Philosophe de formation, François-Xavier Bellamy est député européen et vice-président du groupe des démocrates-chrétiens au Parlement européen. Il répond à nos questions, soulignant l’urgence de libéraliser la France, et l’Europe. Entretien.
L’accumulation de normes est devenue exponentielle, tandis que la liberté recule. Quel est selon vous l’état de la France aujourd’hui?
Nous avons aujourd’hui en Europe et en France une production normative et une inflation législative probablement sans précédent dans l’Histoire récente, et en face une immense impuissance publique. Les deux vont sans doute de pair. Le paradoxe est que nos États et nos institutions n’ont jamais autant prétendu à normer la société au moment même où ils n’ont jamais aussi peu exercé leur capacité de décision publique. La loi devient bavarde à mesure qu’elle devient inefficace. Elle passe son temps à empêcher quand elle ne sait plus susciter ni entraîner. Ce paradoxe au final n’en est pas un ; celui d’un législateur qui s’immisce dans les moindres détails de votre existence alors qu’il est incapable de résoudre les problèmes les plus manifestes d’un État livré à une forme d’incurie. L’État, en somme, voudrait gérer votre vie quand il ne sait pas se gérer lui-même.
Et nous d’être punis si l’on se refuse à ce jeu, tandis que l’État ne l’est jamais.
C’est effectivement le constat de beaucoup d’élus locaux. Aucun acteur ne respecte moins la loi que l’État lui-même, et à tous points de vue, ne serait-ce qu’en matière de droit social ou de droit du travail. Nous sommes face à ce paradoxe permanent qui hante la vie des Français. S’agissant des délais de paiement, par exemple, il n’y a pas de client plus ingérable que l’État pour les entreprises. C’est un scandale absolu. De nombreuses PME se sont retrouvées en grande difficulté de trésorerie pour avoir travaillé pour le compte de l’État, dont les délais de paiement sont absolument délirants et ne seraient pratiqués par aucune entreprise privée.
Vous êtes favorable à une réduction drastique de l’administration et de la fonction publique, notamment pour les rendre plus performants. Que pensez-vous de supprimer le statut de la fonction publique?
Tout à fait. J’observe d’ailleurs que Marine Le Pen considère cette préoccupation comme une « position de droite ». Quand Darius Rochebin lui a demandé s’il fallait baisser le nombre de fonctionnaires, elle a répondu : « Arrêtez avec vos trucs de droite ». C’est une vision quelque peu dangereuse. Je ne serais pas favorable à une suppression unilatérale et globale du statut de la fonction publique. Dans certains domaines, ce statut peut se justifier. Par ailleurs, il me semble que notre combat aujourd’hui, même comme libéraux, devrait être de sauver l’État de son propre suicide — et d’ailleurs si l’on relit les grands auteurs du libéralisme classique, leur motivation n’est pas de détruire l’État. Il est devenu impuissant par excès de dépenses publiques, d’administration, de bureaucratie, par excès de normes, de contraintes, de charges ; pas par anémie mais par obésité. Notre but en tant que libéraux devrait être de le restituer et de le rendre à ses fonctions essentielles. L’État n’a jamais autant dépensé qu’aujourd’hui, il n’a jamais autant endetté le pays. Pourtant, il se retrouve dans un état de faillite évidente dans toutes ses missions fondamentales : la police, la sécurité, la justice, la santé, l’éducation. Parmi certaines de ces fonctions, notamment régaliennes, le statut de la fonction publique a un sens. Il n’est pas aberrant qu’un policier ou qu’un greffier ne soient pas des contractuels de droit privé, avec des fonctions interchangeables.
Des pays comme l’Irlande ou la Pologne ont une fiscalité beaucoup moins étouffante qu’en France et cela réduit directement le bien-être de la population, comme l’économie. Vous jugez vous-mêmes la fiscalité abusive en France. Pensez-vous souhaitable de libéraliser le système fiscal français en supprimant l’IFI et en introduisant un impôt unique (flat tax), par exemple?
Ce n’est pas qu’il est souhaitable de baisser les impôts en France, c’est carrément devenu vital. Il s’agit d’une question de survie pour le pays. Le ministre de l’économie a pourtant déclaré que le niveau des impôts en France ne lui paraît pas excessif. Que va-t-il falloir pour ouvrir les yeux de nos dirigeants sur ce sujet? Prenons l’exemple du poids de la fiscalité sur le travail aujourd’hui. Concernant la santé, un médecin généraliste français est le médecin généraliste dont le travail coûte le plus cher dans toute l’OCDE et qui est le moins bien payé d’Europe. Comment peut-on expliquer et justifier cela? C’est à cause de l’impôt. Le coeur du mal français est de décourager le travail, l’activité, l’effort, l’énergie, la création ; de tout faire pour ankyloser le pays. La fiscalité est vraiment au coeur de ce malaise profond.
Il semble aussi qu’il y ait une méconnaissance du fonctionnement de l’économie en France. Qu’en pensez-vous?
Tous les Français qui travaillent savent d’où vient le malaise. Ce sont eux qui font tenir le pays et c’est à eux qu’il faut répondre. Car aujourd’hui ils disent leur désespoir. Dans quelques jours s’ouvre le Salon de l’Agriculture, les agriculteurs sont l’emblème des Français qui travaillent et ne s’en sortent pas. Le travailleur pauvre est la figure symptomatique de l’injustice profonde de notre système économique et fiscal. La crise que la France traverse actuellement est liée au fait que nous ayons pris collectivement le parti du non-travail. Tout a été fait contre le travail et les travailleurs. Cela explique l’effondrement économique et cela ne peut plus durer. L’Assemblée Nationale refuse de s’emparer de cette question, mais à mon sens cela explique également la crise migratoire. Pourquoi les entreprises ne cessent-elles de mobiliser des travailleurs venus de l’étranger, y compris des clandestins ? À cause de notre système dans lequel le travail légal ne paye plus. La situation est ainsi paradoxale que nous avons trois millions de chômeurs d’un côté, et des centaines de milliers d’emplois non pourvus de l’autre. Le poids des charges est tel que les salaires ne sont plus attractifs. Le système social est également en cause. Le seul fait de se poser la question si l’on peut mieux s’en sortir sans travailler est problématique. Cela devrait être une évidence que travailler est plus avantageux. Le système social a été fait pour soutenir ce qui ne peuvent pas travailler et devrait être appliqué comme tel. L’urgence absolue est donc de baisser les charges sociales. Il n’y a pas de majorité politique suffisante pour vouloir ce changement radical. L’alternance possible en 2027, lors des présidentielles, serait enfin l’occasion d’un changement profond dans notre pays.
Vous êtes vice-président du parti démocrate-chrétiens (Parti populaire européen) au Parlement européen. Quels sont les motifs d’espérance que vous observez ?
Le premier signe d’espérance est qu’il y a une vraie prise de conscience en Europe concernant les ravages causés par la folie normative des dernières années. Dans mon groupe parlementaire, nous avons toujours voté contre l’avalanche réglementaire qui asphyxie l’Europe, comme le 100% électrique qui détruit l’industrie automobile, contre l’écologie rousseauiste qui promettait la restauration de la nature en interdisant de ramasser les branches mortes dans les forêts, contre cette passion de la disparition de l’homme et cet empêchement généralisé. Aujourd’hui, cet agenda commence à porter ses fruits. J’espère que le prochain mandat sera l’occasion d’un mouvement de dérégulation. Nous avons besoin de simplification, de détruire les règles inutiles qui sont en train de causer le déclin de toute l’Europe. Le bilan de notre mandat sera fonction de ce que nous aurons détruit de textes plus qu’à ceux que nous aurons produits. Nous n’y sommes pas habitués, mais il faut renverser l’état d’esprit actuel et retrouver davantage de lieux d’insouciance.
Vous qui êtes particulièrement attaché à la figure de Franz Jägerstätter, pensez-vous que notre liberté en France dépend plus du courage de chacun à refuser de se soumettre ou plus de lois nouvelles, d’une stratégie particulière ?
Effectivement, la liberté est un risque. Un risque qu’il appartient à chacun de prendre et d’assumer. De ce point de vue là, rien ne nous retire la responsabilité de faire montre ou non de ce courage. On considère souvent que la politique est la source de tous nos maux et nous avons souvent raison de lui attribuer bien des torts. Mais la vérité est qu’il appartient à chacun de cultiver ou non la liberté dans sa vie intérieure et dans son existence civique. Nous vivons aujourd’hui profondément ce que Soljenitsyne appelait « le déclin du courage ». Le premier danger pour la liberté est d’abord ce déclin-là. Mais il est une deuxième condition à la liberté à mon sens. Pour que naisse un Jägerstätter, un Vaclav Havel, un Popieluszko, pour que ces noms féconds soient prononcés un jour, il est une prémisse indispensable et qui est la condition même pour l’exercice de la liberté : l’éducation, à travers la culture, la connaissance, la lecture. Le mot livre, de liber en latin, a une racine commune avec la liberté. On a vu se lever dans la résistance ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas. En revanche, ils avaient en commun cette familiarité avec une langue, une histoire, une pensée, une vision du monde, qui sont la condition de la liberté. La faillite de notre école aujourd’hui a pour conséquence un asservissement monstrueux de générations entières. Par manque d’une vraie éducation ils sont privés des possibilités d’une vie libre ; de la liberté intérieure à la liberté politique, en passant par le discernement. Encore faut-il vouloir éduquer. La crise de la liberté est liée à la crise de l’éducation. On a longtemps cru que transmettre allait infliger à l’enfant la reproduction de stéréotypes sociaux. Le propre de l’autorité est d’augmenter, selon la racine du mot, notamment d’augmenter l’enfant de sa propre liberté.