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La santé (mal) administrée

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On vient d’apprendre que notre pays, qui ne comptait déjà qu’un peu moins de 2 000 médecins gynécologues médicaux en 2007, n’en aurait plus désormais fin 2017 que 1 136 ( pas moins de six départements et certaines villes moyennes défavorisées – notamment en banlieue parisienne- n’en ont plus du tout). Et comme beaucoup de ces praticiens, âgés de plus soixante ans, s’apprêtent en outre à prendre incessamment une retraite bien méritée, en l’état, la projection 2025 s’effondre à 531 spécialistes pour une population proche de 30 millions de femmes.

Médecins : une pénurie constante

Ainsi grâce aux oukases de la santé administrée conjointement par les fins stratèges de l’État et ceux de la Sécurité sociale, auxquels se sont joints quelques pontes hospitalo-universitaires, successivement :

• nous avons déjà manqué voici deux ou trois décennies d’infirmières au point de devoir « importer » d’urgence et en masse des praticiennes étrangères;
• nous commençons à manquer cruellement de médecins généralistes, là encore en essayant tant bien que mal de pallier cette insuffisance par le recours à de nombreux médecins étrangers;
• nous manquons déjà depuis un certain temps de médecins ophtalmologistes, pour lesquels le délai de consultation moyen s’étend, hors urgences, sur plusieurs mois;
• et voici maintenant que l’alerte rouge est de mise pour les gynécologues médicaux, leur rareté actuelle obligeant un nombre croissant de femmes à renoncer à un suivi sérieux, le discours officiel sur la montée en compétence des sages-femmes ne pouvant évidemment pas prétendre au remplacement d’un spécialiste, souvent titulaire de plusieurs certificats, et dont le domaine de compétence excède de beaucoup la pratique de l’accouchement.

Pourtant dès 1950, notre pays était bien parti. Sous l’impulsion du Dr Albert Netter se constituaient peu à peu les fondements d’une gynécologie médicale attachée aux spécificités de la santé féminine tout au long des âges de la femme et au-delà du domaine traditionnel de l’obstétrique qui ne couvre notamment pas le dépistage et le traitement des cancers. La discipline était universitairement reconnue au début des années 60 et 20 ans plus tard, les promotions annuelles comptaient environ 130 nouveaux gynécologistes médicaux à la satisfaction générale de la patientèle féminine. C’est alors qu’au cours des années 1980, sous la pression d’un certain nombre d’obstétriciens, jaloux du succès d’une discipline connexe bien que non concurrente, les autorités en place et notamment la Ministre Barzach (pourtant elle-même gynécologue médicale), eurent la lumineuse idée de supprimer purement et simplement la filière en 1987. On s’appuya alors sur le prétexte misérable que l’Europe ne reconnaissait pas cette spécialité, qui était ailleurs assurée par la spécialisation de médecins généralistes. Malheureusement, en France, ni cette formation, ni cette « réorientation » ne prirent et les patientes demeurent toujours très réticentes à confier à des médecins généralistes les problèmes dont elles s’ouvrent sans réticence à leur gynécologue. Quoi qu’il en soit année après année, on aménagea donc patiemment et de toute pièce le désert médical auquel nous parvenons sans coup férir, avant de s’apercevoir sous les protestations redoublées de certains milieux médicaux et des patientes elles-mêmes qu’il importait de rouvrir d’urgence la spécialité au numerus clausus.

Incapacité de l’Etat stratège à anticiper les besoins de la population

Et il fallut attendre l’année 2003 pour que l’on recommence à former des spécialistes, mais quasiment au compte-goutte avec des promotions annuelles de 20 à 30 unités, tout à fait insuffisantes pour compenser les nombreux départs à la retraite entraînés par le vieillissement de la profession. Rétrospectivement d’ailleurs, ce redémarrage confirmait bien que l’Europe n’avait été en réalité qu’un faux prétexte, opportunément brandi par quelques caciques « mâles » de l’obstétrique attachés à torpiller la nouvelle discipline (les gynécologues-femmes se voyant affubler du sobriquet infâmant de « mères-frottis »!) . Alertés à diverses reprises notamment par les questions posées et réitérées par plusieurs parlementaires, les pouvoirs publics rehaussèrent récemment le numerus clausus pour arriver comme actuellement à des promotions de l’ordre de 70 praticiens. Mais cet effectif demeure tout à fait insuffisant pour assurer un maillage correct du territoire qui exigerait pratiquement, avec un seuil annuel de 120 unités, le rétablissement des anciennes promotions. Nos 1 136 spécialistes actuels sont donc le résultat pitoyable, mais inéluctable, d’une politique absurde qui s’est longuement obstinée dans l’erreur, alors notamment que les impératifs du libre choix des femmes, tout comme les objectifs modernes de la santé publique militent en faveur d’un renforcement de la densité de ce réseau médical spécialisé et dont les missions de prévention, de dépistage et de traitement ne cessent de s’étendre.

Or au vu de tous les dysfonctionnements précités, la raison de ces pénuries récurrentes est pratiquement toujours la même: l’incapacité congénitale de nos stratèges de la santé – ceux qui savent tout mieux que personne – à anticiper les conséquences d’une démographie parfaitement connue et prévisible. Or celle-ci exerce sa pression en faveur de nouveaux recrutements au regard soit de l’évolution de la population, soit des départs à la retraite des praticiens sexagénaires ou encore de l’apparition progressive de nouvelles missions. C’est dire si la cause de cette pénurie est parfaitement évitable, en pilotant tranquillement deux ou trois décennies à l’avance les mesures de recrutement et de formation nécessaires pour éviter toute crise à venir. Mais n’oublions pas qu’avec le vieux réflexe pas encore totalement aboli dans la haute administration qu’une santé sans médecins ou avec peu de médecins coûte moins cher qu’une santé avec un nombre suffisant de médecins, avec aussi un certain nombre de réactions machistes dont le milieu médical n’est pas exempt, on arrive tout droit aux absurdités et aux carences actuelles. En fait, on réalise avec effroi combien nous avions tort de nous moquer en leur temps des épiceries soviétiques où le vide des rayons coïncidait tristement avec la longueur des files d’attente. L’État et la haute administration sanitaire française viennent à peine quelques décennies plus tard de nous administrer à plusieurs reprises la preuve qu’ils sont parfaitement capables de parvenir au même résultat dans un des pays les plus riches au monde, avec la circonstance aggravante qu’il ne s’agit pas cette fois de simples denrées, mais de personnel soignant et de notre santé à tous.

Moyennant quoi, le moindre bobo se règle après plusieurs heures dans les files d’attente des urgences de l’hôpital, il faut patienter trois à six mois pour obtenir une consultation en ophtalmologie et maintenant beaucoup de femmes admettent qu’elles ont dû, soit du fait des distances, soit du fait des délais, soit encore des deux réunis, renoncer à un suivi ou à un dépistage régulier, voire même parfois tout simplement à pouvoir consulter en gynécologie. Superbe réussite d’une santé administrée par des hiérarques et des pontes aveugles, murés dans leurs certitudes mesquines, alliés à des politiques inconscients qui font de la raréfaction des soins la variable d’ajustement d’une politique à très courte vue, lorsqu’on sait que la prévention, le suivi régulier et l’intervention sans tarder sont des facteurs d’économie encore plus déterminants dans le domaine sanitaire que dans bien d’autres secteurs. Et à un moment, où on ne cesse de promouvoir comme il se doit les droits, tous les droits, des femmes, on ne peut en matière de santé qu’insister sur l’hypocrisie, le cynisme et – peut être aussi pour la gynécologie médicale – le machisme que révèle l’écart inquiétant qui se creuse entre la communication officielle et les politiques en place.

Mais soyons tranquilles, tous ces gens, qui décident ainsi de nous mettre au pain sec, sauront toujours pour eux-mêmes et leurs proches obtenir la disponibilité médicale immédiate qu’ils nous refusent obstinément.

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3 commentaires

Picot 4 janvier 2018 - 5:01

Pénurie de médecins.
Voilà une des explications des "déserts médicaux" : l'état qui se mêle de tout et qui n'y connaît goutte. Par ailleurs, dans un de vos articles concernant les critiques de la cour des comptes sur la médecine libérale, l'auteur me répondait que les syndicats de médecins semblaient peu actifs. Tout à fait exact, et pourquoi? Parce qu'en France TOUS les syndicats, ou presque sont subventionnés par l'état. Dans ces conditions ils ne peuvent et ne veulent défendre qui que ce soit. On ne mord pas la main qui vous nourrit. Les dit syndicats ont souvent accepté des propositions inacceptables, à l'encontre de l'intérêt de la profession. C'est pourquoi les "négociations conventionnelles" avec la sécurité sociale ne sont qu'une vaste comédie. Aucune vraie négociation n'est possible dans ces conditions dans lesquelles l'état, un fine, a la main sur tout le monde.

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Rosalie 4 janvier 2018 - 9:08

rendez-vous chez un ophtalmogue
Ma fille, qui habite en Bretagne à St-Pol(près de Morlaix) et qui est diabétique, doit attendre un an pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue !

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jm m Ophtalmologiste 7 janvier 2018 - 10:09

Mais posez-vous la question, pourquoi des délais ??
Vous comprendrez qu'on n'a formé que 141 ophtalmos en 2017 alors qu'il en partait plus de 250 à la retraite. Plaignez-vous auprès de l'Etat qui bloque les formations ! mais pas des médecins !!
On en a formé 151 en 2016 …

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