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Les think tanks face à l’Etat et à l’administration

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Dans une étude très documentée, Nicolas Lecaussin, directeur du développement de l’IREF, explique ce que sont les think tanks (mot à mot « réservoirs d’idées ») aux Etats-Unis, et le rôle décisif qu’ils jouent dans la démocratie américaine. Les think tanks ne sont pas encore vraiment entrés dans les mœurs françaises : dommage !

 

Dans une étude très documentée, Nicolas Lecaussin, directeur du développement de l’IREF, explique ce que sont les think tanks (mot à mot « réservoirs d’idées ») aux Etats-Unis, et le rôle décisif qu’ils jouent dans la démocratie américaine. Les think tanks ne sont pas encore vraiment entrés dans les mœurs françaises : dommage !

Le 18 janvier dernier, Jean-François Copé a organisé un « conseil des think tanks »au siège de l’UMP. Parmi les organismes invités, « Le Chêne » de Michèle Alliot-Marie, « Réforme et Modernité » de Hervé Mariton, « Dialogue et Initiative » de Jean-Pierre Raffarin, « Club 89 » de Benoist Apparu… A-t-on affaire à des think tanks ?

Les think tanks, institutions privées de recherche, sont apparus surtout en réaction au discours officiel des politiques et des représentants de l’Etat. Leur rôle a été d’abord celui de « superviser » l’information politique et économique de l’Etat et éventuellement de la contredire. Leur travail est en très grande partie un mélange entre le travail de recherche d’information et d’enquête des journalistes et celui plus approfondi des chercheurs.

Tocqueville : aux Etats-Unis les associations défendent la société civile

Mal connus en France, les think-tanks sont de véritables institutions dans d’autres pays. Aux Etats-Unis, ce sont l’une des bottes secrètes qui expliquent les succès économiques et la vitalité de la démocratie. Plus que de simples « laboratoires d’idées », les think tanks sont des outils de réforme et des interlocuteurs incontournables pour les pouvoirs politiques.

L’apparition des think-tanks est ancienne, Tocqueville parlait déjà avec admiration des « associations de citoyens » dans son livre sur la démocratie en Amérique : « L’Amérique est le pays au monde où l’on a tiré le plus de parti de l’association, et où l’on a appliqué ce puissant moyen d’action à une plus grande diversité d’objets. Indépendamment des associations permanentes créées par la loi sous le nom de communes, de villes et de comtés, il y en a une multitude d’autres qui ne doivent leur naissance et leur développement qu’à des volontés individuelles. L’habitant des Etats-Unis apprend dès sa naissance qu’il faut s’appuyer sur soi-même pour lutter contre les maux et les embarras de la vie ; il ne jette sur l’autorité sociale qu’un regard défiant et inquiet, et n’en appelle à son pouvoir que quand il peut s’en passer. (…) Aux Etats-Unis, on s’associe dans des buts de sécurité publique, de commerce et d’industrie, de morale et de religion. Il n’y a rien que la volonté humaine désespère d’atteindre par l’action libre de la puissance collective des individus ».

Et Tocqueville de donner l’exemple du conflit entre le Nord et le Sud sur la question du tarif et de la liberté du commerce. Vers 1830, les deux parties se sont affrontées avec acharnement en créant de nombreuses associations et en faisant un puissant travail de lobbying auprès des pouvoirs publics. « Il faut reconnaître, continue Tocqueville, que la liberté illimitée de s’associer en matière politique n’a pas produit jusqu’à présent, aux Etats-Unis, les résultats funestes qu’on pourrait peut-être en attendre ailleurs. Le droit d’association y est une importation anglaise, et il a existé de tout temps en Amérique. L’usage de ce droit est aujourd’hui passé dans les habitudes et dans les mœurs. De notre temps, la liberté d’association est devenue une garantie nécessaire contre la tyrannie de la majorité. Aux Etats-Unis, quand une fois un parti est dominant, toute la puissance publique passe dans ses mains ; ses amis particuliers occupe tous les emplois et disposent de toutes les forces organisées» (Chapitre IV : De l’association politique aux Etats-Unis).

Les think tanks dans la démocratie américaine

Il ne s’agissait que des débuts de ce genre d’organisation mais qu’il ne faut pas confondre avec les vrais think-tanks dont l’émergence date d’avant la seconde guerre mondiale et dont le travail ne se résume pas seulement à la défense des intérêts catégoriels. Le terme de think-tank ne désigne pas une simple association, un club ou bien un cercle. C’est une véritable entreprise à but non lucratif qui défend l’intérêt général et qui fait appel au mailing direct et aux dons importants pour assurer son financement.

D’après James Buchanan, théoricien du « public choice » et prix Nobel d’économie, une démocratie ne fonctionne pas correctement si elle dépend seulement des institutions classiques, de l’exécutif et du législatif. Sur le « marché politique », le think tank est en somme le moyen développé par les citoyens (la société civile) pour faire connaître leur point de vue et leurs désirs de changement. Influer sur les politiques publiques et révéler les problèmes de société sont les principales missions des think-tanks qui peuvent aussi défendre la société civile contre les méfaits et les abus du pouvoir.

Décrypter le message officiel et éventuellement le contredire

De véritables machines à produire des études, embauchant des dizaines d’experts d’horizons très divers, les think-tanks contribuent à l’élaboration des solutions dans tous les domaines : politique, économique, social, militaire ou religieux. Les thèmes abordés sont très diversifiés allant de la défense des minorités à celle de l’environnement, de l’aide aux pays du tiers-monde aux politiques de défense, de l’efficacité de la dépense publique à la désinformation des médias. Mais leur rôle ne s’arrête pas à l’élaboration d’idées car les idées n’ont de valeur que lorsqu’elles pénètrent dans la société et sont au final mises en œuvre au travers d’une législation. Pour cela, tout un travail de communication et de lobbying est mis en place avec des moyens assez impressionnants et sans cesse renouvelés. Le petit livre au titre très beau et très suggestif, « Turning intellect into influence » publié en 2004 à l’occasion des 25 ans du Manhattan Institute, un think tank basé à New York, décrit en détail comment les livres et les idées peuvent changer les politiques et dénoncer la langue de bois. A condition qu’ils apportent une interprétation originale et qu’ils démolissent les données officielles. Ce fut le cas avec le livre de George Gilder, « Wealth and Poverty » (1980) dans lequel l’auteur montrait comment la baisse des impôts peut encourager les entrepreneurs, de celui de George Kelling qui, après avoir passé des mois avec la police new-yorkaise, publie « Fixing Broken Windows » (1996), grâce auquel il lance la théorie de la « vitre brisée » et de la « tolérance zéro » mise en pratique par la police de New York pour faire baisser la criminalité ou bien du livre de Linda Chavez, « Out of the Barrio » (1991), qui montrait comment les politiques d’Etat en faveur des immigrés mexicains les enferment dans des programmes d’assistance publique et empêchent leur émancipation et leur intégration.

En France, les travaux de l’iFRAP (Institut Français de Recherche sur les Administrations Publiques) sur les vrais chiffres du chômage et ceux de l’IREF (Institut de Recherches Economiques et Fiscales) sur les retraites s’attaquent à de nombreux mythes sur l’Etat providence.

Les think-tanks, dont les revenus ne doivent surtout pas provenir de l’Etat mais de leurs propres adhérents (des donateurs privés), peuvent monter un remarquable dispositif qui leur permet d’expliquer et de faire passer leurs idées au grand public à travers des articles, des livres, et surtout des émissions de radio et de télévision auxquelles participent leurs experts sans parler des sites internet ou des blogs. Ce dispositif de communication est complété par une action vigoureuse à destination de l’exécutif et du législatif, chaque amendement, projet ou proposition de loi donnant lieu à des batailles homériques.

Mais le premier combat d’un think tank est celui pour la vérité et contre l’idéologie et la langue de bois. Dans un pays comme la France où l’administration et le gouvernement tiennent le pouvoir et où l’INSEE – un organisme public – a le monopole de la statistique, un institut privé doit veiller à ce que la réalité ne soit pas déformée comme dans une société autoritaire. Pour cela, ses chercheurs ne bénéficient d’aucun statut et on leur demande d’écrire « comme s’ils écrivaient à leur propre mère » . Le think tank a une vocation pédagogique, il doit produire des études et des rapports clairs et basés sur des faits irréfutables. Tout le monde doit comprendre ce qui est écrit sinon comment critiquer la langue de bois ?

Indépendance des think tanks

Un think tank se doit d’être indépendant. Même s’il peut se considérer de gauche ou de droite, son engagement politique n’est jamais total. En étant l’ennemi de la langue de bois, un think tank ne peut pas faire de politique au sens propre. Il doit collaborer avec les politiques pour réformer le pays tout en gardant un esprit critique. Pour ce qui est de la bureaucratie, on peut la considérer comme la véritable ennemie d’un think tank. Travailler pour un institut privé c’est d’abord être méfiant à l’égard de dérives de l’Etat et de ses administrations. Briser les monopoles des administrations dans tous les domaines – éducation, emploi, culture, santé, etc – voici une autre mission essentielle des think tanks.

La France a aussi la particularité d’avoir créé (en 1945) une école pour les hauts fonctionnaires : l’Ecole Nationale d’Administration. Les diplômés de cette école détiennent les postes clefs du pays au sein des administrations ou des grandes entreprises publiques, ils font partie des décideurs politiques les plus importants et représentent 99 % des membres des cabinets ministériels. Grâce à eux, la langue de bois de l’administration se couvre de l’apparence scientifique. Les discours et les rapports sont très souvent accompagnés de chiffres et de statistiques qui proviennent directement de l’appareil administratif. Il est donc plus difficile de les contrecarrer mais là aussi le think tank agit. En déshabillant le discours de l’énarque avec les preuves contraires, on laisse apparaître le squelette de la langue de bois classique. Le petit jeu proposé en annexe n’est pas la caricature d’un discours. C’est la transcription fidèle d’un langage utilisé par ceux qui sont censés diriger le pays. C’est aussi aux think tanks de s’y opposer.

Bien entendu, les think tanks ont leurs propres défauts. Aux Etats-Unis, certains, comme Urban Institute, travaillent en étroite collaboration avec l’administration, d’autres au contraire sont très liés aux partis comme la Brookings Institution (Démocrate), ou Heritage Foundation (Républicain). En France, ils sont encore trop jeunes… et on a tendance à confondre trop souvent le club et le cercle avec le think tank. Mais ce qui fait leur particularité autant aux Etats-Unis qu’en France c’est leur très grande diversité, ce qui est un gage pour la pluralité des idées.

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