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Émeutes au Royaume-Uni : les limites du multiculturalisme ?

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Le 29 juillet à Southport, un Britannique d’origine rwandaise a assassiné trois fillettes qui participaient à un cours de danse sur le thème de Taylor Swift. Des manifestations se sont rapidement multipliées à travers le Royaume-Uni, sur fond de protestation contre une immigration mal gérée par l’État. Lors des contre-manifestations qui ont eu lieu en parallèle, où l’on entendait scander des « Allahu Akbar » ou des « Free Palestine », les manifestants du camp adverse étaient qualifiés de racistes, de fascistes ou de xénophobes – même s’ils étaient eux-mêmes issus de l’immigration, descendants d’immigrés, ou ouvertement favorables à la libre circulation des personnes.

Le traitement médiatique n’a pas été très éclairant : plutôt que d’essayer de comprendre le fond du problème, la presse grand public a préféré parler de « violences racistes et islamophobes », alors que les manifestants étaient pacifiques dans leur écrasante majorité. Des mosquées, des hôtels connus pour accueillir des immigrés, ont été attaqués pendant les émeutes, ce qui contredisait radicalement les messages portés par les manifestants, par ailleurs de tous types d’âge, de profession ou de milieu social.

Immigration, assimilation, identité… de quoi parle-t-on ?

L’immigration est un phénomène difficile à appréhender tant il recoupe des situations différentes : un ingénieur polonais n’a pas grand chose à voir avec un chauffeur de taxi brésilien, un réfugié afghan ou un étudiant indien. Le sujet est plutôt celui de l’assimilation – comment transformer les immigrés en locaux et les fondre dans la société dans laquelle ils vivent – afin de faciliter leur cohabitation avec les autres. En prendre conscience évite de le faire partir dans tous les sens à force de confondre immigration, assimilation, intégration, identité et religion.

À la différence de la France, le Royaume-Uni se démarque par un communautarisme beaucoup plus marqué, au sens littéral du terme : les Britanniques ou immigrés d’origines pakistanaise, indienne, africaine et asiatique vivent en communauté et peuvent sans problème afficher publiquement leur appartenance à un groupe ou à un autre. Il n’y a jamais vraiment eu de processus d’assimilation puisque chaque communauté garde ses traditions. En ce qui concerne la religion, l’État n’interfère aucunement dans la manière dont les individus vivent ou expriment leur religion, y compris dans la sphère dite publique : un tiers des écoles publiques sont des « écoles de foi » (faith schools). Financées par l’État, elles sont anglicanes, juives, musulmanes, hindoues, sikhs… Jusqu’à récemment, il y a toujours eu une large acceptation de l’immigration par les Britanniques.

La gestion étatique de l’immigration illégale

Les manifestants protestaient, entre autres, contre le financement de l’immigration illégale par le gouvernement. Le terme d’ « immigration illégale » recouvre plusieurs contextes : entrée illégale sur le sol britannique ; entrée légale mais non-respect des conditions imposées pour séjourner dans le pays ; refus de quitter le territoire après le rejet d’une demande d’asile ou l’épuisement des voies de recours ; naissance sur le territoire mais de parents en situation irrégulière. Les pays d’origine sont principalement l’Afghanistan, l’Albanie, l’Iran, ou le Vietnam, selon les données officielles.

En 2023, près de 50 000 demandeurs d’asile étaient logés dans des hôtels aux frais du contribuable. Certains (37% en moyenne) sont entrés illégalement en traversant la Manche, mais il y en a aussi qui sont arrivés par des moyens légaux, d’autres qui n’ont pas été  détectés, d’autres encore qui sont passés avec de faux papiers… Au total, 380 hôtels accueillent exclusivement des demandeurs d’asile à travers le Royaume-Uni. Le coût de cette gestion étatisée a été évalué à 8 millions de livres sterling par jour, soit plus de 2,9 milliards de livres par an. Cette même année 2023, le gouvernement a adopté la loi sur l’immigration illégale, interdisant officiellement d’accorder l’asile aux personnes entrées illégalement sur le territoire. Début 2024, il a fermé 150 hôtels afin de les transformer en établissements destinés au tourisme, à l’éducation ou à la recherche.

L’épineuse question de l’assimilation

D’autres manifestants se plaignaient d’un processus d’islamisation de la société britannique, c’est-à-dire un phénomène croissant de conversion à la religion musulmane, qui débouche sur des changements culturels et sociétaux. L’islam est en effet devenu la deuxième religion la plus pratiquée au Royaume-Uni, avec une augmentation dix fois plus rapide que les autres religions au début des années 2000. Aujourd’hui, les musulmans représentent environ 6 % de la population – la plus grande partie à Londres. D’après les chiffres du Conseil musulman de Grande-Bretagne, ils sont 33 % à la tête de petites et moyennes entreprises, créant plus de 70 000 emplois, et plus de 10 000 sont millionnaires. Voilà un effet bénéfique de l’immigration.

Le tableau n’est cependant pas tout rose. Ces changements de population débouchent nécessairement sur des crispations (c’est un euphémisme) avec les autres Britanniques, à l’instar de ce qui se passe dans beaucoup de pays occidentaux. Comme en France, le phénomène a été flagrant après le pogrom du 7 octobre 2023 en Israël. Le Royaume-Uni a lui aussi connu des manifestations de masse en soutien aux terroristes du Hamas. À l’époque, un sondage réalisé par un think tank avait révélé que seuls 24 % des musulmans britanniques étaient convaincus que le Hamas avait commis des meurtres et des viols en Israël ce jour-là (contre 62 % de la population générale) ; 46 % pensaient que les juifs avaient trop de pouvoir au sein du gouvernement britannique (contre 16 %) ; et seulement 15 % étaient farouchement opposés à l’introduction de la charia au Royaume-Uni (contre 51 %). On peut alors comprendre pourquoi des Britanniques ont la désagréable impression que certaines communautés seraient peut-être moins aptes à s’assimiler que d’autres, même s’il existe autant de pratiques religieuses que d’individus (et, qu’évidemment, personne ne peut être réduit à la religion qu’il embrasse – les musulmans ne sont pas un bloc monolithique).

La peur de la stigmatisation

Pour Anne-Elisabeth Moutet, correspondante du Daily Telegraph à Paris, la colère des Britanniques est plus ancienne. Dans une interview pour BFM TV, elle remarque que Rotherham, l’une des villes les plus touchées par les émeutes, est aussi celle où un scandale de trafic sexuel d’enfants a été étouffé par peur de stigmatiser une communauté. Entre 1997 et 2013, près de 1 400 enfants, en majorité des jeunes filles blanches issues de familles pauvres, ont été abusés sexuellement par des hommes britanno-pakistanais. Les faits étaient connus, les autorités ne sont pas intervenues. Une fois encore, on peut comprendre pourquoi cette crainte de la stigmatisation a alimenté les rumeurs sur l’identité du meurtrier des trois fillettes à Southport, ses origines, sa religion (au passage, le Rwanda est un pays majoritairement catholique) ou ses motivations (toujours inconnues).

Une police inefficace

La colère des Britanniques s’explique également par l’inefficacité de la police : au cours des trois dernières années, les cambriolages n’ont pas été résolus dans presque la moitié des « quartiers » (48 % des zones qui couvrent entre 1 000 et 3 000 habitants) d’Angleterre et du Pays de Galles, selon les données de la police. Au point que des victimes se plaignent de ne plus être prises au sérieux et estiment que les cambriolages ont été décriminalisés dans certains quartiers. Andy Cooke, inspecteur en chef des forces de police, constate que parfois des outils qui pourraient être précieux sont inutilisables, comme des vidéos de suspects, inexploitables faute d’experts en matière de criminalistique numérique.

Résultat, une enquête mensuelle de YouGov (une société de sondages et d’études) a montré qu’en avril 2023, seulement 47 % des personnes interrogées pensaient que la police faisait bien son travail (contre 70 % en 2020) et que 44 % pensaient l’inverse (contre 21 %).

Conclusion

Les causes des manifestations sont plus profondes que ce qui est dépeint dans la plupart des médias traditionnels et elles vont au-delà des seules questions de xénophobie, du racisme, de l’islam ou de l’English Defence League. La situation au Royaume-Uni n’est pas plus « la faute aux immigrés » qu’elle serait « la faute aux milliardaires qui s’enrichissent sur le dos des travailleurs » – comme on a pu l’entendre dans les contre-manifestations. Le discernement des prohibitionnistes n’est d’ailleurs pas supérieur à celui des open borders qui exaltent l’immigration, ou pensent qu’il existerait un droit inaliénable à résidence, que ce soit au Royaume-Uni ou ailleurs.

Il est certain en revanche que la gestion étatisée de l’immigration n’a pas facilité les choses et que les autorités britanniques n’ont pas toujours fait preuve de responsabilité devant les citoyens. 

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