Le 17 décembre 2010, un jeune Tunisien du nom de Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu pour protester contre le harcèlement policier. Son acte a déclenché une vague de révoltes à travers le monde arabe, les gens se soulevant contre l’autoritarisme et la pauvreté. La chute du régime de Ben Ali en Tunisie, après 23 ans au pouvoir, a suscité d’énormes attentes, l’espoir de mettre fin à l’injustice et à la corruption, celui de commencer à avancer vers la liberté, la démocratie et la prospérité économique.
De nombreux universitaires considèrent la Tunisie comme la seule réussite parmi les pays arabes impliqués dans les soulèvements de 2011, car elle semblait être le seul pays à avoir émergé en tant que démocratie. Cependant, en 2013, le gouvernement de coalition intérimaire dirigé par le parti islamiste Ennahda a été accusé d’être incompétent et avide de pouvoir. Les craintes de l’opposition ont été confirmées par l’assassinat de Chokri Belaid, un homme politique laïc. La crise s’est encore aggravée en juillet 2013, lorsque 65 membres de l’Assemblée nationale constituante ont momentanément quitté l’assemblée après l’assassinat d’un autre politicien de l’opposition, Mohamed Brahmi.
Le 30 juillet, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a appelé à une conférence pour résoudre la crise. Trois autres groupes de la société civile, l’Ordre des avocats tunisiens, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), se sont joints pour former le Quartet du dialogue national. En décembre 2013, un nouveau gouvernement dirigé par Mehdi Jomaa a vu le jour. Le dialogue national a permis de replacer le pays sur la voie de l’équilibre après le soulèvement de 2011.
Pourtant, les conditions économiques n’ont guère changé depuis que les groupes d’intérêt qui avaient caractérisé l’ancien régime se sont opposés avec succès à toutes sortes de réformeséconomiques. Ceux qui avaient espéré que la démocratie pourrait faire la différence sont déçus. La participation électorale est tombée d’un sommet de 68 % lors des élections parlementaires de 2014 à 42 % en 2019.
Il n’est donc pas surprenant que des tensions aient éclatées en juillet 2021. Lorsque le dernier gouvernement dirigé par le Premier ministre Hichem Mechichi a appliqué des mesures pour faire face au Covid-19, des dizaines de milliers de Tunisiens ont protesté contre le gouvernement de Mechichi et la classe politique en général. Le président Kais Saied a suspendu le Parlement, démis le Premier ministre et annoncé qu’il allait temporairement gouverner par décret. En un mot, la démocratie a été mise en veilleuse.
Une décennie d’échecs économiques qui a débouché sur la crise politique
En effet, malgré la transition vers une démocratie partielle et des avancées significatives en matière de libertés politiques et civiles, la corruption endémique et l’application fragile des droits de propriété entravent toujours le développement économique et la stabilité politique. Certains indicateurs, comme l’indice de transformation de Bertelsmann Stiftung (BTI)[[The Bertelsmann Stiftung Transformation Index (BTI) reports data from two years earlier. Thus, the 2020 report uses 2018’s data, and the political scene in Tunisia back then was not in a critical situation as it is today.]], décrivent l’échec de la Tunisie au cours de la dernière décennie.
Comparaison de la transformation politique avec la performance économique
La plupart des Tunisiens jugent la révolution à l’aune des performances économiques, qui ne se sont pas améliorées. Depuis 2011, les revenus des ménages ont chuté d’un cinquième ; le dinar tunisien a perdu la moitié de son pouvoir d’achat ; le chômage est actuellement d’environ 18 %, bien supérieur chez les jeunes, plus de 35 %, contre 29 % en 2010. La corruption persiste, et le déficit budgétaire du gouvernement a maintenant atteint des niveaux records, à environ 11%.
La Tunisie est connue pour sa société civile active. Cependant, les efforts du gouvernement pour satisfaire tous les acteurs majeurs ont fini par ralentir la transition économique. En conséquence, des milliers de Tunisiens ont quitté le pays. L’année dernière, au moins 13 000 Tunisiens ont risqué leur vie en essayant de rejoindre l’Italie par bateau[[ COVID-19 fallout drives Tunisians to Italy despite deportations – Migration, The New Humanitarian, Layli Foroudi, 1 September 2020.]]. D’autres se sont suicidés[[Suicide by self-immolation in Tunisia: A 10 year study (2005-2014) – National Library of Medicine, National Center for Biotechnology Information (NCBI), by Mehdi Ben Khelil , Amine Zgarni , Malek Zaafrane, Youssef Chkribane, Meriem Gharbaoui , Hana Harzallah, Ahmed Banasr, Moncef Hamdoun, Nov 2016.]].
Le résultat est qu’aujourd’hui, de plus en plus de personnes se mettent à regretter le « bon vieux temps » de Ben Ali, lorsque le chômage et les tensions étaient moins élevés, oubliant que ce bon vieux temps était caractérisé par une corruption étendue et des violations systématiques des droits de l’homme. Ce climat de mécontentement à l’égard du monde politique, de méfiance à l’égard du processus démocratique, explique pourquoi le président Kais Said a pu mettre les principes démocratiques de côté, prendre le contrôle du pays et imposer un régime de gouvernement d’un seul homme.
Pourquoi la Tunisie a-t-elle échoué ?
En une phrase, la transition politique ne suffit pas. Les Tunisiens n’ont pas réussi à développer des institutions de marché libre. Aucun des deux grands partis, Ennahda et Nidaa Tounes, ne s’est engagé dans des réformes économiques significatives, n’a imposé une discipline budgétaire et n’a mis au pas les groupes d’intérêts privilégiés. Nidaa Tounes a été déchiré par des tensions internes, tandis qu’Ennahda a souffert d’une mauvaise réputation. En outre, Ennahda et Nidaa Tounes avaient tous deux besoins d’argent et n’étaient pas en mesure de rejeter les fonds offerts par les groupes d’intérêt. Bien entendu, ces offres ont eu un prix.
Autrement dit, un régime démocratique exige bien plus que des élections régulières. Il nécessite des institutions solides et des réformes économiques orientées vers le marché libre, afin de réduire le rôle de l’État et de laisser la place aux entreprises privées (non subventionnées).
Lire l’article sur le site anglais
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Crise politique et économique : pourquoi la Tunisie est en difficulté
Pendant la période dictatoriale de Ben Ali, les structures administratives et fiscales étaient verrouillées avec des contrôles « policiers » de l’État intraitables….
Ben ALI ayant été viré, sans préparation en amont, a laissé un espace abyssal au VIDE…
Pas de structures, pas de lois ni règlement, des habitudes encrées des fonctionnaires formés par Ben Ali…
Rien n’était prêt, Rien n’était disponible, Rien n’était préparer pour faire respirer le peuple, l’économie et le réaménagement économique….
Alors, ce vide, a laissé à des organisations et des groupes, pas souvent identifiés, toutes les possibilités de se développer dans des télescopages meurtriers.
De plus, les « intelligences » économiques et intellectuelles, ont quitté la Tunisie, car ils ne disposaient d’aucune visibilité pour elles…
Ainsi est la Tunisie, empêtrée dans ses illogiques structures empêchant toutes capacités d’être ce pays qui mérite véritablement un grand à venir si on lui confie un « SAUVEUR » interne capable de s’imposer à l’intérieur et à l’extérieur pour retrouver des appuis et des concours auprès des grands organismes internationaux….
Mais le miracle ne s’est pas encore produit….
A suivre avec inquiétude…