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Une évaluation de la suppression de la taxe d’habitation qui passe à côté de son sujet

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Promesse phare du candidat Macron en 2017, la taxe d’habitation a été définitivement supprimée en 2023 pour les résidences principales. L’Institut des politiques publiques vient de publier une évaluation de cette réforme. Malheureusement, nous n’y apprenons pas grand-chose. Le Conseil des prélèvements obligatoires aurait pu s’abstenir de financer cette étude.

Le rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) – organisme créé par l’École d’économie de Paris (PSE) et subventionné par des fonds publics (programme Investissements d’avenir) – s’intéresse aux effets de la réforme de la taxe d’habitation (TH) :

  • sur les réactions des communes, privées d’une importante source de contrôle de leurs recettes fiscales ;
  • sur les prix des logements ;
  • sur le nombre de transactions immobilières, ventes et locations confondues.

Pas de hausse significative de la taxe foncière

Les auteurs du rapport rappellent que la TH, qui existait sous la même forme depuis 1974, touchait les résidents d’un bien immobilier, qu’ils soient propriétaires occupants ou locataires. Elle avait rapporté, en 2016, 23,4 milliards d’euros aux collectivités locales.

Annoncée dans le programme du candidat Macron du 24 février 2017, la suppression de la TH devait concerner 80 % des ménages, les 20 % des ménages ayant les plus hauts revenus en étant exclus. De 2018 à 2020, 80 % des ménages ont ainsi vu leur TH baisser progressivement : de 30 % la première année, de 65 % la deuxième et de 100 % la troisième. Finalement, les 20 % de ménages considérés comme les plus aisés furent concernés à partir de 2021. Leur TH baissa de la même manière sur trois années pour disparaître totalement en 2023.

La réforme ne supprime pas complètement la taxe d’habitation. Celle-ci continue de s’appliquer sur les résidences secondaires (THRS) et, selon les communes, sur les logements vacants (THLV).

Rappelons que la TH finançait les municipalités et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Afin de compenser la perte de revenus pour les communes, la loi de finances de 2020 a prévu un mécanisme de compensations en cascade :

  • les communes (sauf Paris) bénéficient du transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ;
  • les EPCI et Paris bénéficient du transfert d’une fraction du produit net de la TVA ;
  • les départements bénéficient du transfert d’une fraction de la TVA ;
  • les régions – qui percevaient des frais de gestion liés à la TH – bénéficient d’une dotation budgétaire de l’État.

Toutefois, au niveau des communes, le transfert de TFPB ne correspond pas forcément à la perte de la TH. Un mécanisme de correction a donc été mis en place afin de compenser « à l’euro près » les communes.

Le rapport de l’IPP ne montre pas d’augmentation significative des taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) après la réforme. Ceux-ci ont certes augmenté en 2022 et 2023, mais à peu près sur la même lancée que les années précédentes. Bien sûr, nous le savons, la moyenne cache de grandes disparités et certaines communes se sont particulièrement distinguées comme Paris (+51,9%), Meudon (+35,1%), Grenoble (+24,4%), Bobigny (+18,5%), Troyes (+14,4%), etc.

Une hausse des prix immobiliers et des loyers

En revanche, selon les auteurs de l’étude de l’IPP, les prix immobiliers ont grimpé d’autant plus que les communes étaient très dépendantes de la taxe d’habitation. A trois ans, l’effet sur les prix immobiliers d’un point de pourcentage de TH/revenu supplémentaire était de presque 50€ en plus par m2. Il semblerait donc que la suppression de la TH ait augmenté le prix des logements.

Le même phénomène est remarqué sur les loyers. En 2020, soit trois ans après le début de la réforme, l’effet d’un point de pourcentage de TH/revenus sur les loyers mensuels était de 0,2€ par m2.

Les économistes ne seront pas surpris outre mesure que la suppression de la TH se traduise par une hausse des prix de l’immobilier et des loyers. En effet, la baisse des charges est équivalente, d’un point de vue économique, à une baisse des loyers ou du coût de l’accès à la propriété. Par conséquent, cela fait augmenter la demande (achat et location) et, par conséquent, les prix (à l’achat et à la location) puisque l’offre n’a pas varié à court terme.

Enfin, s’agissant de la mobilité résidentielle, les auteurs s’estiment dans l’incapacité de conclure à un effet clair de la réforme. En un mot comme en cent, nous ne savons pas si la suppression de la TH a incité, par exemple, des personnes à déménager pour un logement plus grand.

Une étude inutile ?

Finalement, cette étude ne nous aura pas appris grand-chose. D’abord, parce qu’elle arrive trop tôt. La suppression totale de la taxe d’habitation date de 2023. Il faudra, sans doute, attendre encore quelques années pour en connaître tous les effets. D’autant plus que s’agissant de logement, les décisions des Français ne sont que rarement prises sur un coup de tête. Les déménagements ne sont pas si nombreux au cours d’une vie. Il n’est donc pas étonnant que les effets de la réforme sur la mobilité résidentielle ne puissent pas être mesurés aujourd’hui, par exemple.

Par ailleurs, les dernières élections municipales ont eu lieu en 2020. Or, nous savons que les exécutifs locaux évitent d’augmenter les impôts avant les élections. Il est donc probable qu’entre 2019 et 2021, les hausses aient été effectivement modérées. Les impôts locaux devraient de nouveau augmenter dans les années qui viennent pour deux raisons principales que le rapport n’évoque pas non plus. La première est que la compensation « à l’euro près » de la perte de la TH par l’État pourrait s’effriter au fil du temps. L’expérience nous montre que « l’euro près » risque de n’être jamais revalorisé. Les communes et les intercommunalités n’auront alors pas d’autre choix que d’augmenter les taxes. D’autant plus, c’est la seconde raison, qu’elles ne réduisent pas leurs dépenses. Au contraire, elles ne cessent de les augmenter. Comment imaginer alors que les impôts locaux puissent ne pas croître eux aussi ? Pourquoi les collectivités se priveraient-elles d’augmenter des taxes que la majorité des habitants-électeurs ne paient pas ? Sans compter que certains se plaisent à imaginer de nouveaux impôts locaux.

Ensuite, il nous semble que ce rapport a un champ d’investigation trop restreint. Il nous dit que les taux de taxe foncière n’ont pas augmenté outre mesure, même si beaucoup de propriétaires ont fait l’expérience du contraire, notamment parce que les bases de cette taxe ont été réévaluées en 2023 de deux points au-dessus du taux d’inflation calculé par l’Insee. De plus, la fiscalité locale ne se limite pas à la TFPB. Il aurait fallu regarder l’évolution de toutes les autres taxes : la TH sur les résidences secondaires et sur les logements vacants (dont les taux étaient bloqués jusqu’en 2022), la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), la majoration de la TH sur les résidences secondaires (jusqu’à + 60%) dans les zones tendues (de plus en plus nombreuses), la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), la cotisation foncière des entreprises (CFE), les impositions forfaitaires de réseau (IFER), la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM).

Enfin, il ne serait pas étonnant que la hausse des prix immobiliers mise en avant dans le rapport ait été complètement effacée par la crise actuelle. Les agents immobiliers anticipent une baisse de plus de 3 % en 2024, après une évolution déjà négative en 2023 (de -0,4% à Strasbourg à -8,4% à Lyon).

Franchement, ce rapport de l’IPP était dispensable. Mais ses conclusions étant peu probantes, le risque est que le Conseil des prélèvements obligatoires qui l’a commandité souhaite que d’autres investigations soient menées. Les auteurs n’écrivent-ils pas en conclusion que « les travaux présentés dans ce rapport peuvent faire l’objet de plusieurs extensions. En particulier en étudiant les années suivantes » ?

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3 commentaires

BELLEDENT 1 février 2024 - 8:59

Suppression de la taxe d’habitation sur notre résidence principale et doublement de la taxe d’habitation sur notre résidence secondaire qui neutralise partiellement le gain.
Les meublés de tourisme qui relevaient de la CFE ( Cotisations Foncières des Entreprises) relèvent désormais de la Taxe d’habitation et sont imposables, de plus la défiscalisation à 71 % vient d’être ramené à 50 % et en projet de le descendre à 30 % pour lutter contre le phénomène airbnb de certaines villes, ce qui va aussi pénaliser les propriétaires de logements en milieu rural qui tentent de revitaliser nos villages.
Décidément ce pays marche bien sur la tête comme le dénoncent nos agriculteurs, mais où est donc passé le bon sens paysan de nos grands parents !!!

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Poivre 1 février 2024 - 10:46

« la suppression de la TH devait concerner 80 % des ménages, les 20 % des ménages ayant les plus hauts revenus en étant exclus »
Ce qui fut une violation manifeste de l’égalité des contribuables devant cet impôt, mollement retorqué par le Conseil Constitutionnel si je me souviens bien. In fine ce fut une hausse déguisée de l’impôt sur le revenu. Toujours plus d’impôts, toujours pour les mêmes.

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DEL 7 février 2024 - 9:44

Ce système est vraiment injuste, comment peut-on prendre le droit d’exonérer les riches tout en se rattrapant sur les autres ? Il faut vraiment être tordu pour pondre une telle loi ! Le bon sens serait de faire payer un peu plus les riches et un peu moins les autres …

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