En 1863, alors que la Russie envahit la Pologne, Alexandre Herzen, philosophe, écrivain et essayiste politique russe, écrit à Victor Hugo : « Grand frère, au secours ! Dites le mot de la civilisation. » La réponse de Victor Hugo sonne aujourd’hui avec une force tellurique, si l’on pense à l’Ukraine et non à la Pologne :
« Soldats russes, redevenez des hommes.
Cette gloire vous est offerte en ce moment, saisissez-la.
Pendant qu’il en est temps encore, écoutez :
Si vous continuez cette guerre sauvage ; si, vous, officiers, qui êtes de nobles cœurs, mais qu’un caprice peut dégrader et jeter en Sibérie ; si, vous, soldats, serfs hier, esclaves aujourd’hui, violemment arrachés à vos mères, à vos fiancées, à vos familles, sujets du knout, maltraités, mal nourris, condamnés pour de longues années et pour un temps indéfini au service militaire, plus dur en Russie que le bagne ailleurs ; si, vous qui êtes des victimes, vous prenez parti contre les victimes ; si, à l’heure sainte où la Pologne vénérable se dresse, à l’heure suprême où le choix vous est donné entre Pétersbourg, où est le tyran, et Varsovie, où est la liberté, si, dans ce conflit décisif, vous méconnaissez votre devoir, votre devoir unique, la fraternité ; si vous faites cause commune contre les Polonais avec le czar, leur bourreau et le vôtre ; si, opprimés, vous n’avez tiré de l’oppression d’autre leçon que de soutenir l’oppresseur ; si de votre malheur vous faites votre honte ; si, vous qui avez l’épée à la main, vous mettez au service du despotisme, monstre lourd et faible qui vous écrase tous, Russes aussi bien que Polonais, votre force aveugle et dupe ; si, au lieu de vous retourner et de faire face au boucher des nations, vous accablez lâchement, sous la supériorité des armes et du nombre, ces héroïques populations désespérées, réclamant le premier des droits, le droit de la patrie ; si, en plein dix-neuvième siècle, vous consommez l’assassinat de la Pologne ; si vous faites cela, sachez-le, hommes de l’armée russe, vous tomberez, ce qui semble impossible, au-dessous même des bandes américaines du Sud, et vous soulèverez l’exécration du monde civilisé. Les crimes de la force sont et restent des crimes ; l’horreur publique est une pénalité.
Soldats russes, inspirez-vous des Polonais, ne les combattez pas.
Ce que vous avez devant vous en Pologne, ce n’est pas l’ennemi, c’est l’exemple. »
Victor Hugo (Hauteville-House, 11 Février 1863)
Texte transmis et introduit par Jacques de Naurois
5 commentaires
Voilà un commentaire digne de ce nom. Nos politiciens à la petite semaine feraient bien de relire nos grands auteurs au lieu de vouloir réécrire l’Histoire. Merci à vous d’avoir, comme vous dites, remis les pendules à l’heure.
Admirable. Meilleur souvenir à J de N.
Pour moderer l enthousiasme et comprendre le decallage entre l esprit du TEMPS !:
Ainsi, dès le 18 mai 1879, Victor Hugo se faisait le chantre du colonialisme en prononçant un discours qui représente l’archétype même de la pensée colonialiste de gauche : « Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie, déserte c’est la sauvagerie ! (…) Allez peuples, emparez-vous de cette terre, prenez-la ! À qui ? À personne ! Prenez cette terre à Dieu ; Dieu donne l’Afrique à l’Europe ! Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille mais pour l’industrie (applaudissements prolongés). Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ! Croissez, cultivez, colonisez, multipliez, et que sur cette terre de plus en plus dégagée des prêtres )*(et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté
)*( l erreur historique du laïc sur la Nature Profonde de l Islam
Pas d amalgame dit on ?
Et la Pologne est toujours là! Un texte magnifique, mais la situation actuelle n’est sans doute pas comparable.
Après avoir souffert tout ce quelle a souffert !