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La « Loi sur les agents d’influence étrangers » qui a suscité la colère parmi les jeunes Géorgiens

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Le 9 mars, le Parlement géorgien a révoqué un projet de loi sur les agents d’influence étrangers, soutenu par sa majorité. Il s’agissait d’obliger tout média ou organisation de la société civile utilisant de l’argent étranger, à s’enregistrer en tant qu’ « agent étranger » ou « agent d’influence étrangère ». Le projet avait été adopté après la première audience, le 7 mars, malgré les vives critiques de la société civile, des médias indépendants, de l’opposition, des dirigeants et des diplomates de nations amies. Tous ont essayé d’expliquer que cette proposition était contraire aux droits de l’homme et compromettait le désir de la grande majorité des Géorgiens de rejoindre la Communauté européenne.

Les relations russo-géorgiennes et l’impact de la guerre russo-ukrainienne

La Géorgie est devenue indépendante en 1991 et a immédiatement fait face à une agressivité économique, politique et militaire de la part de la Russie. Les réformes du marché libre, mises en place en Géorgie à partir de 2004, ont été couronnées de succès, ce qui a fortement contrarié le leadership russe et l’a rendu encore plus agressif. En 2008, la Russie a occupé 20 % du territoire géorgien, malgré un accord de paix négocié par le président Sarkozy. Depuis la fin de cette guerre, aucune mission diplomatique, aucune relation officielle n’a été possible.

Le gouvernement géorgien actuel, arrivé au pouvoir en 2012, a pris plusieurs mesures pour apaiser cette relation, améliorer le commerce et éviter des mesures radicales contre la Russie. Cela se faisait en parallèle avec la signature d’un accord de libre-échange avec l’UE. Les Géorgiens espéraient que, grâce à cet accord, l’intégration dans l’UE se ferait plus rapidement, mais au lieu de cela, elle stagne. Pendant ce temps, le commerce avec la Russie s’est rapidement développé.

La guerre de la Russie en Ukraine a mis le gouvernement géorgien dans une position difficile. Il a d’abord dû choisir son camp. La Géorgie ayant massivement soutenu l’Ukraine, n’a pu  soutenir en même temps, ouvertement, la Russie. Un tel appui aurait été  à l’encontre du bon sens car la Russie occupe toujours notre territoire ;  mais il n’en reste pas moins que, si elle nous attaquait, personne ne pourrait nous protéger. Par conséquent, si la Géorgie a rejoint plusieurs restrictions internationales contre la Russie, elle a toutefois continué à commercer avec elle, lorsque cela était compatible avec les sanctions. Par exemple, la Géorgie est devenue une voie de transport de fret russe et les files de camions font des dizaines de kilomètres. De plus, de nombreux Russes ont ouvert des comptes de visa chez nous car les sanctions internationales leur interdisent l’accès aux systèmes de paiement. Conséquence : le PIB de la Géorgie a atteint un niveau record de 20 Mds€ en 2022, principalement en raison de la hausse des transferts d’argent et des dépenses des visiteurs équivalant à près de 20% du PIB – principalement en provenance de Russie. Le gouvernement actuel a ainsi continué à promouvoir et même à se vanter de ce commerce très profitable avec la Russie. Il n’a pas eu honte de dire que la Géorgie, en 2022, a dû sa prospérité à la guerre russo-ukrainienne. Et il n’a rien fait pour améliorer ses institutions et le climat des affaires. Ainsi, politiquement et économiquement, la Géorgie est devenue très dépendante de la Russie. Le Kremlin pousse ses pions, obligeant ses homologues géorgiens à se montrer plus dociles. Cela explique la loi sur les agents d’influence étrangers – pour restreindre et contrôler les ONG et les médias libres qui irritent les gouvernements, et qui surtout  observent et rapportent scrupuleusement leurs méfaits.

Des manifestants forts et courageux

 La majorité gouvernementale,  s’attendant à une résistance, a rapidement enclenché la procédure après avoir lancé le projet de loi.  Le jour de la première audience, la majorité parlementaire  a tenté de tromper l’opposition en annonçant que la session du Parlement commencerait deux jours plus tard. Les députés de l’opposition ont accouru dès qu’ils ont eu vent de la ruse mais n’ont rien pu faire : le Parlement a adopté la loi dès la première audience avec 76 votes pour, sur 150. Ce même soir, l’avenue Rustaveli, où se trouve le bâtiment du Parlement, était envahie. Des milliers d’étudiants brandissant des drapeaux de l’UE, des États-Unis, de l’Ukraine et de la Géorgie sont venus exprimer leur mécontentement envers le gouvernement géorgien et la Russie (!). La police a procédé à des arrestations puis, comme de nombreux manifestants ne voulaient pas partir, a fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogène, sans grand résultat. Les forces spéciales sont venues en renfort, elles aussi avec grenades lacrymogènes et canons à eau. Les arrestations se sont multipliées, tout cela a  duré jusqu’à 5 heures du matin et n’a servi qu’à motiver d’autres personnes à se joindre aux protestations le lendemain.

Le soir du 8 mars, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui se sont rassemblées, remplissant presque entièrement la rue, longue d’un kilomètre. La police a décidé d’utiliser à nouveau la force, mais plusieurs milliers de jeunes sont restés sur place malgré la fatigue, les coups, les gaz et l’eau. D’autres arrestations ont eu lieu, des belligérants ont été enfermés dans les voitures de police car il n’y avait plus de place dans les prisons temporaires avant les comparutions. Les autres ont riposté par tous les moyens disponibles.  Beaucoup ont essayé de parler à la police et aux membres des forces spéciales pour expliquer en quoi cette loi était mauvaise, même pour eux. Mais les bagarres ont continué et, à la fin de la nuit, il était clair que rien ne s’apaiserait et qu’il y aurait encore plus de manifestants le jour suivant. De nombreuses célébrités géorgiennes : diplomates, poètes, peintres, écrivains, professeurs, acteurs, chanteurs, joueurs de football, joueurs de rugby et équipes entières, étudiants et physiciens, médecins étrangers, amis étrangers, dirigeants de nations, ont tous demandé aux autorités géorgiennes l’abrogation de la loi. Au matin du 9 mars, le président du Parlement a annoncé que la majorité avait décidé de retirer le projet de loi.

Non à la loi russe !

Les protestations et les manifestations ont continué pendant plusieurs jours, prouvant la ferme détermination des jeunes et de la société civile. L’émotion, qui a atteint son apogée les premiers jours, est restée forte. Un fait très important doit être souligné : les manifestants se disaient mobilisés contre « la loi russe ». Pourquoi « russe » ? Parce que la Russie a adopté une loi similaire il y a 11 ans ; une loi qui est devenue une plateforme pour détruire la société civile pourtant faible là-bas, ouvrant la voie à la dictature actuelle.

Comment se fait-il que les jeunes de Géorgie, d’ordinaire plutôt politiquement passifs, se soient joints aux protestations et en soient même devenus les meneurs ? Sans doute parce qu’ils se sont rendu compte que les générations plus âgées étaient faibles. Ce qui a surtout motivé ces rébellions, c’est la volonté du peuple géorgien de rester libre et de ne jamais devenir esclave de la Russie. Les Géorgiens aspirent à faire partie de la communauté européenne où l’individu, ses libertés et ses droits sont respectés et protégés. C’est pourquoi aussi ils qualifient cette loi de « russe » : il est évident que la Russie ne se soucie pas des libertés et des droits humains. C’est également pourquoi les manifestants désignent les membres de la majorité parlementaire par les termes de Russes, traîtres et inhumains.

Le projet de loi qui exigeait, au nom de la transparence, que les ONG et les médias s’inscrivent en tant qu’agents d’influence étrangers contredisait cinq articles de la Constitution géorgienne et plusieurs traités internationaux ratifiés par la Géorgie (tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Ces documents affirment que toute personne ou groupe de personnes est libre d’agir sans aucune limite ou restriction ; ils sont conçus pour limiter le pouvoir du gouvernement ; ils garantissent à tout individu, à toute organisation d’individus, le droit de ne pas avoir à rendre des comptes à son gouvernement sur ses occupations ni sur les sources de leur financement. Les événements récents en Géorgie ont donc joué un autre rôle important : rappeler la signification de certaines des réalisations majeures de notre civilisation dans le domaine des libertés et des droits individuels.

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