Une note récente de la Fondation Jean Jaurès amène à s’interroger sur le concept de « démocratie économique ». Loin d’être un viatique, il constitue un grave danger.
Les origines intellectuelles de la « démocratie économique »
Il est délicat de trouver les origines d’un concept. On a tendance aujourd’hui à oublier combien le socialisme s’opposait à la démocratie, au XIXe siècle. Ce n’est qu’insensiblement que certains courants socialistes ont compris l’intérêt de noyauter les régimes parlementaires pour arriver à leurs fins. La social-démocratie est ainsi née et là encore nous en avons aujourd’hui une vision le plus souvent erronée ou romantique. Lorsque Thomas Piketty se réclame de la social-démocratie au sens originel de l’expression, ce n’est pas par hasard.
En effet, au tournant des XIXe et XXe siècles, la social-démocratie se conçoit comme un mouvement radical qui entend mener au socialisme, non pas par la révolution, mais par la démocratie. Il ne fallait pas l’envisager comme un mécanisme de nature uniquement politique. La démocratie se décline également dans la sphère économique et sociale. De manière célèbre, le programme du Conseil national de la Résistance entend ainsi « instaurer une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » (Les Jours heureux, 1944, 2, 4°).
La « démocratisation de l’entreprise »
Les nationalisations ne sont plus guère à l’ordre du jour, ne serait-ce que pour des raisons financières. L’État étant en grande difficulté budgétaire, comment pourrait-il indemniser les actionnaires comme en 1982-1983 ? Quant aux réquisitions et autres expropriations, elles sont inconcevables, sauf à se diriger vers une république bolivarienne chère à Jean-Luc Mélenchon… Une note récente de la Fondation Jean Jaurès entend en conséquence promouvoir une « démocratisation de l’entreprise » (« Démocratiser l’entreprise : un nouveau territoire pour la République », 21 octobre 2024).
La note part de l’idée que le « mécontentement social » a fait le lit de l’extrême droite. Or, la République a négligé ce qui est qualifié de « cadre d’expression politique le plus pertinent », à savoir… les entreprises ! Un paradoxe selon nos socialistes puisque, si le capital est privé, « la force de travail est sociale ». La solution s’énonce d’elle-même : il convient d’œuvrer à la « participation ». Mais pas la participation gaullienne, ce parent pauvre de la socialisation ; une participation qui « implique de doter les citoyens de droits au sein des entreprises et de les associer à la gestion du capital et aux choix d’investissements ». Autrement dit, il faut inventer « un droit de participation à la richesse créée ». Il faut « retrouver le sens de la République en liant les droits politiques au droit de propriété ».
La note conclut que la « démocratie économique en République transformera les travailleurs salariés en citoyens participant à la délibération ». Le jargon socialiste qui avait été un peu mis de côté revient ici en force : cette nouvelle démocratie « offrirait une approche inclusive du développement socio-économique en ligne avec les défis environnementaux ».
La « démocratie économique », une politisation de la société civile
L’idée d’une « démocratie économique » peut sembler a priori sympathique. Par surcroît, il est suicidaire de s’opposer à la démocratie, sous peine d’être considéré comme un factieux ou le suppôt d’une aristocratie surannée. Nous n’hésiterons pas à dire néanmoins que ce concept représente non seulement une idée économique absurde, mais encore et surtout un grave péril.
Le vocabulaire utilisé par nos socialistes est déjà inquiétant : la République est confondue avec le socialisme, les individus sont confondus avec les « citoyens », les droits naturels de l’homme avec de simples aspirations, les droits politiques avec la propriété des moyens de production, les salariés avec les propriétaires des entreprises, les représentants des salariés sous la forme de syndicalistes politisés avec les salariés eux-mêmes, les enjeux économiques avec les enjeux sociaux et environnementaux.
Cette bouillie conceptuelle résulte de la définition même de la « démocratie économique » qui n’est autre qu’un transfert, par définition forcé, de la propriété des porteurs de parts d’une entreprise à ses salariés. Or, si l’on peut concevoir que des salariés puissent être porteurs de parts (il en existe d’ailleurs des millions dans notre pays), si l’on peut concevoir que des salariés puissent constituer des coopératives (il existe des milliers de sociétés coopératives en France), si l’on peut même considérer que cela est ou serait positif, le fait d’obliger les entreprises à se constituer sous une certaine forme ou de transférer des parts à leurs salariés représente un changement de paradigme : celui de l’obligation par rapport à celui de la libre initiative.
Socialisme contre liberté de choix
En réalité, les socialistes restent fidèles à eux-mêmes. Il s’agit toujours de miner la propriété privée. Il s’agit toujours d’étendre la sphère de l’État par rapport à celle de la société civile. Il s’agit toujours de politiser l’économie et d’accroître l’interventionnisme. Il s’agit toujours de porter atteinte à la liberté de choix. En bref, il s’agit toujours de détruire le seul régime qui ait apporté prospérité et liberté dans le monde.
En ce sens, le concept de « démocratie économique » n’est que le signe avant-coureur d’une « démocratie populaire » qui ne dit pas son nom et qui n’est d’ailleurs ni démocratique ni populaire…
A cette fausse démocratie, nous préfèrerons celle du grand économiste autrichien Ludwig von Mises qui rappelait que la propriété ne peut être que celle des moyens privés de production, et que seul le libre marché permet aux consommateurs d’exercer quotidiennement leur pleine liberté de choix.