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Un chemin inédit pour contester ses taxes foncières et quelques autres (années 2022 et 2023)

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Tous les médias ont vivement déploré la hausse des taxes foncières 2023, qui ont « surperformé » avec une hausse moyenne de quelque 9,20 %, contre une inflation officielle de 5,20%. La faute pour l’essentiel est imputable à une majoration de 7,1% des valeurs locatives foncières, qui servent de base pour le calcul de l’impôt ; base que l’État actualise chaque année selon les modalités inscrites au Code Général des Impôts. Cette hausse sidérante des valeurs locatives a surpris tant de contribuables que 86% des collectivités territoriales ont jugé bon de ne pas augmenter les taux appliqués l’année précédente. Quoi qu’il en soit, personne n’a encore entrepris de défier le dédale statistique du Code Général des impôts, pour questionner ce bond surprenant des valeurs locatives foncières. Nous, nous l’avons fait : nous sommes les seuls à nous être aventurés dans le cœur du réacteur fiscal de l’IPCH, en en rapportant pour nos lecteurs un chemin de contestation inédit. Ils pourront ainsi, s’ils le souhaitent, engager un contentieux tout à la fois contre leurs taxes foncières, leurs taxes d’enlèvement des ordures ménagères et leurs éventuelles taxes d’habitation, toutes basées sur des valeurs locatives foncières, à condition toutefois de s’y prendre avant le 31 décembre prochain pour les impositions 2022 et avant le 31 décembre 2024 pour les impositions 2023.

I – LE CHEMIN DE CONSTESTATION

Reprenons d’abord la citation exacte de l’article 1518 bis du Code Général des Impôts :

RAPPEL DE L’ARTICLE 1518 BIS CGI

Dans l’intervalle de deux actualisations prévues par l’article 1518:  les valeurs locatives foncières /…/ sont majorées par application de coefficients forfaitaires fixés par la loi de finances en tenant compte des variations des loyers /…/ dernier paragraphe:  À compter de 2018, dans l’intervalle de deux actualisations prévues à l’article 1518, les valeurs locatives foncières sont majorées par application d’un coefficient égal à 1 majoré du quotient, lorsque celui-ci est positif, entre, d’une part, la différence  de la valeur de l’indice des prix à la consommation harmonisé du mois de novembre de l’année précédente et la valeur du même indice au titre du mois de novembre de l’antépénultième année et, d’autre part, la valeur du même indice au titre du mois de novembre de l’antépénultième année.

Le texte retient donc le principe que l’actualisation annuelle des valeurs locatives foncières doit tenir compte des variations des loyers en recourant à l’indice des prix à la consommation harmonisé (en abrégé : IPCH). Or l’IPCH n’est rien d’autre que l’Indice national des Prix à la Consommation (IPC) retraité par Bruxelles pour disposer d’un moyen de s’assurer que les critères de Maastricht sont bien respectés. Nous avons donc à examiner dans le détail l’IPC (A), puis l’IPCH qui en est dérivé (B), ensuite la manière dont ces indices amplifient indument les variations des loyers nationaux (C), avant de dénoncer la violation patente de la loi par les impositions émises en 2022 et 2023 ; violations qui affaiblissent d’autant le droit de propriété (D)                                                                                                            

A – L’IPC : un indice généraliste

Chaque État membre de l’Union Européenne suit une méthode de son choix pour estimer le niveau général de hausse des prix, ce qui donne l’Indice des Prix à la Consommation (IPC). Cet indice est un indice généraliste basé sur l’évolution des prix des composantes d’un « panier de consommation d’un ménage représentatif ». On  trouve pêle-mêle dans ce panier, à côté des loyers, les dépenses d’alimentation, d’énergie, de santé, d’habillement, de transports, d’éducation et de loisirs etc. Toutefois les loyers ne pèsent pas plus de 6% dans cet IPC. L’indice est ainsi manifestement impropre à restituer l’effet des variations des loyers sur le pouvoir d’achat des ménages. D’ailleurs, l’IPC calculé par l’INSEE culmine à 5,2% pour 2022, soit 49 % au-dessus de l’indice référentiel des loyers plafonné à 3,50%.

B – L’IPCH : une harmonisation à usage exclusivement européen

On l’a vu, l’IPCH est directement issu du reprofilage opéré par Eurostat pour rendre les IPC nationaux comparables entre eux au regard des critères de convergence de Maastricht. On passe ainsi pour la France de 5,20% pour l’IPC à 7,10% pour l’IPCH. Certes le lien existant entre les loyers français et les ajustements imposés par Bruxelles n’a rien d’évident. Mais il y a mieux encore : le droit européen réserve strictement l’IPCH aux seules comparaisons internationales, ce qui – comme le montre l’encadré ci-après – interdit sa substitution aux indices nationaux pour tout suivi du coût de la vie ou toute indexation au plan national.

LES RÉFÉRENCES DOCUMENTAIRES EN VIGUEUR

1 – RÉGLEMENT UE 2016/792 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL (01) L’indice des prix à la consommation harmonisé est conçu pour mesurer l’inflation d’une manière harmonisée dans l’ensemble des États membres (12) : L’IPCH est conçu pour évaluer la stabilité des prix. Il n’a pas vocation à être un indice du coût de la vie.

2 – PARLEMENT EUROPÉEN : COMITÉ D’ANALYSE ÉCONOMIQUE – NOTE SUR LE LOGEMENT ET LE COÛT DE LA VIE (novembre 2021) : Les IPCH ne remplacent pas les indices nationaux des prix à la consommation…Les IPCH sont destinés aux comparaisons internationales. L’indice national reste par ailleurs l’indice de référence destiné aux indexations… Il est à signaler en outre que cette dernière note se réfère expressément au traité de Maastricht !

3 – INSEE : FICHE SUR L’IPCH (à jour au 23 août 2023): L’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) est l’indicateur permettant d’apprécier le respect du critère de convergence portant sur la stabilité des prix, dans le cadre du traité de l’Union européenne (Maastricht). Il est conçu expressément à des fins de comparaison internationale. L’IPCH ne remplace pas l’indice national qui reste l’indice de référence pour analyser l’inflation en France, avec l’indice d’inflation sous-jacente.

 Il y a ainsi violation flagrante du droit européen par la loi française, qui mobilise sans vergogne pour déterminer les valeurs locatives foncières un indice expressément interdit, au grand dam des contribuables.

 C – Le défaut flagrant de prise en compte de la variation des loyers

Les deux paragraphes précédents ne laissent aucun doute : ni l’IPC, ni l’IPCH ne peuvent prétendre refléter fidèlement l’évolution des valeurs locatives foncières. Alors certes, l’Administration peut tenter de faire valoir une rupture d’alinéa dans l’article 1518 bis avec le recours à partir de 2018 au nouvel indice IPCH. Mais la loi maintient le principe originel de la référence aux loyers et ce nouveau coefficient ne fait que reprendre la suite des précédents, sans rompre la connexion logique avec la variation des loyers rappelée en tête d’article. Le recours à l’ICPH commet donc en réalité un triple contre-sens :

statistique :  par toutes les références qu’il charrie, l’IPCH viole le principe de pertinence, qui veut que le choix d’un indice soit cohérent avec la valeur à laquelle il s’applique ;

logique : les valeurs qui sous-tendent l’indice sont à 94% des valeurs non locatives. Au sortir de la moulinette euro-falsificatrice de l’IPCH, les valeurs obtenues ne sont donc plus des valeurs locatives, mais le résultat incongru d’une bizarre alchimie statistique guère convaincante ;

et historique : la réforme des impôts locaux de 1970 s’est faite par référence à des valeurs locatives cadastrales, dont jusqu’en 2018 l’actualisation a toujours conservé un lien étroit avec les loyers.

 D – la violation du droit de propriété

L’article 2 de la Déclaration des Droits de Homme et du Citoyen garantit formellement le droit de propriété, qui se trouve encore renforcé par la plupart des déclarations internationales (Europe + Monde) que la France a ratifiées. Or on a vu plus haut que l’indice officiel des loyers en France affiche pour 2022 une hausse annuelle de 3,50%, que l’État connaît bien puisqu’il encadre les loyers. Donc en substituant frauduleusement par rapport au droit communautaire un IPCH généraliste de 7,10% à un indice national spécifique de 3,50% seul pertinent, l’État porte sciemment atteinte au droit de propriété des contribuables, qu’il continue à matraquer tant au niveau de leurs revenus fonciers que de la valeur vénale de leurs biens affectée par la baisse de rentabilité.

II – LE RISQUE MAJEUR

Si notre argumentation l’emporte, ce sont sur deux ans plus de 70 millions d’avis d’imposition qui pourraient être annulés ou réduits en sanctionnant une fraude d’État – une concussion – que, compte tenu du niveau de ses spécialistes, le fisc ne peut mettre au compte d’une simple inadvertance. L’État a en effet majoré les impositions locales par le tripatouillage d’un taux qu’il sait abusif et non pertinent, en brouillant ainsi la ligne constitutionnelle de démarcation entre sa propre compétence d’actualisation des bases et celle de fixation du taux d’imposition exclusivement dévolue à des collectivités territoriales ignorant tout de la mystification de Bercy. Le coût pour les finances publiques risque d’être ravageur, si l’on rappelle que la contestation des valeurs locatives inclut également celles des taxes d’enlèvement des ordures ménagères et des taxes d’habitation subsistant encore.

La contestation visera en effet en priorité le dégrèvement complet de toutes les impositions concernées puisqu’établies sur des bases non pas fausses, mais fallacieuses, en vertu d’une loi incohérente qui, en piétinant à la fois la logique indiciaire, la spécificité locative qui inspire la fiscalité locale, la Constitution et le droit européen, parvient à vicier tout le calcul de l’impôt tant chez l’État que chez les collectivités territoriales. Mais on ne peut toutefois exclure que l’Administration ou le Juge administratif n’hasardent une substitution de base légale pour tenter de revenir à moindre coût à la (vraie) variation des loyers évoquée par le premier paragraphe de l’article 1518 bis. Toutefois la substitution de base légale est une notion fort complexe et strictement soumise à un certain nombre de conditions sur lesquelles l’assistance d’un conseil sera indispensable.

Le problème est que l’État n’a jamais été confronté au risque d’une telle avalanche contentieuse et il faut donc s’attendre à ce qu’il utilise tous les moyens à sa disposition pour essayer de décourager les requérants. D’ailleurs, il n’est pas exclu qu’en cas de besoin, le législateur soit appelé à la rescousse pour sortir le fisc du sale pétrin dans lequel il s’est fourré tout seul.

III –  CONCLUSION

 Il n’y a pas de contentieux sans risque d’échec et nous n’avons pas la fatuité de garantir à nos lecteurs que la pertinence de notre argumentation suffira à leur donner gain de cause tout au long d’un parcours difficile et en partie incertain. Mais nous sommes les seuls aujourd’hui à leur proposer un chemin de contestation sérieux, au vu duquel librement et en concertation avec leurs conseils, ils pourront exercer leur choix de contester ou pas les impositions qui leur ont été adressées sur des bases fort litigieuses au titre des deux années 2022 et 2023 non encore prescrites. De toute manière, il n’est pas admissible que pour l’avenir – et donc dès 2024 – les valeurs locatives cadastrales puissent continuer à être démesurément falsifiées à partir d’un indice déloyal et interdit, qui les majore considérablement non seulement pour les années contestées mais aussi pour toutes les années suivantes, en surtaxant lourdement les contribuables concernés. Il s’agit tout simplement dans une République exemplaire de ramener un État de proie qui s’oublie à un État de droit qui se respecte.

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19 commentaires

FB 8 décembre 2023 - 7:49

Merci pour ce travail analytique.
Il me semble que si l’Iref prenait la tête pour un recours ou une action de classe, cela serait plus efficace et que nombre de lecteurs comme moi seraient enclins à participer à son financement.

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morvan ollier 8 décembre 2023 - 7:56

Merci beaucoup pour cette démonstration.
Quel outil pouvons-nous utiliser pour contester en renvoyant ces arguments ?
Merci

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Jo Moens 8 décembre 2023 - 7:59

Le mieux est de faire une action commune.
Pouvez vous conseiller à tous vos lecteurs un avocat pour se faire.
Merci

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Michel LENOIR 8 décembre 2023 - 8:09

je suis maire d’une commune de 1700 ha et nous avons baissé notre taux de 7% pour neutraliser la hausse des bases décidées par l’Etat; nombreux sont les maires complices, nous étalons un peu plus nos réalisations.

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waddington 8 décembre 2023 - 8:23

concrètement , c’est une démarche collective ou individuelle à faire ?
R Waddington

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Robin 8 décembre 2023 - 9:31

Que fait la cour des comptes à ce sujet ?
Sont -ils omplices,ou ne le sont-ils pas,ou alors ont leurs cache des choses….

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Roven 8 décembre 2023 - 9:47

C’est très intéressant, merci, vous devriez publier un modèle de réclamation et dire où l’adresser, beaucoup d’entre nous l’enverraient !

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Laurent46 8 décembre 2023 - 10:26

Cela montre une fois de plus que c’est l’Etat suivi des collectivités locales qui ne sont pas en reste qui font preuve d’escroqueries en bandes organisées et que dans ce domaine il n’y a plus un seul parti politique qui déroge à la règle.

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Villetard 8 décembre 2023 - 10:51

Plutot quee d’y aller de façon individuelle : il serait plus judicieux d’intenter une action de groupe avec un avocat specialiste + consultation d’un grand vabinet fiscaliste type Francis Lefebvre . La participation aux frais de chacun pourrait être faible

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henriB 8 décembre 2023 - 11:03

Comme à l’accoutumée le diable se cache dans les détails .

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Biloute 8 décembre 2023 - 11:58

Et, si, au lieu d’augmenter à tous vents les impôts locaux, toutes les communes de mettaient à faire de economies, arrêtent d’embaucher du personnel, et s’en tenaient à faire l’entretien de l’existant, et que les maires arrêtent de vouloir laisser leur empreinte que coûte à la collectivité.

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Docjimo 10 décembre 2023 - 12:48

Entièrement d’accord 👍🏼

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Dominique Philos 8 décembre 2023 - 11:59

Vous auriez dû préciser dans votre article que le contentieux de l’impôt relève du juge administratif.
Dans ces conditions, il faut être bien informé du mode de fonctionnement de cette « juridiction » présidée par des fonctionnaires (énarques) qui, dans l’ensemble, donnent toujours raison à Bercy. (j’en parle d’expérience).
Qui, dans ces conditions, va vouloir « tenter sa chance » compte tenu de l’incertitude quant au résultat et du cout d’une telle procédure ?

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ORILOU 9 décembre 2023 - 12:59

Mieux vaut ne pas compter sur la Cour des Comptes pour faire quoi que ce soit. Si l’IREF prenait l’initiative d’une action concertée, nul doute que nous serions nombreux à y participer. En attendant, on peut toujours diffuser ce texte hélas difficile à digérer pour celles et ceux qui ne maîtrisent pas le jargon « fisco-juridique »

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de LAFORCADE 10 décembre 2023 - 9:25

Que faire de façon individuelle ! cela n’aura aucun impact , seule une action collective peut avoir un effet positif, merci de nous envoyer un modèle de réclamations.

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Bern 10 décembre 2023 - 9:26

Bien sûr il faut une action collective organisée ! Et pourquoi pas par l’IREF ou derrière un cabinet spécialisé ? Cela permettrait enfin à nous tous et à d’autres de se réunir pour essayer d’arrêter au moins une fois cet état irresponsable et insatiable !

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Lainée 10 décembre 2023 - 10:14

Qui va vouloir tenter sa chance ? Peut-être une association de contribuables, si vous les sollicitez pour ce faire. Je vous invite à contacter Contribuables Associés si vous être partants pour les suivre au cas où ils engageraient la démarche.

Bonne journée.

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Ala 12 décembre 2023 - 12:48

L’Etat reprend de la main gauche ce qu’il a donné de la droite. Du reste on ne demande jamais aux contribuables son avis sur les créations extravagantes d’intercommunalités et autres communautés d’agglomérations qui ne servent qu’à embaucher des fonctionnaires et donc augmenter les impôts. Avons nous vraiment besoin de ces machins ?

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oukélabonnepauline 13 décembre 2023 - 12:55

une action individuelle risque fort d’entrainer un contrôle fiscal de sa déclaration de revenus …

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