Depuis une vingtaine d’années maintenant, les collectivités territoriales – régions, départements, communes, intercommunalités et autres métropoles – se sont inspirées de l’entreprise et lancées dans des campagnes de marketing visant à mettre en avant leurs atouts.
Elles cherchent par là à attirer des touristes, et désormais, à la faveur du développement du télétravail, des cadres et des travailleurs indépendants, ainsi que leur famille. Mais ce que toute collectivité recherche en premier lieu, c’est de nouveaux emplois sur son territoire. Ce qui implique de grosses dépenses d’énergie et surtout d’argent. Mais est-ce utile ? Les résultats sont-ils au rendez-vous ?
Des dépenses publiques par millions
Pour se distinguer de la concurrence, les collectivités locales ont d’abord travaillé sur leur image. Elles ont créé des logos, forcément modernes, et lancé des campagnes de communication dans la presse, les couloirs du métro parisien, les gares ou les aéroports. Certaines se sont dotées d’une agence de développement économique chargée de traquer les projets, parfois dans le monde entier.
Mais, on n’attire pas une entreprise comme Toyota à Valenciennes en mettant en avant la seule Lucullus, spécialité culinaire locale faite de langue de bœuf fumé et de foie gras. Un tel « dossier » a, bien évidemment, mobilisé un nombre incalculable de personnes, jusqu’au président de la République lui-même. Et si la ville du Nord l’a finalement emporté sur 70 autres sites européens, c’est après que les Japonais eurent testé la qualité de l’hôpital comme la fraîcheur du poisson vendu au supermarché Auchan, et s’être assurés que l’entreprise Soufflet, un des fleurons nordistes, premier distributeur de riz en France, commercialisait bien le riz de type « japonica » ! Bien entendu, Toyota s’est également intéressée au réseau de transport, à la qualité et au coût de la main d’œuvre, à la proximité des équipementiers automobiles, etc. Le projet a failli capoter à plusieurs reprises, comme lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir et l’instauration des 35 heures.
Et l’argent ? Il a été abondant pour attirer Toyota : des subventions pour 18,3 millions d’euros (120 millions de francs à l’époque) auxquels s’est ajoutée la prime d’aménagement du territoire, fonction du nombre d’emplois créés, pour 3 millions d’euros (19,8 millions de francs). Ces aides directes ont été augmentées d’aides indirectes comme la construction de routes pour accéder au site industriel et l’exonération de taxe professionnelle pendant 5 ans. Au total, les aides ont été évaluées, au moment de la signature de la convention-cadre en avril 1999, à près de 52 millions d’euros (340 millions de francs). Mais d’autres suivirent, comme, par exemple, la préformation des candidats à l’embauche visant à leur donner toutes les chances de passer avec succès les étapes du recrutement, puis la formation des recrutés.
Combien de fonds publics auront, au final, été mobilisés pour Toyota Valenciennes ? Nul ne le sait. Mais si l’on écoute les responsables politiques, l’important n’est pas là. Il est dans les retombées d’un tel projet en termes d’emplois directs et indirects. Les investissements de Toyota (1,5 milliards d’euros depuis 1997) et ses 4 500 emplois sont mis en avant, sans compter ceux qui sont créés chez les sous-traitants, les fournisseurs, les commerçants, etc. Tout cela est vrai, même si l’on passe facilement sous silence le fait que l’usine a été, en partie, construite par le britannique Bovis ou que les véhicules exportés le sont depuis le port belge de Zeebrugge.
Et si l’on comprend bien que la France, en concurrence avec les autres pays, doit faire des efforts pour attirer des entreprises étrangères sur son sol, on ne peut que s’interroger sur la pertinence des politiques locales d’attractivité lorsqu’il s’agit de convaincre des entrepreneurs français de s’établir à Trifouilly-les-Oies plutôt qu’à Perpète-les-Alouettes.
Les politiques d’attractivité sont inutiles
Michel Grossetti, sociologue, directeur de recherches au CNRS, doute du « bien-fondé de ces politiques d’attractivité ». Dans un texte publié il y a quelques jours par la revue en ligne Métropolitiques – « L’attractivité, un mythe de l’action publique territoriale » – il revient sur deux recherches auxquelles il a participé au cours des dernières années.
Dans une première recherche publiée en 2018, il a suivi, avec son équipe, des entreprises dites innovantes pendant dix ans afin de comprendre les « choix de localisation de ces startups que tant de politiques cherchent à attirer ». Résultat : « Les personnes qui fondent ces entreprises les installent dans l’agglomération où elles résident et ne s’engagent pas dans une comparaison entre un large éventail d’éventuelles localités qui les amènerait à considérer d’autres solutions ». Les quelques exceptions à cette règle sont le fait d’entrepreneurs qui associent leur projet de création à celui de déménager (le plus souvent dans le sud), ou bien de personnes qui, à l’intérieur d’une même agglomération, font des arbitrages mêlant contraintes de déplacement et coût des locaux, voire accès à des services comme ceux offerts par les pépinières d’entreprises.
Une deuxième recherche s’est intéressée aux professions dites « créatives » (artistes, artisans experts, métiers de la communication, etc.) censées être attirées par des facteurs « soft » comme l’offre culturelle, la qualité de l’urbanisme, la tolérance en matière de mœurs et d’origine, etc., bref par les grandes aires urbaines ouvertes, accueillantes et trépidantes. Résultat : la grande majorité de ces professions « créatives » est constituée de « personnes qui sont nées dans la région dans laquelle elles résident ou qui y ont effectué leurs études ». Celles qui ne sont pas dans ce cas sont venues pour l’intérêt du poste qui leur était proposé ou parce qu’elles étaient attirées par leur réseau (elles connaissent des personnes dans la ville d’installation). Aucun des facteurs « soft », strictement urbains, « ne semble jouer un rôle important dans leur décision, sinon peut-être pour les retenir une fois installées ».
Bref, nous dit Michel Grossetti, les collectivités locales surestiment « la mobilité géographique durable », car les « créateurs d’entreprises ou ceux qui ont des professions créatives ont des familles, des réseaux, suivent des logiques sociales complexes qui sont très loin de faire ressembler leurs choix de localisation à la recherche d’un lieu de villégiature pour quelques jours ».
Les politiques d’attractivité n’auraient donc aucun intérêt. Y consacrer des millions d’euros est un immense gâchis dont les entrepreneurs déjà installés sont les premiers à faire les frais. Car quand un menuisier voit s’installer à côté de chez lui un concurrent qui a reçu moult aides publiques (subventions et exonérations) qui lui permettent de casser les prix, il sait que c’est grâce aux impôts et taxes qu’il paie.
Certes les grandes entreprises sont peut-être plus sensibles aux subventions liées à leur implantation. Mais le plus important dans toute stratégie d’implantation d’usines importantes est le marché d’une part, la main d’œuvre ensuite, plus que l’argent public.
Les collectivités locales devraient donc commencer par ne pas gaspiller l’argent des contribuables et cesser d’augmenter leurs dépenses, et par conséquent la pression fiscale si elles veulent voir s’épanouir les entreprises de leur territoire et se développer les emplois.
4 commentaires
Concernant les aides municipales, dans les années 1990, la ville de Laval (53) s’était entichée d’une société chinoise (ben voyons !) appelée Starlight. Ladite société, qui fabriquait des téléviseurs, lui avait sans doute fait prendre des vessies pour des lanternes en laissant entendre que l’entreprise allait inonder la planète de téléviseurs chinois made in Laval. Les édiles lavalloises, tel le corbeau de la fable, ne demandèrent pas mieux que de se laisser charmer par le renard chinois et ont subventionné à grand renfort de millions de francs l’installation de cette entreprise (après invitation en Chine, s’entend) tout en refusant parallèlement ne serait-ce que de se pencher sur certains très beaux projets locaux peu coûteux mais qui n’allaient pas dans le sens politique de la mairie socialiste de l’époque. Et qu’advint-il? Starlight empocha les importantes subventions accordées avec de bruyants discours d’autosatisfaction de la part du maire de Laval, commença à travailler et à peine deux ans plus tard ferma ses portes puis s’en fut comme elle était venue, en gardant toutefois l’argent des contribuables.
Moralité : je pense toujours à un tableau de Brueghel où l’on voit une sorte dé prestidigitateur réaliser un tour de passe-passe et face à lui, un public bouche-bée à l’air ahuri. Cela résume parfaitement ce que sont nombre de nos « hommes politiques » aujourd’hui.
La proie pour l’ombre.
Votre exemple est très parlant. Il y a en malheureusement des dizaines de la sorte.
M. Boisgontier a tout résumé dans son commentaire ! Ce fait évoqué est à multiplier sur tout le territoire. Encore une fois, tout ce qui est géré par le secteur public et les collectivités locales est une catastrophe nationale. Imaginez avec le mille feuille territorial les centaines de millions jetés par les fenêtres et payés par le contribuable !!
Tout à fait d’accord. Fiscalité, infrastructures, moyens d’accès et/ou de transport, main d’oeuvre constituent des arguments décisifs.
Supprimer la bureaucratie Française et sa frénésie de règlements et de normes, mettre fin au matraquage fiscal sera autrement plus efficace et moins coûteux.