revue des Deux Mondes : L’évolution économique que nous connaissons supposerait plus de libéralisme pour en sortir […] Imaginez ce que ça donnerait si, dans tous les domaines, on donnait plus de liberté aux Français ! Actuellement la bureaucratie est omniprésente dans la vie économique. Si on veut créer quoi que ce soit, la première démarche est d’obtenir une décision administrative. Avant de faire, il faut qu’on vous permette de faire ! […] Il faut prendre ce chiffre invraisemblable, celui de la part du PIB qui transite vers l’État ; nous battons tous les records : 57,5 %. C’est de la folie. Le chiffre normal serait autour de 43 %. On a détourné une grande partie du flux économique en direction de la bureaucratie. (Revue des Deux Mondes, interview par Valérie Toranian, l’an dernier republiée le 3 décembre 2020) Il est dommage que l’intelligence de cet homme ait été corrompue par la vie politique française empoisonnée par l’étatisme et le socialisme, alors qu’il aurait pu la réformer en profondeur. Mais ce que n’a pas fait Valéry le père ne pourrait-il être réalisé avec le concours de Louis le fils, qui est ouvertement libéral ? Il est dommage que la France souffre durablement d’une crise de leadership – et en reste à l’apologie de « grands hommes » dont on pense qu’ils ont contribué au bonheur et à la prospérité du peuple alors qu’ils ont oublié que la liberté est un chemin qui doit conduire à l’épanouissement dans la dignité de l’être humain.
Article publié dans la Nouvelle Lettre n°1425

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10 commentaires

werner 7 décembre 2020 - 8:45

europe
Nous pouvons le remercier également pour l'Europe
"foutoir" d'aujourd'hui

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bouchet 7 décembre 2020 - 9:56

Elections de 1978
Pour garder une majorité aux élections de 1978, il n'y a pas que le repoussoir G.Marchais. VGE a su négocier le ralliement des "Radicaux de gauche" emmenés par Robert Fabre. Et pour cela, il n' a pas hésité à utiliser l'argent public: acheter le redémarrage des Aciéries et Fonderies de Decazeville, en dépôt de bilan; cela en subventionnant éhontément la partie Fonderie reprise par les Aciéries et Fonderies de l'ESt (AFE), et la partie sidérurgie par Creusot-Loire. Pourquoi? Parce que c'était la circonscription de Robert Fabre, et que ce dernier pour être réélu voulait afficher ce redémarrage. Le coût de cette opération (investissements et subventions d'exploitation, pour annuler les pertes continuées…)s'est étalé sur 3 ans, les salariés repris ont dû être licenciés en fin de compte quelques années plus tard. Résultat secondaire: faillite d'autres fonderies enfoncées par la concurrence déloyale des Aciéries et Fonderies de Decazeville… Histoire vécue de l'intérieur, avec pour interlocuteurs au CIASI (devenu le CIRI ensuite) M. J.Claude Trichet, et M. Pascal Lamy…

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Teisserenc 7 décembre 2020 - 11:00

Ah! Giscard
Que cet article est plaisant. Que toutes ces apologies post-mortem sont affligeantes ! Enfin une lueur de lucidité. On en a bien besoin dans cet obscurantisme des médias, qui a l’époque n’arrêtaient pas de dénigrer Giscard !

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Vibivs 7 décembre 2020 - 12:01

rien à ajouter à l'article princeps ni d'ailleurs à ce commentaire : parfait!

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Sonja 7 décembre 2020 - 12:06

macron ou Giscard II
Oui VGE avait le sens aristocratique, c’était un autre temps où l’école instruisait les enfants et les grandes écoles dispensaient les fondamentaux des futures élites et la bienséance traditionnelle acquise dès l’enfance. Il y avait la pâte gaulliste. Mais non VGE n’est pas noble, il a racheté les armoiries ainsi que le petit château de l’amiral D’ESTAING. Il avait la distinction pour incarner cette classe de nantis et ses études lui ont permit la facilité d’analyser, de synthéser etc… (ce que l’on apprend dans les grandes écoles comme à sciences PO, polytechnique… C’était autre chose à l’époque). VGE était un être brillant, mais il a manqué des expériences qui nous structurent, il avait cependant la trempe présidentielle. Contrairement à macron qui se révèle piètre, pleutre personnage sans foi et sans racine. On ne s’interroge plus sur ce que sont devenus les jeunes de parents post soixant’huitards : des crétins et malgré sa famille aisée il est resté immature !
Giscard ce fut aussi : Emprunt basé sur l’or : gouffre financier, les avions renifleurs, l’affaire Boulin, le retard sur l’opération de Kolwezi, sans oublier que c'est lui qui a fait entrer la Grèce dans l'UE, au forceps, et en prêtant l'avion de l’État pour activer cela. Asphyxie industrielle (Maurice ALLAIS avait pourtant averti mais il s’est cru plus astucieux par son parcours). Il a aussi tué l’Aérotrain, en plus de tout le reste, pour des intérêts privés.
Le regroupement familial a sonné la destruction de notre pays, une faute tragique, qui fait peser un péril mortel sur la France. Le pays héberge depuis lors une foule haineuse dont le nombre va croissant, une foule qui a ruiné notre système scolaire, notre vie sociale, notre sécurité publique, et qui finira par emporter le monde civilisé que nous avions créé. L’Histoire, s’il reste des Français pour l’écrire, maudira ces deux hommes.
La comédie des voeux au coin du feu, et le « au revoir », c’était pathétique ! Et les « déjeuners » chez les français : pour faire peuple ! Nous étions choqués. Dans ce domaine aussi, comme macron, il se croyait supérieur, c’était pourtant un homme faits d’atomes, comme tout un chacun, Il y avait les caricatures : « ces animaux qui nous gouvernent », VGE, c’était la mante religieuse ! Il a posé les bases du déclin français : désindustrialisation, soumission à l’islam et à l’Allemagne entre autres, ainsi que la baisse de l’âge de vote à 18 ans ! Quoi de plus influençable que des gamins de cet âge, à 21 ans c’était un peu + cohérent. Il a été complice de l’arrivée de Mitterand, BARRE l’aurait mérité plus que la mite.
On ne parlera pas des grands mystères autour des décès de quelques ministres et personnalités… Il semble que son nom soit apparu sur la liste de ceux qui ont fomenté l’attentat du petit Clamart contre notre général !!!
La Constitution européenne qu'il a voulu conceptualiser (que le peuple a refusé et qu’on nous a « refourguer) c'est encore lui, son esprit ne s’était toujours pas allumé à cet âge là ? L'écrasement du Moyen orient par la destitution du Shah, l'accueil de ayatollah et ce n'est pas exhaustif. C'était Giscard I, dont la jeunesse nous a desservis, il ne pensait qu'à "galoper" le soir en boîtes jusqu'au jour où il s'est fait arrêter ; éméché, à 200 sur les Champs Élysées: c'était pire qu'Hollande sur sa vespa. Giscard II c’est Macron, la même suffisance ; pour ce dernier médiocre et sans scrupule par rapport à la population qu’il est censé représenter et défendre…
Sa place était sur un banc d’accusé pour traîtrise. avoir le choix être Mitterrand ou Giscard, il fallait que les gens soient écœurés pour donner leur vote à la mite qui a démultiplié l’avancée vers l’horreur où nous allons crescendo.

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merleren 7 décembre 2020 - 6:31

Raymond Barre
Raymond Barre un premier ministre exécrable :impôts, cotisations ,politique anti cadre, arrogance ,incompétences ,dévaluations du franc désindustrialisation a très grande vitesse, démagogie avec le travail manuel socialisme a tous les étages voila l'œuvre de Giscard et de Barre

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AlainD59 7 décembre 2020 - 10:16

Souvenir !
En son temps, le grand Georges Brassens chantait: il est toujours joli le temps passé, un'fois qu'ils ont cassé leur pipe, on pardonne à tous ceux qui nous ont offensés, les morts sont tous de braves types…

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HR 7 décembre 2020 - 10:28

Valéry Giscard d'Estaing
Merci à Jacques Garello de nous rafraichir la mémoire. Je rajouterai simplement que les charges patronales sont passées de 15% à 45% des salaires bruts pendant le mandat du Président Giscard d'Estaing. Et si on compare ces 2 chiffres (à recontrôler toutefois) avec la courbe du chômage et la désindustrialisation de la France des années suivantes, on comprend beaucoup de choses…malheureusement !

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Chabosson 9 décembre 2020 - 8:36

VGE
Le seul responsable par sa non clairvoyance des malheurs économiques de la France, de l appauvrissement de ses citoyens par une fiscalité écrite par un pathologique dont on subit tous les jours le joug et la servitude.

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Chabosson 9 décembre 2020 - 8:46

Comparaison avec Mr Macron
Quant à micron, Mr je sais tout à 41 ans, même profil que VGE, les très hauts fonctionnaires sont prevalants sur les citoyens français (dans l esprit de 1789).

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