Les députés français ont repoussé (avec regret) la proposition de surtaxe de 10 % des profits des banques. Mais dans le monde entier, l’idée à la mode est de faire payer les banques, pour les obliger à contribuer aux opérations de sauvetage dont elles ont bénéficié, puisqu’en raison de leur taille leur faillite serait un drame. Mais pourquoi le gigantisme bancaire ? Maître Jean Philippe Delsol, administrateur de l’IREF, donne la réponse.
Faire payer les banques
Les députés français ont crié haro pour charger le baudet bancaire en votant en commission, puis à l’Assemblée nationale une taxe complémentaire de 10 % sur les profits des banques. Il semblerait que cette première lecture à l’Assemblée ait perturbé certains députés de la majorité, qui auraient voté pour alors qu’ils étaient contre, de sorte que la proposition a été à nouveau soumise au vote, et finalement repoussée. En avait-on pour autant fini avec les banques ? Certes Madame Christine Lagarde s’était élevée contre cette surimposition spécifique au moment où le Président de la République réaffirmait fermement : « Je n’augmenterai pas les impôts ». Mais tout aussitôt elle a proposé d’instituer un nouveau prélèvement à l’effet de faire contribuer les banques au financement de leur propre supervision. Evidemment, comme on le sait maintenant, ce genre de « contribution volontaire « n’est pas un impôt. Cette idée de Bercy s’apparente à celle des sénateurs Jean Arthuis et Philippe Marini qui ont suggéré de substituer une « prime d’assurance systémique » à l’actuelle taxe sur les salaires payée par les banques. Dès lors que l’Etat apparaît comme un garant des banques, a souligné Jean Arthuis, il n’est pas anormal que « celui qui assume ce risque (l’Etat) demande le versement d’une prime d’assurance ». Cela fait écho aux propos de Ben Bernanke, le Président de la Réserve fédérale américaine : » tout coût de sauvetage subi par le gouvernement devrait être couvert par un prélèvement effectué sur l’industrie financière, et non par le contribuable ».
L’Etat prêteur en dernier ressort doit faire payer ce service
Il y a en fait un consensus quasi-mondial pour faire payer aux banques l’éminent service que leur rend l’Etat : c’est lui qui les refinance pour leur éviter la faillite. « Il faut que maintenant les banques paient pour la crise qu’elles ont provoquée », a expliqué, il y a quelques jours, la vice-premier ministre socialiste belge, Laurette Onkelinx. Selon les arbitrages budgétaires du gouvernement fédéral présentés au Parlement, le secteur financier belge devrait verser à l’Etat 540 millions d’euros par an à partir de 2012. « La crise financière a démontré le rôle fondamental de l’Etat comme garant de dernier ressort des établissements financiers », a expliqué le ministère belge des finances dans un communiqué. * Au Royaume-Uni, le gouvernement s’apprêterait à lancer un « raid » fiscal sur les bénéfices des banques, selon les informations publiées dimanche 18 octobre par le Sunday Telegraph. « Les ministres du cabinet et les hauts responsables à Downing street souhaitent que le ministre des finances, Alistair Darling, dévoile cette offensive fiscale contre les banques dans son pré-budget qui doit être présenté au Parlement dans les six semaines », écrit le journal. L’hebdomadaire précise que même les banques n’ayant pas perçu de fonds publics seraient concernées par ce super-impôt. Le ministre des Finances sortant en Allemagne, Peer Steinbrück, avait récemment proposé de faire payer les marchés pour la crise, en relançant l’idée d’une taxation sur les transactions financières.
Qui va payer ? Les banques ou leurs clients ?
Bien entendu, avec une surprime d’assurance, les contribuables n’ont pas à payer , alors que jusqu’à présent l’aide de l’Etat se retrouvait dans les dépenses publiques, donc dans les impôts payés par les contribuables. Donc, pas d’impôt nouveau, et même réduction des impôts. C’est, comme disait Bastiat, « ce qui se voit ». Mais quid de « ce qui ne se voit pas » ? Si les banques doivent obligatoirement se réassurer auprès de l’Etat, elles répercuteront ces surcharges sur leurs clients . « Croire qu’en faisant cela, cette prime d’assurance ne va pas se retrouver dans les coûts, c’est une illusion. Il faut être clair : c’est le client qui paiera au bout du compte », notait ainsi Jean-Luc Dehaene, président du conseil d’administration de Dexia. « Les discours sont souvent contradictoires: on dit qu’il faut faire payer les banques mais que ces mêmes banques doivent faciliter le crédit aux entreprises. L’ennui, c’est que les moyens ne sont pas illimités », ajoutait-il. « Il ne faut pas appliquer aux banques la logique des réparations que l’on a appliquée à l’Allemagne après la première guerre mondiale », a aussi averti récemment Henri de Castries, patron de l’assureur Axa, dans La Libre Belgique. « Si vous faites des banques les boucs émissaires de la crise, si vous les surtaxez ou si vous les empêchez de faire leur métier, vous en serez les principales victimes, car elles ne financeront plus suffisamment l’économie et les entreprises », a-t-il prévenu. Et l’Etat est-il le meilleur assureur ? L’argument est que l’importance des banques est telle que seuls les états sont désormais capables d’en être les garants en dernier ressort. La question est peut-être là précisément, dans la taille des banques désormais nombreuses à être « too big to fail ». Mais on pourrait justement d’interroger sur ce qui a conduit les banques vers le gigantisme : s’agit-il d’un phénomène spontané et naturel ? L’importance des réglementations déjà existantes fait qu’il est quasiment impossible de créer une banque, du moins dans la plupart des pays développés. Le mouvement naturel de l’activité bancaire a conduit au cours des soixante dernières années à une concentration croissante des petites banques par quelques unes d’entre elles qui sont devenues ces géants impatients de toujours grossir. En France, le Crédit Agricole n’a pas encore digéré le Crédit Lyonnais, mal remis de sa nationalisation, qu’il manifeste l’envie d’absorber la Société Générale ! Comme dans le même temps, il ne s’est pratiquement créé aucune nouvelle banque, le marché s’est rétréci vers le haut, devenant moins concurrentiel, presqu’oligopolistique, partagé entre quelques « goliaths » qui ne rencontraient plus aucun petit « david » susceptible de leur mordre le talon et de les obliger à changer leurs pratiques et à améliorer la qualité de leurs prestations – et notamment le soin apporté aux clients, pour s’assurer de la solvabilité de ceux qui empruntent et de la sécurité pour ceux qui épargnent.
Small is beautiful
Cette situation est nuisible à l’activité économique, qu’elle entrave à différents égards. Si de petites banques pouvaient se créer, leurs risques ne seraient pas systémiques, mais raisonnables, à leur niveau, et ces risques seraient diversifiés. Il n’existe plus guère de petites banques en France, mais celles qui subsistent avec des capitaux familiaux sont autrement plus prudentes dans leur gestion que les monstres bancaires dont les cadres n’ont guère d’engagements dans le capital. Le groupe Oddo détenu par des capitaux personnels a assumé ses responsabilités en remboursant les clients qu’elle avait entrainés chez Madoff ou dans la débâcle Lehmann Brother (à 80% pour les placements des sociétés et 100% pour les particuliers). Si le crédit était plus facile, de nouvelles formes de crédit se développeraient : les Français admirent le Bangladeshi Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix, pour son initiative et le développement du microcrédit en faveur des plus démunis au travers de sa banque, la Grameen Bank. Mais en France, la Grameen Bank n’aurait tout simplement pas pu exister et le microcrédit ne se pratique, modestement, qu’au travers des institutions bancaires trop lourdes pour ne pas en dénaturer le sens et le fonctionnement, qui exige souplesse et proximité. Le microcrédit dans les banlieues serait pourtant le bienvenu pour aider beaucoup de ceux qui y vivent à s’en sortir car ils aspirent, sans doute plus souvent qu’on le croit, à créer eux mêmes une entreprise comme le succès extraordinaire du système de l’auto entrepreneur mis en place depuis le début de cette année le démontre.
Réglementation contre prévention
La protection des déposants et des épargnants est légitime, mais il faut craindre que l’intervention massive et désordonnée de l’Etat soit au mieux inutile et au pire dangereuse. L’exemple de l’affaire Enron en est une illustration. Cette entreprise américaine grandie très vite, et peut-être trop vite, sur le marché de l’électricité avait dissimulé, sans réserve du cabinet Arthur Andersen qui la supervisait, de nombreuses opérations financières dans des sociétés parallèles et plus ou moins occultes jusqu’au jour où les pertes qui y étaient accumulées firent exploser le système. Pour faire face à ce type de sinistres, très rapidement, les Etats Unis, puis les pays européens, adoptèrent des normes comptables ayant vocation à éviter que ce risque puisse se reproduire. Ces nouvelles normes, IFRS, obligent désormais les entreprises d’une certaine importance tout à la fois à enregistrer dans leur propres comptes les opération de certaines sociétés liées mais indépendantes (dites société ad’ hoc) et à enregistrer leurs valeurs d’actifs en valeur de marché (règle du mark to market) de telle façon que les comptes sont devenus illisibles et aisément manipulables. Pire, ces normes qui embellissaient les bilans du temps de l’euphorie sont venus les dégrader au moment de la crise, jouant dans les deux cas un rôle d’accélérateur, de bulle ou de crise selon les cas, à l’inverse de ce que la simple sagesse aurait dû favoriser. La prise en charge forcée et automatique des difficultés des banques par les états déchargera les déposants et épargnants au point de les rendre irresponsables : pourquoi se soucier de la fiabilité de sa banque si l’Etat en est le garant ? Et cette pratique ne rendra pas les banques elles-mêmes plus responsables, au contraire. Que les banques puissent déclarer la cessation de leurs paiements les rendrait plus responsables, quitte à les obliger à s’assurer. Aux Etats Unis où de nombreuses banques de dépôt relativement modestes développent leurs activités localement, la crise a causé des dommages et une centaine d’entre elles a fait faillite. Ces banques étaient toutes assurées auprès du Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), agence fédérale américaine dont la principale responsabilité est de garantir les dépôts bancaires faits aux États-Unis jusqu’à concurrence de 200 000 USD en 2009. Les établissements bancaires et financiers souffrent sans doute déjà d’un excès de régulation plutôt que de son insuffisance. Le système Madoff était supervisé par tant d’organismes que pas un n’a alerté le monde des affaires ! La Société Générale, banque privée – et quelques autres avec elle – avaient mis en garde sans avoir besoin des régulateurs paralysés par leurs normes. Quelques règles fortes et élémentaires, mais respectées, seraient sans doute plus utiles que ce fatras de contraintes et charges qui ressemble de plus en plus à un maquis où ceux qui le veulent trouvent plus facilement à se cacher.
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La France, mauvais
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