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Un exemple de suradministration à la française : la consignation des fûts de bière

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Les fûts de bière, livrés par un brasseur à ses clients (bars, restaurants…), sont consignés, comme peuvent l’être les bonbonnes de gaz utilisées par un particulier. Si le tarif de la consigne est fixé par le fournisseur de la bonbonne de gaz, celui du fût de bière dépend d’un arrêté du ministre des Finances. Un bel exemple de la suradministration française.

La bière est l’une des boissons de l’été. Rafraîchissante et peu alcoolisée, elle est très consommée dès que la température s’élève. Depuis quelques années, l’offre s’est multipliée à la faveur du développement des brasseries artisanales. En France, leur nombre est passé d’une vingtaine dans les années 1980 à 400 en 2011 (x20 en 30 ans), et 2 800 en 2023 (x140 en 40 ans).

Les brasseries connaissent des difficultés économiques

La consommation de bière, elle, n’a pas connu une progression aussi forte. Elle était de 20 millions d’hectolitres en 2011 et de 23,7 millions d’hectolitres en 2023. Une augmentation de 18,5% alors que le nombre de brasseries françaises augmentait, lui, de 600% pendant  la même période.

Si l’on ajoute à cela que les consommateurs français ne boivent pas que des bières françaises, que les brasseries artisanales exportent peu voire pas du tout, et que les coûts de production ont fortement augmenté depuis l’épidémie de covid et la guerre russo-ukrainienne, il n’est guère surprenant que le secteur connaisse aujourd’hui un mouvement de consolidation important.

Au début de cette année, nous indiquions que, selon le syndicat Brasseurs de France, un brasseur français sur deux subissait une baisse de sa trésorerie, que près de 2/3 des brasseries avaient vu leur taux de marge baisser entre 2019 et 2023, et que la Banque de France avait recensé, pour l’année 2023, près de 60 défaillances d’entreprises brassicoles contre 14 en 2022. Nous mentionnions également que l’autre syndicat de la profession, le Syndicat national des brasseries indépendantes (SNBI), était plus catastrophiste, déclarant les brasseries « au bord du gouffre » et prévoyant qu’une brasserie sur dix fermerait en 2024.

Dans ce même article de février 2024, nous critiquions la demande d’aide des organisations patronales. Le SNBI, en effet, réclamait une aide exceptionnelle de 20 millions d’euros (M€) pour soutenir la trésorerie des brasseries artisanales, s’appuyant sur le fait que le Gouvernement avait alors alloué 230 M€ aux vignerons indépendants. Son concurrent Brasseurs de France ne donnait pas de chiffre, mais demandait, lui aussi, « un soutien à la trésorerie des brasseurs » ainsi qu’un étalement du remboursement des prêts garantis par l’État (PGE).

S’il était indispensable d’aider les entreprises contraintes de fermer lors de la crise du covid, il est indéniable que le « quoi qu’il en coûte » a été mis en œuvre sans discernement et qu’il a fortement contribué à l’aggravation des déficits publics. Aujourd’hui, nous n’avons plus les moyens de poursuivre cette politique et il est regrettable que des organisations patronales s’en fassent les promotrices alors même que le Medef s’inquiète des projets de hausse des impôts.

Supprimer les réglementations inutiles

Le SNBI a raison, en revanche, de demander que la bière supporte les mêmes droits d’accises que le vin. Comme l’IREF l’a montré dans son rapport sur la fiscalité comportementale, une bouteille de vin à 13% alc. est taxée à 0,03€ tandis qu’une bouteille de bière à 6% alc. l’est à 0,18€. La bière est donc six fois plus taxée que le vin alors qu’elle est deux fois moins forte en alcool. C’est inéquitable et injustifiable.

De même, il est anormal que les viticulteurs puissent vendre du vin sur le lieu de production sans licence alors que les brasseries indépendantes n’y sont pas autorisées. Elles doivent obtenir la licence III. Là encore, il serait judicieux que la même réglementation s’applique aux viticulteurs et aux brasseurs.

Le SNBI souhaite également une revalorisation de la consigne du fût de bière. Il a reçu, à ce sujet, un courrier de Bruno Le Maire au mois de mai 2024 dans lequel le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique assure le syndicat que « les prix des consignes vont être revalorisés ». Il s’engageait, par ailleurs, à reconstituer puis à réunir « la commission consignation ».

La dissolution de l’Assemblée nationale et les élections législatives des mois de juin et juillet ont, bien évidemment, rendu ce courrier ministériel sans effet.

En attendant, nous aurons donc appris qu’il existait une « commission consignation ». Instituée par la loi n°89-421 du 23 juin 1989 et le décret n°90-264 du 23 mars 1990, elle a pour objet de dresser la liste des objets consignés, d’en définir, en tant que de besoin, les caractéristiques et conditions d’utilisation, et de déterminer un tarif de consignation, s’appliquant quel que soit le stade de commercialisation, pour chaque emballage consigné.

La dernière réunion de la commission date de 2001, à la suite de laquelle un arrêté, signé par le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes agissant par délégation du ministre des Finances, a fixé le taux de consignation du fût de bière à 30 euros. Une vingtaine d’emballages sont concernés par cet arrêté que l’on peut qualifier de « délirant ».

En effet, chacun se demandera pourquoi il existe une commission de la consignation et pourquoi l’État s’occupe des consignes des bouteilles de vin ou de bières, des fûts, des palettes et des casiers. En fait, nous subodorons que cette commission est le fruit de la rencontre entre le délire réglementaire de l’administration et la demande de protection des représentants des entreprises. Bref, c’est un exemple frappant à la fois de la suradministration à la française et du « capitalisme de connivence ». Il est, en effet, probable que les brasseurs (essentiellement des industriels à l’époque) aient soutenu cette tarification pour éviter que la concurrence entre eux ne porte aussi sur le prix des consignes.

Prendre exemple sur le gaz

Mais aujourd’hui les brasseurs sont pris à leur propre piège. Comme nous l’avons dit, la commission de la consignation ne s’est pas réunie depuis 2001. De ce fait, les tarifs sont bloqués depuis plus de 20 ans. Or que se passe-t-il quand un fût de bière est consigné 30 € et qu’il coûte 80 € à l’achat ? Il est volé ! D’où la demande du SNBI de revaloriser la consigne.

Il existe un autre secteur où les contenants sont consignés, c’est celui du gaz. Comme chacun le sait, quand on achète une bouteille de gaz, on ne paye que que son contenu ; la bouteille est prêtée contre un dépôt de garantie. En rendant la bonbonne au fournisseur, l’acheteur récupère sa caution.

Sur le site Selectra, il est possible de comparer les prix des consignes de gaz butane. Ils  vont, comme le montre le tableau ci-dessous, de 5 € à 51 €.

Le prix de la consigne est fixé librement par le fournisseur, l’État ne s’en mêle pas, et le consommateur peut faire jouer la concurrence. Pourquoi ne pas étendre ce fonctionnement aux fûts de bière ?

Nous suggérons donc au SNBI de demander la suppression pure et simple de l’arrêté du 1er août 2001 et du décret du 23 mars 1990, ainsi que la liberté des tarifs. Ce serait plus clair pour tout le monde. Et plus sain.

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