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Sophisme : l’emploi public crée de l’emploi

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Le seuil de soutenabilité de l’emploi public est atteint

Il y a eu 58700 créations de postes, en 2023, dans les fonctions publiques. Est-ce une heureuse nouvelle à ce moment où le marché du travail est atone, faut-il s’en féliciter pour la raison que ces emplois publics seraient autant de chômeurs de moins ? La recette pour le plein emploi est-elle dans l’emploi public ? Si oui, les 5,7 millions d’agents publics, qui nous portent sur le podium des pays les mieux dotés, seraient une étape vers la nationalisation complète du salariat vers le plein emploi !

Eh bien non ! L’analyse économique nous enseigne que, par un effet d’éviction sur l’emploi privé, l’emploi public dégrade la performance du marché de l’emploi[1] et crée du chômage.  C’est contre intuitif et pourtant vrai : trop d’emploi public tue l’emploi, c’est l’application au marché de l’emploi de l’effet Laffer, le fameux trop d’impôt tue l’impôt !

L’emploi public et le chômage : une croissance parallèle 

Dure réalité, taux d’emploi public et taux de chômage croissent parallèlement : « Dans un grand nombre de pays, on constate une croissance parallèle de l’emploi public et du chômage. Le cas de la France entre le milieu des années 1960 et les années 2000 est emblématique »[2] [3]. Ce constat inviterait à un rapprochement, osé, entre le niveau de l’emploi public et celui du chômage : 5,7 millions d’agents publics et 5,4 millions d’inscrits à Pôle emploi fin 2023 ! Corrélation n’est pas causalité et comparaison n’est pas raison mais il y a matière à réflexion : notre parangon de voisin d’outre-Rhin compte, aujourd’hui en période de récession, 2,8 millions de chômeurs et 4,6 millions de fonctionnaires. Quand le benchmark politique détermine, souvent, les politiques publiques, les bons résultats allemands devraient inciter à regarder non seulement le taux de chômage mais aussi les effectifs publics.

Le sujet reste dans un angle mort. Et pourtant quand il faut trouver les moyens de  réduire la dépense publique, poser la question de la sur-administration va de soi. La masse salariale des administrations publiques repésente15% du PIB, et son évolution sur une trentaine d’années a été supérieure à 22%, quand l’emploi total augmentait de 15% et la population de 13%[4]. La rationalisation des choix publics (sic transit gloria administratio) a oublié de s’intéresser à la masse salariale publique… qui pèse autant que la dépense pour les retraites.

Dix emplois publics en  plus, c’est aussi trois chômeurs en plus

Tout est question d’équilibre et avec 88 fonctionnaires pour 1000 habitants, nous ne faisons pas dans demi-mesure ! Le seuil de soutenabilité de l’emploi public, le seuil de déclenchement de l’effet d’éviction ne sont-ils pas atteints ?

Si les conclusions de l’étude de l’OCDE sont prudentes quand il s’agit d’évaluer l’effet de la création d’emplois publics sur le chômage, « l’analyse statistique établit aussi que la création de 10 emplois publics ajoute, en moyenne, 3 chômeurs supplémentaires ». Nos 58700 emplois publics supplémentaires créent ainsi, à terme, 17000 chômeurs. Pour les finances publiques c’est, masse salariale publique et indemnisation du chômage, un coût de 1,8 milliards[5], soit 10% du sur-déficit public de 2023.

Il faut pousser encore l’analyse qui « suggère même que l’emploi public accroît très significativement le chômage dans les pays où le secteur public produit des biens substituables à ceux du secteur privé et où les rentes dans le secteur public sont importantes. » Dans les cas où ces deux phénomènes sont très forts, l’effet d’éviction observé par l’OCDE est dans le haut de la fourchette[6].

Courtermisme et préférence pour la socialisation : le biais politique

La différence entre un mauvais et un bon économiste réside dans le fait que « l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa ». Cette leçon de Frédéric Bastiat[7] vaut pour les politiques et s’applique, ô combien, au cas de l’emploi public dont on ne voit que l’effet « de relance à court terme sur le marché du travail » sans se rendre compte qu’il « s’affaiblit, voire s’inverse dans le temps (…) à terme les emplois publics créés sont source d’une éviction susceptible de dégrader les performances en emploi des économies [8] ».

L’effet négatif de la création d’emplois publics sur le marché du travail reste hors débat : personne dans le village gaulois, gens du public et gens du privé, leurs représentants politiques et syndicaux, n’est prêt à l’entendre. Réformer vraiment l’action publique impose de nous sevrer des doses d’assistance qui nous intoxiquent tous.

Amor fati…

Refus du risque politique et confort d’une protection économique et sociale étatisée biaisent les politiques publiques. L’effectif public reste un angle mort parce que c’est un angle vif. La vraie réforme de l’action publique, et des moyens qu’elle nécessite, n’est pas dans le catalogue des politiques publiques, offrant une succession d’interventions conjoncturelles à base d’aides et subventions qui affirment une préférence pour le court terme, pour la dépense publique et pour la socialisation de l’économie. Le « modèle français » est une magnifique illustration de la loi de Wagner : l’offre de prestations publiques crée et entretient la demande d’assistance, la redistribution sert de morale, la préférence pour l’administration conduit à surtaxer l’économie jusqu’à capter les réserves prudentielles de régimes sociaux (mais c’est un autre sujet).

C’est aux sophismes politico-économiques qu’il faut aujourd’hui appliquer la cancel culture pour déconstruire les politiques économiques et reconstruire l’économie politique.


 

[1] Céline Choulet « Emplois publics, entre effet d’éviction et missions de service public », note de conjoncture- BNP, septembre 2007.

[2] « Créer des emplois publics crée-t-il des emplois ? » Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg – Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2012

[3] Le taux de corrélation entre évolution de l’emploi public et chômage est de 0,97 pour la France, soit le plus « fort » parmi les 17 pays observés par l’OCDE pour la période 1960-2000 (étude OCDE reprise par les auteurs cités – Céline Choulet, Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg).

[4] Source des données : « Quelle devrait être l’évolution des effectifs de la fonction publique ? » François Ecalle, site fipeco.fr 7 avril 2022.

[5] Calculé sur la base de 2100€ mensuels. Le salaire mensuel moyen brut de la fonction publique est de 3001€ (source : rapport 2023 de la DGAFP) et 1000€ mensuels d’indemnisation chômage.

[6] « L’analyse statistique établit en fait que la création de 10 emplois publics pourrait (…) accroître le nombre de chômeurs dans une fourchette comprise entre 1 et 6 », ibid.

[7] Frédéric Bastiat, « Ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas » – 1850.

[8] Céline Choulet op.cit.

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1 commenter

Jean-Aymar de Sékonla 22 mai 2024 - 5:19 am

Si l’on considère la sous activité de l’emploi public, (taches inutiles, redondantes etc.) on peut considérer que c’est, pour une part, du chômage déguisé!

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