Cet article de Jean-Philippe Delsol , administrateur de l’IREF, est paru dans le quotidien Le Figaro du 15 juillet 2010.
L’affaire Woerth anime le café du commerce et pose opportunément la question de la morale fiscale. Mais la morale comme la démocratie supposent que tous, chacun à son niveau, concourent à la charge publique, de telle façon que tous en soient responsables. Il n’y a jamais de morale commune et publique qui ne soit partagée et jamais non plus de morale sans responsabilité.
Certes la mise en cause du ministre sent les égouts et le plus détestable est encore que ce soit le site Médiapart qui en fasse la révélation, animé par Edwy Plenel qui avait à juste titre en son temps dénoncé les mêmes procédés nauséabonds utilisés par Monsieur François Mitterrand à son préjudice. Qu’on utilise les enregistrements indiscrets d’un maître d’hôtel pour accuser qui que ce soit représente une violation de la vie privée au même titre que des écoutes téléphoniques. Le comportement de ce maître chanteur est aussi et d’abord une faute professionnelle grave. La vieille règle que tous les juristes connaissent, Nemo auditur turpitudinem…, devrait s’appliquer d’une manière générale de telle façon que nul ne puisse se servir des fraudes de l’un pour punir un autre.
Mais Monsieur Woerth, quelles que soient ses qualités, est aussi celui qui a utilisé les fichiers volés du Liechtenstein et de Suisse pour traquer des contribuables français. Comment dès lors aujourd’hui peut-il s’étonner que d’autres adoptent des pratiques du même ordre à son encontre ? La morale est une et ne saurait se pratiquer à géométrie variable.
En réalité, c’est toute la fiscalité française qui est structurellement sujette à un risque permanent d’immoralité. Car lorsque la moitié des Français ne paye pas l’impôt sur le revenu, il est trop facile pour eux de vouloir le faire payer aux autres sans limite. Et l’exonération ou les allègements significatifs de taxe d’habitation dont les mêmes contribuables bénéficient contribuent sans doute à la pression qu’ils mettent sur les élus locaux pour qu’ils augmentent sans fin les dépenses locales qu’ils ne supportent pas.
L’impôt ne peut être moral s’il est à la charge de quelques uns au profit de tous. Il en arrive vite à un déni de justice et de démocratie ainsi que l’avait noté Friedrich Hayek : « Qu’une majorité, simplement parce qu’elle est majorité, se considère comme en droit d’appliquer à une minorité une règle à laquelle elle-même ne se soumet pas, constitue la violation d’un principe beaucoup plus fondamental que la démocratie même, puisque la démocratie repose sur lui. »
La démocratie exige que tous participent à la vie de la cité, c’est à dire aussi à sa charge. C’est pourquoi l’impôt proportionnel ou flat tax rejoint ici l’équité. Si tous payent l’impôt, même un tant soit peu, tous seront attentifs aux dépenses publiques et tous seront responsables du niveau de taxation. Outre que l’impôt proportionnel est plus simple et moins douloureux pour les contribuables et plus efficace pour l’Etat qui en a toujours amélioré sensiblement son produit fiscal, il est plus juste que l’impôt progressif. Pierre-Joseph PROUDHON (Théorie de l’impôt, 1860) en était déjà persuadé :« L’impôt, devant être payé par chacun, 1/ en raison de sa personne, 2/ en raison de ses facultés, doit être proportionnel à sa fortune : idée conforme au principe de l’échange, aux règles d’une comptabilité sévère, en un mot, aux lois de la justice. »
Certes il s’agit de débats différents et pourtant ils sont du même ordre car la morale fiscale, comme toute morale, s’inscrit dans une histoire, dans une continuité et dans une communauté. Si une majorité de citoyens qui ne payent pas l’impôt l’inflige aux autres et si l’Etat considère que la chasse aux fraudeurs est une fin qui justifie la fraude, alors il ne faut pas s’étonner que d’autres considèrent que la fraude est légitime et que toute fin justifie tous moyens, fussent-ils de caniveaux. C’est évidemment regrettable.