L’actualité offre parfois des rapprochements intéressants. Ce fût le cas ces derniers jours avec les indignations des politiques de tous bords à propos de l’arrêt de l’activité de l’usine Alstom de Belfort, et avec la grève – beaucoup moins médiatisée – des salariés de la centrale nucléaire de Fessenheim. Alors que la décision de fermeture de l’usine de l’industriel français est pleinement justifiée par la rationalité économique, celle de la centrale nucléaire n’est que politique.
Ce mercredi 14 septembre, quatre syndicats ont appelé les agents EDF de la centrale nucléaire de Fessenheim à faire grève contre sa fermeture à l’occasion d’un comité central d’entreprise (CCE) qui avait ce sujet à l’ordre du jour.
L’on se souvient que François Hollande en avait fait une promesse de campagne électorale pour s’attirer les bonnes grâces des écologistes. Ségolène Royal, ministre de l’énergie, a confirmé cet été que le décret d’arrêt de fonctionnement serait pris avant la fin de l’année 2016. Quant au démantèlement proprement dit, il prendra de longues années.
Fermeture de Fessenheim : un coût très élevé pour le contribuable
Il semble que l’État et EDF se soient enfin mis d’accord sur le montant de l’indemnité versée à l’électricien : 400 millions d’euros. C’est le chiffre avancé par plusieurs médias. À cela viendra s’ajouter un complément, versé à partir de 2022, qui correspondra aux recettes qu’aurait générées la centrale si elle avait fonctionné pendant la durée initialement prévue par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), soit encore vingt ans. Un montant qui donnera lieu à d’âpres discussions. Les députés Hervé Mariton et Marc Goua, dans un rapport de 2014, estiment que la « juste » indemnité d’EDF serait de 4 milliards d’euros.
Bref, cette fermeture anticipée va coûter cher aux contribuables. Sans compter que plus de 1 000 emplois directs sont concernés par cette fermeture.
Ce qui est dramatique dans cette histoire, c’est que la nécessite de fermer Fessenheim est sujette à caution. En effet, selon Sophie Letournel, chef de la division de l’ASN à Strasbourg, qui s’est confiée à l’AFP : « Pour nous à l’ASN, aujourd’hui, du point de vue de la sûreté nucléaire, il n’y a pas de raison de fermer la centrale de Fessenheim ». Voilà qui est clair. La fermeture de Fessenheim est bien idéologique et politique.
En revanche, les arguments en faveur de l’arrêt de l’activité de l’usine Alstom de Belfort sont sérieux, et d’ordre économique et financier.
Alstom : une fermeture nécessaire
En effet, cet établissement fabrique essentiellement des locomotives destinées au transport de fret, une activité à la peine dans notre pays. La commande qu’espérait Alstom pour maintenir l’usine en activité n’est pas venue. L’acheteur – Akiem, une société de location de locomotives, filiale de la SNCF – a préféré l’offre de l’allemand Vossloh.
Par ailleurs, Alstom anticipe une baisse de 30 % de ses commandes à l’horizon 2018 pour l’ensemble de ses douze entités françaises. Par conséquent, la rationalisation de son outil de production s’impose. Les dirigeants d’Alstom font donc leur boulot, ils anticipent et prennent des décisions dans le but d’assurer la pérennité de l’entreprise.
Ajoutons qu’il n’est nullement prévu de licencier les 480 salariés de Belfort, mais de leur offrir un autre poste de travail en Alsace, à Reichshoffen, à 200 kilomètres de là. L’entreprise pourrait aussi proposer un poste à l’étranger aux salariés de Belfort. Elle s’est bien gardée de le faire pour ne pas verser d’huile sur le feu.
Pourtant, l’activité à l’international d’Alstom se porte bien : des commandes ont été engrangées en Inde, en Italie, en Belgique, en Allemagne, en Algérie, en Azerbaïdjan… C’est ainsi, qu’au cours du dernier exercice, seuls 19 % du chiffre d’affaires a été réalisé en France. Mais, pour satisfaire ses clients étrangers, Alstom produit sur place, au plus près des lieux de vente. C’est souvent une exigence des acheteurs. Airbus, DCNS, Areva connaissent les mêmes demandes de la part de leurs clients. Et c’est aussi un argument d’Alstom pour compléter les contrats de fabrication par des contrats de maintenance.
La fermeture de l’usine Alstom de Belfort est donc pleinement justifiée du point de vue de la stratégie de l’entreprise. C’est loin d’être le cas pour la centrale nucléaire de Fessenheim.
Si, comme nous le disions en introduction, l’actualité offre parfois des rapprochements intéressants, elle sait aussi souvent être cruelle. En effet, Belfort n’est qu’à 70 kilomètres de Fessenheim. La région va être durement touchée. Et les décisions politiques et idéologiques des gouvernants toucheront trois fois plus de personnes que les décisions économiques des dirigeants d’Alstom.
Pousser des grands cris dans ces conditions est vraiment indécent. Là est le vrai scandale.