Il paraît que le Rassemblement National veut « rassurer les milieux économiques », mais à écouter Marine Le Pen, il y a loin de la coupe aux lèvres. La charge de Marine Le Pen contre une Union européenne « ultralibérale » devrait être de nature à refroidir les ardeurs de ceux qui pensent que le Rassemblement National a une quelconque crédibilité économique et sociale.
Une conception stupéfiante de l’Union européenne
Dans une pendule récente, Nicolas Lecaussin a livré les commentaires que pouvaient faire les libéraux au discours de Marine Le Pen prononcé la veille dans le Loiret. Nous souhaiterions ici prolonger la réflexion de notre ami.
Rappelons les phrases litigieuses prononcées par l’ancienne présidente du RN : « De quoi l’Union européenne est-elle le nom ? Elle a dépassé le modèle fédéral pour aller vers un État centralisé. L’Union européenne, cette construction artificielle, ressemble de plus en plus à un empire. Les peuples sont réduits au rang de populations à administrer. C’est une Europe marchande, wokiste, ultralibérale, contre nos nations. Nous ne l’acceptons pas. »
Ce passage est tout à la fois conforme à la doxa du parti d’extrême droite et novateur. Certes, nous sommes d’accord sur le fait que l’Europe est, malheureusement, constructiviste et par trop centralisatrice dans une volonté d’uniformiser et d’égaliser contre nature. Mais l’analyse de Mme Le Pen est tout à la fois excessive, simplificatrice et partiellement erronée.
Tout d’abord -et c’est l’aspect novateur-, Marine Le Pen se prononce sur la nature de l’Union européenne, un vieux débat qui fait rage parmi les communautaristes et les constitutionnalistes. Le moins que l’on puisse dire est que ses propos sont confus et tous contestables, à savoir que l’Union aurait été un exemple de fédéralisme, puis qu’elle serait ou tendrait à être un État unitaire, enfin qu’elle ressemblerait aujourd’hui fortement à un empire.
Mais, c’est évidemment l’idée selon laquelle l’Europe serait « marchande, wokiste, ultralibérale » qui est délirante. Nous mettrons de côté le point relatif à une Europe « contre les nations », puisque le trait ne saurait surprendre, pour tenter de comprendre chacune de ces trois expressions.
Que veut dire une « Europe marchande » ? Nous avouons notre perplexité. On peut d’ailleurs se demander si cette expression n’est pas contradictoire avec la triple nature successive, rappelée précédemment, de l’Union européenne. Mais faudrait-il qu’il n’existât pas de commerce dans cette aire géographique ?
Que veut dire une « Europe wokiste » ? On peut supposer que le qualificatif s’applique non pas à un ou à plusieurs Etats membres, ce qui serait au demeurant inepte, mais à l’Europe de Bruxelles. Si tel est bien le cas, il serait plus qu’exagéré.
Enfin et surtout, que veut dire une « Europe ultralibérale » ? Rappelons une fois encore que le terme « ultralibéral » n’a aucun sens. Il s’agit en réalité d’un mot utilisé pour discréditer ses adversaires. Entendre Marine Le Pen l’utiliser est d’ailleurs savoureux puisque le préfixe ultra signifie en latin « au-delà de » et surtout que, dans la sphère du politique, il renvoie aux extrêmes, donc y compris à l’extrême droite que constitue le RN ! Au-delà de… ce rappel sémantique, l’idée d’une Europe qui verserait dans un libéralisme échevelé n’est pas sérieuse. Les libéraux (les vrais…) dénoncent le normativisme bruxellois insupportable, les atteintes répétées au principe de subsidiarité, la répartition des compétences systématiquement en faveur de la centralisation bruxelloise et tout particulièrement de la Commission européenne.
Un programme économique et social antilibéral
Lors de l’élection présidentielle de 2022, un article (Gilles Ivaldi, « Marine Le Pen, Eric Zemmour : social-populisme contre capitalisme populaire », Note de recherche. Le baromètre de la confiance politique, SciencesPo, Cevipof, vague 13, mars 2022, 13 pages) avait classé les programmes successifs du Front National, puis du Rassemblement National et celui d’Eric Zemmour suivant leurs parts de libéralisme, de redistribution et de nationalisme économique. Selon l’auteur, le programme du FN/RN était à 79 % libéral en 1986 (une plaisanterie bien évidemment, mais ce qui nous importe c’est l’évolution), 61 % en 2002, 21 % en 2012 (une rupture donc avec la candidature de Marine Le Pen), 35 % en 2017 et 21 % en 2022. Par comparaison, le programme d’Eric Zemmour était qualifié de libéral à 43 % à l’occasion de la dernière élection présidentielle (un chiffre élevé qui surprendra beaucoup, mais passons…).
Certes, l’étude ne correspondait pas aux analyses des communistes et de l’extrême gauche. Mediapart (29 mars 2022) contestait que le programme mariniste fût « de gauche » et il rappelait qu’il existait aussi une « droite sociale ». L’Humanité (25 février 2022) avait sans détour associé le RN au « libéralisme sans vernis ni masque ». Quant au Monde (18 avril 2022), il allait dans le sens de l’étude, mais en usant d’un titre plus que discutable : « Comment Marine Le Pen a abandonné le libéralisme (sic) pour un programme social-populiste ».
Les élections législatives de 2024 ont-elles modifié la donne ? Le programme du RN était sans l’ombre d’une discussion très interventionniste. Les circonvolutions de Jordan Bardella entre les deux tours ont peut-être un peu rassuré les milieux économiques, mais elles ont déboussolé une partie des électeurs. Quant à l’attitude des députés RN lors des débats budgétaires depuis les élections, qu’il s’agisse des multiples propositions de dépenses supplémentaires ou de l’accroissement des impôts sur les « riches », elle n’est pas de nature une fois encore à se dire que le RN a évolué dans le bon sens.
Une évolution libérale qui fait figure d’Arlésienne
Le 10 juin 2025, Jean-Philippe Tanguy, le député RN en charge des finances publiques, a indiqué que son parti avait décidé d’ouvrir une « réflexion interne » au sujet d’une « règle d’or budgétaire ». Il faut y voir un message subliminal selon lequel le RN ne serait pas (ou plus) irresponsable en matière de comptes publics. Le Figaro (11 juin 2025) précise sans rire qu’il y aurait eu en réalité un tournant avec la tribune donnée par Marine Le Pen en 2021 à L’Opinion selon laquelle « une dette doit être remboursée ». Un exploit sans doute ! Si ce n’est que, dès le lendemain sur France Inter, Marine Le Pen a assuré que le RN ne s’était pas converti à « l’orthodoxie budgétaire ». Dont acte.
Force est de constater qu’un pli encore plus étatiste a été donné au FN/RN par Marine Le Pen lorsqu’elle a succédé à son père. La raison tient sans doute à ses propres idées très « sociales », mais aussi à son entourage. On se demande donc bien comment Eric Ciotti pourrait, comme il en a témoigné la volonté à plusieurs reprises, libéraliser de l’intérieur le RN grâce à l’alliance forgée avec son parti, l’UDR. A moins que Marine Le Pen fasse insidieusement volte-face comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises (plus de « Frexit », plus de dette qui s’efface comme par miracle…). Manifestement, elle se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, elle qui a récupéré une partie du vote ouvrier et, plus largement, du vote pour les Insoumis….
7 commentaires
Ces commentaires sentent le gauchisme à tout va.
Incurable!
“C’est une Europe marchande, wokiste, ultralibérale, contre nos nations. Nous ne l’acceptons pas. »
Enlevez marchande et ultra-libérale et vous avez tout juste. Et comme personne n’arrêtera jamais le commerce, il ne reste plus qu’ultra-libérale ce qui doit pouvoir s’arranger…
Dernier avatar en date hier soir à l’AN : le RN (Tanguy) s’est associé à LFI et les écolos pour voter un monopole d’EDF sur le nucléaire, jetant aux oubliettes tous les développements privés de SMR en France, et va mécaniquement conduire Bruxelles et des énergéticiens concurrents à engager une procédure contre la France pour abus de position dominante, et rendre impossible l’atteinte d’un accord pour financer les EPR2…
et LR (Nury) a voté dans le même sens, ce qui est parfaitement incompréhensible ….
Merci pour cette info éclairante(si j’ose dire) sur le naufrage général des politiques français.
Socialisme-National ou National-Socialisme ? Bonnet blanc et blanc bonnet, mais socialisme tout de même, donc, à fuir !
On perd son temps à chercher une quelconque logique dans les prises de position de Marine Le Pen . Comme la plupart des politiques , elle ne fait qu’empiler des postures (anti européenne, anti immigration, anti libérales, …) à des fins de marketing électoral. Aucune réelle conviction là dedans . Et ça marche…