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Les lunettes roses de l’INSEE

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L’INSEE est optimiste et annonce un redressement de l’économie française. Mais les organismes internationaux le sont moins et la Commission européenne ne cache pas ses inquiétudes. Faut-il croire l’INSEE ou peut-on émettre des doutes sur les prévisions fournies par un monopole public qu’il faudrait briser ?

Des prévisions bien trop optimistes

Le gouvernement s’est réjoui des indications fournies par l’INSEE dans sa note de conjoncture du 17 mars, qui annonce une progression du PIB de 0,4% au premier comme au second trimestre, soit un « acquis de croissance » de 1,1% à la fin du semestre. De quoi rendre plausible l’objectif gouvernemental de 1,5% pour 2016, (contre 1,1% en 2015), même si le chef du département de conjoncture à l’INSEE est prudent : « Si on avait un peu plus de 0,4% de hausse du PIB sur les deux derniers trimestres de l’année, on pourrait atteindre 1,5% cette année ».

Du coup, le ministre des finances, Michel Sapin, affirme que « la France retrouve le chemin de la croissance durable ». Certes, la consommation repart, mais cette reprise est fragile, dans une période troublée, et seuls les Keynésiens considèrent la consommation comme un « moteur » de l’économie. Mais l’investissement en logements est en berne. Les marges des entreprises progressent, mais, à 32,4%, elles ne sont pas revenues au taux d’avant la crise (33,5% en 2007). Quant à l’emploi, les prévisions de l’INSEE (baisse modérée du taux de chômage sur la première partie de l’année : 10,2% au lieu de 10,3% fin 2015), ont été douchées peu après avec les chiffres du chômage du 24 mars (38 400 demandeurs d’emplois de plus en un mois en catégorie A).

Des prévisions contestées

Il faut avoir des lunettes roses pour trouver des motifs d’espoir dans ces chiffres. L’INSEE est plus optimiste que d’autres. La Banque de France a abaissé de 0,4% à 0,3% sa prévision pour le premier trimestre et prévoit 1,4% pour 2016. Les organismes internationaux sont plus pessimistes : 1,3% pour le FMI, comme pour la Commission européenne. L’OCDE a rectifié à la baisse le 18 février ses prévisions de croissance du PIB, passant de 1,3% à 1,2%. Certes, 0,3% d’écart semble minime, mais cela décrédibilise les prévisions de déficit budgétaire (3,3% de déficit prévus pour 2016), d’autant plus que le gouvernement a annoncé une vague de dépenses publiques nouvelles.

Ces discussions sur quelques dixièmes de point masquent les éléments structurels, plus significatifs, et Bruxelles nous rappelle à l’ordre sur notre manque de réformes. La dette publique s’accroit (95,7% du PIB en 2015). Les dépenses publiques sont de 55,3% du PIB en 2015 et les dépenses nouvelles vont aggraver les choses. Or personne ne croit que les dépenses publiques soient le moteur de la croissance, sinon nous serions champions du monde! Les prélèvements obligatoires sont de 44,5% du PIB ; autant de freins à la croissance. Le vrai moteur, l’investissement des entreprises, s’il a un peu progressé (1,2% au 4éme trimestre 2015, après 0,5% les deux trimestres précédents), reste insuffisant et le moral des chefs d’entreprise est mauvais : les reculs à propos de la réforme du droit du travail ne vont pas les inciter à l’optimisme. Comme la période préélectorale écarte toute réforme, les prévisions de l’INSEE résistent mal à l’analyse de nos problèmes structurels.

Ni concurrence, ni certification externe

Faut-il s’en étonner ? L’INSEE, organisme public (une direction du ministère de l’économie et des finances), est officiellement indépendant, et l’Europe nous a obligés à créer en 2009 une Autorité de la statistique publique, pour veiller à l’indépendance professionnelle des statisticiens publics. Mais cette Autorité est composée surtout de membres institutionnels et ses moyens humains dépendent de l’INSEE, qui abrite ses bureaux. Au contraire, dans un pays comme le Royaume-Uni, l’ONS (Office for National Statistics) est une Executive Agency (Agence exécutive), ce qui signifie qu’elle est totalement autonome pour son budget comme pour son administration. Cela lui donne une autonomie bien supérieure à celle de l’INSEE et cela contribue à asseoir la crédibilité de ses statistiques. Avec un budget de 200 millions de livres sterling (247 millions d’euros) et 3 100 employés contre 448 millions d’euros et 5 700 employés pour l’INSEE, l’Office statistique britannique fait mieux avec beaucoup moins. De plus, il a intégré dans son équipe de direction des personnes ayant déjà fait leur preuves dans le secteur privé. Certains ont travaillé auparavant dans des sociétés, des cabinets, des think tanks privés ou bien des fonds d’investissements : 3Dlabs, eComData, Electra Private Equity, Winton Capital Management, Institute for Fiscal Studies… Le Directeur de l’ONS, Glen Watson, est un ancien cadre supérieur dans le secteur de l’assurance. Ce n’est pas le cas pour ceux qui travaillent à l’INSEE qui suivent une carrière toute tracée dans la fonction publique.

Cependant, si une véritable autonomie est nécessaire, la concurrence doit aussi jouer un rôle, notamment en matière de prévisions. En effet, les prévisions reposent sur des modèles économétriques. Ceux de l’INSEE sont d’inspiration keynésienne. Les variables déterminantes se situent du côté de la demande et d’abord de la consommation. Comme celle-ci reste soutenue, la prévision de croissance sera forte. Au contraire, un autre modèle économétrique centré sur l’offre privilégierait l’investissement des entreprises, donc les anticipations des entrepreneurs. Compte tenu de la fiscalité et des contraintes qui pèsent sur les entreprises, un tel modèle donnerait des prévisions de croissance moins optimistes. La question n’est donc pas seulement celle de l’indépendance des statisticiens, mais aussi celle du pluralisme des sources.

Seule une authentique concurrence assurerait le pluralisme de l’information économique et une fiabilité plus grande des prévisions, alors que pour le gouvernement seules comptent les prévisions de l’INSEE. Il suffit de changer un critère de calcul (par exemple pour le chômage) pour introduire une rupture dans une série. L’indice des prix à la consommation dépend du panier de consommation retenu et ignore les impôts directs, pesant pourtant sur le pouvoir d’achat. Comme l’IREF l’a montré dans une étude du 11 janvier 2016 (« Des chiffres sous influence »), les chiffres subissent plusieurs corrections et aucune autorité indépendante extérieure ne vient les certifier. Ce n’est pas faire injure aux statisticiens de l’INSEE de dire cela, mais chaque prévision repose sur ses propres hypothèses : seuls, un organisme de contrôle externe et une concurrence pourraient redonner une meilleure crédibilité aux prévisions. En attendant, il vaut mieux regarder les problèmes structurels et ceux-ci n’incitent guère à l’optimisme.

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1 commenter

HANLET 12 avril 2016 - 3:45

J'ai comme un doute…
Des fonctionnaires nommés par le gouvernement, et en situation de monopole, pour nous donner des prévisions… il faudrait être naïf pour oublier que c'est celui qui paye les violons qui choisit la musique !

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