Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la richesse privée, autrefois détenue par les riches, s’est principalement concentrée dans la classe moyenne.
C’est un véritable pavé dans la marre que vient de lâcher Daniel Waldenström, professeur d’économie à I’lnstitut de recherche en économie industrielle de Stockholm. Dans un article en forme de réponse à Thomas Piketty publié sur le site VoxEU, l’économiste s’est livré à une analyse de l’évolution de la richesse mondiale depuis l’avènement de la révolution industrielle en 1890.
Le constat est sans appel : les affirmations estimant que l’accumulation des richesses mondiales se concentrent principalement entre les mains des plus riches sont fausses.
Dans l’interprétation de Thomas Piketty, le XIXe siècle a coïncidé avec l’époque du capitalisme effréné, ce qui a entraîné une accumulation et une concentration des richesses à des niveaux extrêmes, tandis qu’au XXe siècle, les guerres mondiales et l’imposition du capital ont permis une meilleure répartition des richesses jusqu’aux années 1980, lorsque des réformes favorables au marché ont ressuscité les valeurs du capital et ont conduit à une plus grande inégalité dans la répartition des richesses et des parts de capital. L’économiste français considère que les ratios richesse-revenu, historiquement élevés dans l’Europe du XIXe siècle, autour de 600 à 800 % du revenu national, ont ensuite baissé de façon spectaculaire pendant les guerres mondiales pour rester bas jusqu’aux années 1980, avant de considérablement augmenter.
Cependant, un ensemble de données révisées montre que les ratios richesse-revenu d’avant la Première Guerre mondiale sont en réalité d’environ 450 à 500 % du revenu national.
Figure 1 : ratios richesse-revenu Europe-États-Unis
L’essor d’après-guerre de la richesse populaire.
Depuis 1950, les ratios richesse privée-revenu ont augmenté régulièrement dans le monde occidental, avec une accélération de cette augmentation après 1990. Pour démontrer cette évolution de la richesse privée, Daniel Waldenström se base sur trois éléments : le patrimoine immobilier, le patrimoine retraite et les autres richesses.
Le résultat principal est que la richesse privée a subi un changement structurel au cours du XXe siècle. Vers 1900, la richesse mondiale était répartie entre les domaines agricoles et les entreprises, actifs principalement détenus par les riches. Après la guerre, l’accumulation de richesse s’est faite principalement dans le logement et les retraites par capitalisation, actifs détenus majoritairement par les gens ordinaires. Cette tendance a eu des conséquences importantes.
Figure 2 : décomposition des ratios richesse-revenu agrégés depuis 1890
En effet, l’économiste constate que la concentration des richesses diminue au profit d’une certaine égalisation. Si la concentration de la richesse était exceptionnellement élevée il y a un siècle, le centile le plus riche détenant entre 50 et 70 % de l’ensemble de la richesse privée, elle s’est ensuite (des années 1920 aux années 1970) délitée de façon spectaculaire dans le monde occidental.
Figure 3 : part de la richesse des 1 % les plus riches dans six pays, 1896-2019
Dès lors, Daniel Waldenström affirme que la richesse privée, autrefois détenue en majeure partie par les riches, l’est maintenant surtout par la classe moyenne. Selon lui, ces données remettent également en question l’idée que le capitalisme sans entraves génère des niveaux extrêmes d’accumulation de capital ; elles jettent aussi le doute sur l’explication selon laquelle les guerres, les crises et la taxation du capital sont nécessaires à l’égalisation des richesses.
Voilà qui devrait remettre les pendules à l’heure.