Les Français doivent décidemment gérer un lourd héritage : si la planification économique centralisée n’est plus tout-à -fait au goût du jour, nos élites demeurent persuadées qu’il appartient à l’État de donner l’impulsion dans tous les domaines. Et la création artistique n’échappe pas à la règle. Nous connaissons bien le CNC (Centre National du Cinéma) qui depuis 1946 veille sur la création cinématographique française avec tant d’efficacité (c’est du moins ce que l’on veut nous faire croire même si rien n’est moins évident). Il a depuis peu un petit frère, le CNM (Centre National de la Musique). Mais, alors que le budget 2023 est voté, un problème reste en suspens : on n’a pas de quoi habiller la petite sœur ! Retour sur un feuilleton typiquement français.
Le CNM
Vouloir « soutenir » la production musicale et sa diffusion n’est certainement pas une idée nouvelle dans ce pays. Le tout nouveau CNM regroupe en fait des établissements publics ou des associations subventionnées préexistants : le CNV, Bureau Export, l’IRMA (qui lui-même regroupait en 1986 le CIJ, le CIMT et le CIT mais je vous ferai grâce des détails), le FCM ou encore le Calif. C’est donc sans doute un effort de rationalisation qui a donné naissance au CNM. Un peu à l’image de Bpifrance qui regroupait OSEO –précédemment BDPME et Agence national de valorisation de la recherche–, CDC Entreprises et FSI.
Nous le voyons, nos gouvernements n’ont guère changé de stratégie depuis 1946, voire depuis toujours. Pour montrer son ambition, on rebaptise des organisations publiques ou parapubliques existantes. C’est ainsi que le Commissariat général du Plan devint France Stratégie ou que l’ANPE, fusionnant avec les ASSEDIC, se transforma en Pôle emploi. Évidemment, chaque « re-baptême » est accompagné d’un discours galvanisant. Dans le cas du CNM, il s’agira de rechercher « les équilibres nécessaires à un développement harmonieux des différentes composantes de la filière », de « garantir la diversité, le renouvellement et la liberté de la création musicale », …et de façon très concrète, de « mettre en œuvre un système de soutien adapté aux enjeux des professionnels » (traduire, de distribuer des aides d’État).
Au rabat-joie qui fera remarquer que tout cela va encore coûter des sous on s’empressera de répondre en soulignant toutes les retombées positives de ces aides et politiques. Moins d’un an après sa création on pouvait ainsi lire que « le CNM, en centralisant tous les leviers d’action publique, doit préserver ce modèle français créateur d’emplois (260.000 personnes ont un revenu lié à la musique selon EY) et relais de croissance à l’export. L’an dernier, 315 millions d’euros (+ 6,5 %) ont été générés par le streaming et l’organisation de 5.500 concerts (dont 600 en classique), impliquant 750 artistes dans 114 pays. »
Les ressources
Quoiqu’il en soit, il faudra bien quelque argent pour honorer ces missions. Et c’est là que le bât blesse et que l’harmonie censée régnée dans la filière s’effiloche. Si l’on met de côté la possibilité de recourir au crédit d’impôt –c’est déjà fait pour la création phonographique–,  la principale ressource propre stable à ce jour est la taxe sur la billetterie (fixée à 3,5% de la recette et qui rapporte entre 30 et 35 millions d’euros). Mais c’est très largement insuffisant, d’autant que les salles de spectacle ne font pas le plein. Résultat des courses : « Au premier semestre [2022], le CNM a déjà engagé 120 millions de dépenses, … soit plus que ce qui devrait être son budget annuel en temps normal (70 millions). »
Une idée : Pourquoi ne pas taxer les plateformes de streaming, Deezer, Apple Music et autres Spotify, qui, après tout, diffusent de la musique et ne contribuent pas à ce jour au financement du CNM ? Un amendement au PLF 2023 (soutenu par l’Union des producteurs phonographiques français indépendants et la Nupes) a été proposé en ce sens qui prévoyait une taxe de 1,5% sur les revenus de ces plateformes. Mais ces plateformes ont déjà du mal à joindre les deux bouts et cette taxe serait sans doute répercutée sur les consommateurs, les producteurs et les artistes (en particulier les rappeurs dont 87% de la musique est consommée en streaming). C’est pourquoi le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) s’y est vivement opposé. Avec la SCPP il propose de mettre plutôt à contribution les services de vidéo en ligne gratuits (YouTube, TikTok, Facebook) qui diffusent beaucoup de musique et n’abondent qu’à hauteur de 10% aux revenus de la musique enregistrée. Ajoutons que ces services en ligne ne sont pas français…
Un lourd héritage
On se demande parfois comment la France a pu devenir ingérable et si proche de la faillite. Le feuilleton du CNM nous donne une clé importante pour comprendre. Car à la pétition des producteurs et marchands de musique s’ajoutent celle des marchands de films, et celle des défenseurs de l’environnement, et celle des protecteurs des monuments historiques, et celle des défenseurs de l’art plastique, et celle des partisans de la transition écologique, et celle de ceux qui veulent réindustrialiser le pays, et celle des agriculteurs, etc. Ce recours permanent à la même logique nous fait inévitablement penser à la fameuse Pétition des fabricants de chandelles de Frédéric Bastiat. Celui-là même qui disait fort justement de l’État qu’il est « la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ».
Dernier épisode du feuilleton : pour sortir de la « crise », notre Première ministre, Elisabeth Borne, va charger un sénateur d’une mission temporaire afin « de dresser le bilan des dispositifs de soutien à la filière musicale, d’identifier les évolutions structurelles du secteur, de poser un diagnostic quant à ses besoins de financement et de proposer des évolutions pour un accompagnement durable et vertueux par les pouvoirs publics ». Bonne idée ! Et si le sénateur conseillait aux pouvoirs publics de s’inquiéter plutôt d’une gestion saine des finances publiques, de ne pas toujours réfléchir en termes d’impôts et de rétablir les conditions d’un échange libre dans cette filière ? S’il leur conseillait de s’affranchir d’un héritage interventionniste et planificateur qui ne cesse de plomber les efforts entrepris par les citoyens ? Je sais, je rêve. Mais, comme disait Jacques Brel, celui qui ne rêve pas ne mérite pas de vivre. A suivre.
3 commentaires
Il faut couper l’argent public à tous ces assistés de la République pour que enfin ils créent des oeuvres que la majorité de la population aime regarder. C’est facile de ne faire que ce qui leur convient tant que l’argent public coule à flots jusqu’à , la fin de leurs jours.
Je signerai votre pétition pour la distribution d’une copie de la Pétition des marchands de chandelles, à tous les enfants entrant au collège.
Il sera défendu de la lire en classe et même de la commenter car, en premier, elle sera l’objet d’un devoir à faire à la maison, consistant en une lecture avec les parents suivie de la transcription de leurs réactions et commentaires.
Après seulement, les collégiens mettront en commun ces avis.
Le faible coût est certain. Je parie sur une maturation fructueuse, avec un espoir d’harmonie censée régner …
Préparez-vous, bientôt le CNM2 : Conseil National de Marcheurs; puis le CNC2 : Conseil National des Coureurs; puis bien d’autres comme le CNA : Conseil National de l’Automobile … Tout ça va engendrer une multitude de fonctionnaires tous plus bons à rien les uns que les autres et qui fera de nouveaux votants pour les guignols qui nous gouvernent aux prochaines élections. La boucle est bouclée depuis fort longtemps, les Français adorent la « duperie ».